Forêts : les retombées des coupes rases sur l’environnement
- Une coupe rase désigne l’abattage de la totalité du peuplement forestier, avant de le replanter généralement.
- Ce mode de sylviculture contribue à optimiser la récolte sur le plan technique, logistique et économique.
- De nombreux citoyens dénoncent les conséquences à long terme de cette pratique sur l’environnement notamment sur le cycle de l’eau et la qualité du sol.
- En plus des écosystèmes, les répercussions touchent les populations alentour : inondations, menaces d’incendie, diminution de la faune et de la flore…
- Alors que des préconisations sont formulées par les scientifiques, aucune réglementation n’est en vigueur, il s’agit donc de former les professionnels aux bonnes pratiques.
Régulièrement dénoncées par des collectifs citoyens, dans le Morvan ou les Landes, les coupes rases menacent-elles vraiment les écosystèmes forestiers ? Fin 2022, 70 experts présentaient les résultats d’une expertise collective1 répondant à cette question.
Difficile de passer à côté d’une coupe rase sans la voir : ce mode de sylviculture consiste à raser en une fois la totalité du peuplement forestier, puis à généralement replanter. Durant les années 2010, elles ont concerné chaque année 0,4 % de la surface forestière du territoire métropolitain, majoritairement des pins maritimes, châtaigniers, épicéas ou peupliers. Mais des disparités régionales existent : le chiffre grimpe par exemple à 2,1 % pour le massif landais. « Cela correspond à une durée de moins de 50 ans entre deux coupes rases, précise Jérôme Ogée. C’est équivalent à la rotation préconisée pour le pin maritime, et signifie donc que la coupe rase est la pratique très fortement majoritaire à l’échelle du massif entier. »
Si des citoyens dénoncent les retombées néfastes des coupes rases sur la biodiversité ou les paysages, pour les forestiers elles permettent « d’optimiser la récolte sur le plan technique, logistique et économique » d’après l’expertise. « Les coupes rases sont synonymes d’une mécanisation accrue de la sylviculture », tempère cependant Laurent Bergès. Machines de bucheronnage et d’abattage, porteurs ou débusqueurs sont utilisés pour récolter le bois ; puis viennent les outils de dessouchage, scarification ou encore les planteuses pour la régénération. « Pour des raisons de rentabilité économique et de pénibilité du travail, nous vivons actuellement une révolution similaire à la révolution agricole des années 50 avec une mécanisation accrue de la sylviculture, constate Laurent Bergès. Et même si aujourd’hui les coupes rases sont encore peu pratiquées à l’échelle du territoire, leurs effets ne sont pas négligeables. »
Une pratique aux nombreuses retombées
En premier lieu, elles touchent l’environnement lui-même. Le cycle de l’eau est modifié. Dans le sol, la teneur en eau augmente de 18 à 66 % : plus aucun arbre n’y puise de l’eau ni n’empêche les pluies de l’atteindre ! Fortement tassé par le passage des engins de plus en plus lourds, le sol est compacté – particulièrement s’il est argileux. Résultat : la capacité d’infiltration est réduite, l’eau ruisselle et le débit en sortie des bassins versants augmente de 30 à 100 %. Une grande quantité de sédiments (en augmentation de 700 %) est entraînée dans les cours d’eau, ainsi que des nitrates et cations du sol (calcium, potassium, aluminium), dégradant parfois la qualité de l’eau. Les sols eux-mêmes deviennent moins fertiles, moins riches en carbone, moins aérés… La plupart des effets sont observés pendant plusieurs années après la coupe, voire sont presque irréversibles comme pour l’érosion. « La coupe rase touche aussi les parcelles alentour : par exemple, les arbres en lisière deviennent très vulnérables aux tempêtes, renseigne Jérôme Ogée. Quant à l’impact sur le microclimat, il est mesuré jusqu’à plusieurs centaines de mètres. »
Les populations locales sont elles aussi affectées. « Lors de pluies intenses, la forêt sert de zone tampon en favorisant l’infiltration des eaux, explique Jérôme Ogée. Les coupes rases augmentent et accélèrent la survenue du pic de crue. » Un autre effet moins connu est étudié depuis peu par la communauté scientifique. Les abords des cours d’eau sont peuplés d’arbres particuliers formant la ripisylve [Formation végétale se développant dans les zones frontières entre l’eau et la terre]. « Il semblerait que les ripisylves, dont les essences feuillues sont moins inflammables que les résineux, jouent un rôle de pare-feu naturel lors d’incendies, pointe Jérôme Ogée. Ces résultats restent à confirmer par des travaux de recherche. » Rasées, les ripisylves perdent leur rôle de barrière aux incendies, menaçant directement les infrastructures et populations alentour.
Enfin, l’écosystème forestier est lui aussi perturbé. Dans les deux premières décennies suivant une coupe rase ou progressive, le nombre total d’espèces augmente de plus de 10 % par rapport à une parcelle témoin. Il diminue ensuite au-delà de 20 ans. « Ces parcelles constituent des habitats de substitution pour les espèces de milieux ouverts et agricoles, souvent des oiseaux et des papillons, lorsqu’elles sont menacées aux alentours par une agriculture intensive par exemple », explique Laurent Bergès. Une nouvelle flore se développe aussi dans ce milieu plus ensoleillé ; un phénomène pour autant non-souhaitable. « Cela cache une diminution de la présence d’espèces forestières spécialistes, alerte Marion Gosselin. Ces espèces propres à la forêt se développent notamment dans les vieux arbres : s’ils sont tous coupés, elles finissent par disparaître, car elles n’ont pas d’habitat de substitution. Cela bouleverse complètement l’écosystème. »
Dans leur synthèse, les experts pointent également des effets négatifs des coupes rases à court terme (moins de huit ans après la coupe) sur les oiseaux et les mousses, et un effet non-significatif sur les plantes vasculaires, lichens, champignons, arachnides et insectes. « Le tassement du sol et sa préparation mécanisée avant plantation modifient fortement sa biodiversité : les arbres croissent plus lentement, les communautés floristiques sont altérées, la biomasse microbienne diminue et les communautés de champignons sont changées », ajoute Laurent Bergès. Enfin, l’introduction d’espèces exotiques – lors de la plantation ou par apport dans les pneus des engins par exemple – peut mettre en péril les espèces autochtones.
Derrière ces observations globales se cachent des disparités géographiques. L’érosion est amplifiée sur les terrains en pente, et le tassement est plus important sur les sols argileux. Mais en particulier, réaliser une coupe rase à proximité d’un cours d’eau provoque des effets négatifs encore plus importants. « Cela modifie le microclimat, dont celui du cours d’eau, et contribue à libérer énormément de nitrates dans les cours d’eau les mois suivants », explique Jérôme Ogée. Le collectif d’experts recommande d’éviter strictement les coupes rases à moins de 30 mètres des cours d’eau.
Le changement climatique remet en cause les pratiques de sylviculture, qui ne sont plus adaptées aujourd’hui
Autres recommandations : adopter certaines modalités d’exploitation pour atténuer les retombées négatives des coupes rases, ne pas dessoucher, laisser les restes de branches au sol, réaliser un travail du sol très localisé autour des plants, respecter des voies de circulation pour limiter le tassement du sol, maintenir au moins 10–15 % d’arbres habitats pour héberger des espèces forestières spécialistes et replanter des essences natives diversifiées sont des pratiques préconisées. Marion Gosselin ajoute : « De façon générale, il est bénéfique de maintenir aussi des réserves intégrales et de régénérer les forêts par coupes progressives ou par petites trouées plutôt que par coupe rase. » La mise en pratique bute cependant sur des freins opérationnels ou économiques. « Il est nécessaire de trouver un équilibre entre ces recommandations et leur mise en œuvre : il est bien plus compliqué de réaliser un travail du sol très local que sur la parcelle entière », tempère Laurent Bergès. Jérôme Ogée complète : « Ces préconisations ne font pas l’objet de réglementations, et il faut désormais former les professionnels du secteur à ces bonnes pratiques. »
Le respect de ces recommandations reste d’autant plus important dans le contexte d’un climat qui change. « Il est probable que le changement climatique entraîne déjà plus de dépérissements des forêts en raison des épisodes de sécheresse, renseigne Laurent Bergès. Des bilans récents ont montré que la capacité de stockage du CO₂ par les écosystèmes forestiers a été divisée par deux en dix ans. » Jérôme Ogée ajoute : « Des essais en France ont montré que les canicules et la sécheresse provoquent des échecs de plantation suite à une coupe rase. » Sur ces terrains nus, les amplitudes de températures journalières sont plus élevées, les échanges radiatifs augmentent et le sol s’assèche en surface. À l’inverse, la présence d’un couvert arboré tempère les extrêmes climatiques, limitant leurs effets néfastes pour la survie des jeunes arbres. « Le changement climatique remet en cause les pratiques de sylviculture, qui ne sont plus adaptées aujourd’hui, conclut Laurent Bergès. Il est nécessaire de réfléchir à de nouveaux itinéraires sylvicoles, en tenant compte à chaque fois du contexte dans lequel se trouve la parcelle. »