Le changement climatique a‑t-il un impact sur les glissements de terrain ?
Gilles Grandjean. Les glissements de terrain (N.D.L.R. : les déplacements de masses de roches, de terres, etc., le long d’une pente) sont des processus multifactoriels : ils surviennent lorsque la pente du versant est suffisamment importante et la géologie propice. À cela, d’autres facteurs peuvent s’ajouter : les précipitations saturent par exemple les versants et favorisent leur déstabilisation. Ainsi, plus les précipitations augmentent, plus le nombre de glissements augmente, selon une corrélation qui peut varier spatialement1. Comme le changement climatique affecte les précipitations (en augmentant notamment la fréquence des évènements extrêmes), il impacte le risque de glissement de terrain. Il reste cependant très difficile d’établir le rôle direct du changement climatique lors de leur survenue.
Pourquoi ?
D’une part, parce que nous ne disposons pas d’une surveillance complète des glissements de terrain. Sur les très gros glissements qui bougent de façon régulière, comme Super-Sauze ou la Clapière dans les Alpes françaises, de nombreux capteurs sont installés : lasers, télémètres, radars, capteurs météo, etc. Cependant, de nombreux autres versants montagneux ne sont pas équipés. D’autre part, les glissements de terrain sont des processus extrêmement complexes. Nous nous appuyons sur des modèles numériques pour mieux les comprendre. Lors d’un glissement, la physique des matériaux peut être difficile à analyser : un même évènement peut être soumis aux lois physiques des matériaux cassants, visqueux, voire fluides, ce qui génère de la complexité dans nos modèles.
Observe-t-on déjà les effets du changement climatique sur les risques de glissement de terrain ?
Là encore, il est difficile de répondre précisément en raison du manque de données. Il n’existe pas de bases de données globales recensant de façon exhaustive l’ensemble des glissements de terrain. En France, la base de données Mouvements de terrain (BDMvt) souffre de ce problème, notamment dans les zones inhabitées où ces évènements sont peu répertoriés. Des équipes travaillent sur l’utilisation de l’imagerie satellite pour détecter systématiquement les glissements, mais des développements sont encore nécessaires.
En revanche, sur de petits territoires où des capteurs sont installés, nous constatons les effets du changement climatique. Nous observons ainsi une augmentation de la fréquence des instabilités gravitaires très fortement liée aux précipitations. On constate également que la base des glaciers fond en raison de la hausse des températures, ce qui libère beaucoup de sédiments – un ensemble de matériaux comme des graviers, du sable etc. – qui s’accumulent dans les torrents alentours. Or, lors de pluies intenses, l’eau très chargée en sédiments dévale les pentes, générant en aval des crues beaucoup plus dommageables et augmentant le risque de créer des embâcles (N.D.L.R. : une obstruction du cours d’eau).
Certains impacts du changement climatique permettent-ils au contraire de limiter les glissements de terrain ? Je pense par exemple à la migration des végétaux en altitude, qui pourrait stabiliser les versants.
C’est un sujet sur lequel la communauté scientifique se penche aujourd’hui. Les territoires de montagne s’adaptent en effet progressivement aux changements de climat : la pente est modifiée sous l’effet de l’érosion, des changements d’espèces végétales ont lieu, etc. Mais son évolution actuelle est tellement rapide que nous craignons que les versants n’aient pas le temps de s’adapter. Cela pourrait donner lieu à des évènements catastrophiques, dont des glissements de terrain. D’autre part, les impacts directs des activités humaines peuvent limiter l’adaptation naturelle des régions montagneuses.
Quels sont les autres impacts des activités humaines ?
L’anthropisation des territoires affecte également le risque de glissement de terrain. Les talus peuvent être fragilisés par la construction d’infrastructures (par exemple s’ils sont entaillés pour construire une route) ou le défrichage. Un autre effet qui peut être amplifié par l’anthropisation concerne l’érosion des berges. Lorsque l’érosion est importante, les berges peuvent devenir instables et de petits glissements s’initier. Par un effet régressif, ils peuvent générer un glissement plus important sur tout le versant.

Enfin, le risque est défini comme le croisement d’un phénomène naturel et de la vulnérabilité des zones habitées : même si un glissement survient, sans infrastructures ou populations, le risque est nul. En construisant plus d’infrastructures dans les territoires montagneux, on démultiplie la vulnérabilité et on augmente ainsi le risque.
Quelles seront les retombées futures du changement climatique sur le risque de glissement de terrain ?
De façon générale le risque ne va pas diminuer, en raison de la multiplication des infrastructures en montagne. Mais il est impossible de tirer d’autres constats généraux. Dans une étude parue en 2018, nous avons évalué les risques futurs dans des vallées pyrénéennes et alpines sur la base de scénarios du GIEC, et socio-économiques construits avec les acteurs locaux2. Nous constatons des résultats très variés : le risque augmente dans certaines zones, mais pas partout. Tout dépend de l’orientation de la vallée, de sa latitude, de sa vulnérabilité, etc. Évaluer l’impact du changement climatique impose de faire des études propres à chaque vallée.
Est-il possible de prévenir et limiter ces impacts du changement climatique ?
La communauté scientifique est fortement mobilisée sur ces sujets, notamment au sein du programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR) Risques coordonné par le BRGM avec le CNRS et l’Université Grenoble Alpes. Nous travaillons également sur des projets sur les risques en montagne, comme IRIMONT et VIGIMONT, avec l’ANR, en développant notamment des systèmes d’alerte précoces.
Il existe des solutions pour réduire le risque, mais des problèmes se posent. Par exemple, certaines solutions fondées sur la nature consistent à laisser des espaces naturels autour des rivières pour absorber les crues, ou encore à replanter les versants, ce qui peut limiter le développement d’activités économiques. L’autre problème concerne la vulnérabilité des infrastructures. Lorsque des travaux réduisent la probabilité de glissement de terrain, cela peut inciter à en construire plus. Or ces aménagements – grillages, murs de soutènement, etc. – demandent de l’entretien. En son absence et si l’infrastructure cède, le risque de glissement de terrain est encore plus élevé qu’avant en raison des nouvelles constructions. D’autant que ces aménagements sont parfois adaptés à un climat passé et que les normes ne correspondent plus aux aléas climatiques actuels ou futurs.