Généré par l'IA / Generated using AI
π Planète
Cycle de l’eau : comment faire face au dérèglement climatique

Le changement climatique augmente le risque de glissement de terrain

Gilles Grandjean, co-directeur du programme scientifique PEPR France 2030 Risques (IRiMa)
Le 11 mars 2025 |
4 min. de lecture
Gilles Granjean
Gilles Grandjean
co-directeur du programme scientifique PEPR France 2030 Risques (IRiMa)
En bref
  • Le changement climatique accroît les risques de glissement de terrain, mais son rôle précis dans leur survenue reste encore difficile à établir.
  • Si des capteurs sont installés pour surveiller les glissements de terrain les plus importants, de nombreux versants montagneux ne sont pas équipés à cet effet.
  • Dans certains territoires, on observe une augmentation de la fréquence des instabilités gravitaires en lien avec les précipitations (notamment en raison du changement climatique).
  • L’anthropisation des territoires influence les risques de glissement : les talus peuvent par exemple être fragilisés par la construction d’infrastructures ou le défrichement.
  • Le programme national de recherche (PEPR) Risques (IRiMa), coordonné par le BRGM avec le CNRS et l’Université Grenoble Alpes, est fortement mobilisé pour prévenir et limiter ces impacts du changement climatique.

Le changement climatique a‑t-il un impact sur les glissements de terrain ?

Gilles Grand­jean. Les glisse­ments de ter­rain (N.D.L.R. : les déplace­ments de mass­es de roches, de ter­res, etc., le long d’une pente) sont des proces­sus mul­ti­fac­to­riels : ils survi­en­nent lorsque la pente du ver­sant est suff­isam­ment impor­tante et la géolo­gie prop­ice. À cela, d’autres fac­teurs peu­vent s’ajouter : les pré­cip­i­ta­tions sat­urent par exem­ple les ver­sants et favorisent leur désta­bil­i­sa­tion. Ain­si, plus les pré­cip­i­ta­tions aug­mentent, plus le nom­bre de glisse­ments aug­mente, selon une cor­réla­tion qui peut vari­er spa­tiale­ment1. Comme le change­ment cli­ma­tique affecte les pré­cip­i­ta­tions (en aug­men­tant notam­ment la fréquence des évène­ments extrêmes), il impacte le risque de glisse­ment de ter­rain. Il reste cepen­dant très dif­fi­cile d’établir le rôle direct du change­ment cli­ma­tique lors de leur survenue.

Pourquoi ?

D’une part, parce que nous ne dis­posons pas d’une sur­veil­lance com­plète des glisse­ments de ter­rain. Sur les très gros glisse­ments qui bougent de façon régulière, comme Super-Sauze ou la Clapière dans les Alpes français­es, de nom­breux cap­teurs sont instal­lés : lasers, télémètres, radars, cap­teurs météo, etc. Cepen­dant, de nom­breux autres ver­sants mon­tag­neux ne sont pas équipés. D’autre part, les glisse­ments de ter­rain sont des proces­sus extrême­ment com­plex­es. Nous nous appuyons sur des mod­èles numériques pour mieux les com­pren­dre. Lors d’un glisse­ment, la physique des matéri­aux peut être dif­fi­cile à analyser : un même évène­ment peut être soumis aux lois physiques des matéri­aux cas­sants, visqueux, voire flu­ides, ce qui génère de la com­plex­ité dans nos modèles.

Observe-t-on déjà les effets du changement climatique sur les risques de glissement de terrain ?

Là encore, il est dif­fi­cile de répon­dre pré­cisé­ment en rai­son du manque de don­nées. Il n’existe pas de bases de don­nées glob­ales recen­sant de façon exhaus­tive l’ensemble des glisse­ments de ter­rain. En France, la base de don­nées Mou­ve­ments de ter­rain (BDMvt) souf­fre de ce prob­lème, notam­ment dans les zones inhab­itées où ces évène­ments sont peu réper­toriés. Des équipes tra­vail­lent sur l’utilisation de l’imagerie satel­lite pour détecter sys­té­ma­tique­ment les glisse­ments, mais des développe­ments sont encore nécessaires.

En revanche, sur de petits ter­ri­toires où des cap­teurs sont instal­lés, nous con­sta­tons les effets du change­ment cli­ma­tique. Nous obser­vons ain­si une aug­men­ta­tion de la fréquence des insta­bil­ités grav­i­taires très forte­ment liée aux pré­cip­i­ta­tions. On con­state égale­ment que la base des glac­i­ers fond en rai­son de la hausse des tem­péra­tures, ce qui libère beau­coup de sédi­ments – un ensem­ble de matéri­aux comme des graviers, du sable etc. – qui s’accumulent dans les tor­rents alen­tours. Or, lors de pluies intens­es, l’eau très chargée en sédi­ments dévale les pentes, générant en aval des crues beau­coup plus dom­mage­ables et aug­men­tant le risque de créer des embâ­cles (N.D.L.R. : une obstruc­tion du cours d’eau).

Certains impacts du changement climatique permettent-ils au contraire de limiter les glissements de terrain ? Je pense par exemple à la migration des végétaux en altitude, qui pourrait stabiliser les versants.

C’est un sujet sur lequel la com­mu­nauté sci­en­tifique se penche aujourd’hui. Les ter­ri­toires de mon­tagne s’adaptent en effet pro­gres­sive­ment aux change­ments de cli­mat : la pente est mod­i­fiée sous l’effet de l’érosion, des change­ments d’espèces végé­tales ont lieu, etc. Mais son évo­lu­tion actuelle est telle­ment rapi­de que nous craignons que les ver­sants n’aient pas le temps de s’adapter. Cela pour­rait don­ner lieu à des évène­ments cat­a­strophiques, dont des glisse­ments de ter­rain. D’autre part, les impacts directs des activ­ités humaines peu­vent lim­iter l’adaptation naturelle des régions montagneuses.

Quels sont les autres impacts des activités humaines ?

L’anthropisation des ter­ri­toires affecte égale­ment le risque de glisse­ment de ter­rain. Les talus peu­vent être frag­ilisés par la con­struc­tion d’infrastructures (par exem­ple s’ils sont entail­lés pour con­stru­ire une route) ou le défrichage. Un autre effet qui peut être ampli­fié par l’anthropisation con­cerne l’érosion des berges. Lorsque l’érosion est impor­tante, les berges peu­vent devenir insta­bles et de petits glisse­ments s’initier. Par un effet régres­sif, ils peu­vent génér­er un glisse­ment plus impor­tant sur tout le versant.

Enfin, le risque est défi­ni comme le croise­ment d’un phénomène naturel et de la vul­néra­bil­ité des zones habitées : même si un glisse­ment survient, sans infra­struc­tures ou pop­u­la­tions, le risque est nul. En con­stru­isant plus d’infrastructures dans les ter­ri­toires mon­tag­neux, on démul­ti­plie la vul­néra­bil­ité et on aug­mente ain­si le risque.

Quelles seront les retombées futures du changement climatique sur le risque de glissement de terrain ?

De façon générale le risque ne va pas dimin­uer, en rai­son de la mul­ti­pli­ca­tion des infra­struc­tures en mon­tagne. Mais il est impos­si­ble de tir­er d’autres con­stats généraux. Dans une étude parue en 2018, nous avons éval­ué les risques futurs dans des val­lées pyrénéennes et alpines sur la base de scé­nar­ios du GIEC, et socio-économiques con­stru­its avec les acteurs locaux2. Nous con­sta­tons des résul­tats très var­iés : le risque aug­mente dans cer­taines zones, mais pas partout. Tout dépend de l’orientation de la val­lée, de sa lat­i­tude, de sa vul­néra­bil­ité, etc. Éval­uer l’impact du change­ment cli­ma­tique impose de faire des études pro­pres à chaque vallée.

Est-il possible de prévenir et limiter ces impacts du changement climatique ?

 La com­mu­nauté sci­en­tifique est forte­ment mobil­isée sur ces sujets, notam­ment au sein du pro­gramme et équipement pri­or­i­taire de recherche (PEPR) Risques coor­don­né par le BRGM avec le CNRS et l’Université Greno­ble Alpes. Nous tra­vail­lons égale­ment sur des pro­jets sur les risques en mon­tagne, comme IRIMONT et VIGIMONT, avec l’ANR, en dévelop­pant notam­ment des sys­tèmes d’alerte précoces.

Il existe des solu­tions pour réduire le risque, mais des prob­lèmes se posent. Par exem­ple, cer­taines solu­tions fondées sur la nature con­sis­tent à laiss­er des espaces naturels autour des riv­ières pour absorber les crues, ou encore à replanter les ver­sants, ce qui peut lim­iter le développe­ment d’activités économiques. L’autre prob­lème con­cerne la vul­néra­bil­ité des infra­struc­tures. Lorsque des travaux réduisent la prob­a­bil­ité de glisse­ment de ter­rain, cela peut inciter à en con­stru­ire plus. Or ces amé­nage­ments – gril­lages, murs de soutène­ment, etc. – deman­dent de l’entretien. En son absence et si l’infrastructure cède, le risque de glisse­ment de ter­rain est encore plus élevé qu’avant en rai­son des nou­velles con­struc­tions. D’autant que ces amé­nage­ments sont par­fois adap­tés à un cli­mat passé et que les normes ne cor­re­spon­dent plus aux aléas cli­ma­tiques actuels ou futurs.

Propos recueillis par Anaïs Marechal
1https://​www​.research​gate​.net/​p​u​b​l​i​c​a​t​i​o​n​/​3​8​5​0​0​9​4​7​0​_​A​s​s​e​s​s​i​n​g​_​r​a​i​n​f​a​l​l​_​t​h​r​e​s​h​o​l​d​_​f​o​r​_​s​h​a​l​l​o​w​_​l​a​n​d​s​l​i​d​e​s​_​t​r​i​g​g​e​r​i​n​g​_​a​_​c​a​s​e​_​s​t​u​d​y​_​i​n​_​t​h​e​_​A​l​p​e​s​_​M​a​r​i​t​i​m​e​s​_​r​e​g​i​o​n​_​F​r​a​n​c​e​#​f​u​l​l​T​e​x​t​F​i​l​e​C​o​ntent
2https://www.mdpi.com/2225–1154/6/4/92

Le monde expliqué par la science. Une fois par semaine, dans votre boîte mail.

Recevoir la newsletter