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Des engrais intelligents pour protéger le climat

Graeme Nicol
Graeme Nicol
directeur de recherche CNRS en écologie microbienne des sols à l'Ecole Centrale de Lyon

Depuis le XIXe siè­cle, nous savons que cer­tains micro-organ­ismes jouent un rôle-clé dans le cycle de l’a­zote en pro­duisant des formes d’azote util­is­ables par les plantes. L’ob­jec­tif des engrais azotés util­isés en agri­cul­ture est ain­si d’accélérer ce cycle, mais leurs con­séquences sur l’en­vi­ron­nement et l’é­conomie sont dra­ma­tiques. Une dis­tri­b­u­tion « intel­li­gente » de l’a­zote, plus pro­gres­sive et plus lente, pour­rait dès lors per­me­t­tre de lim­iter bon nom­bre de ces effets négatifs.

Des engrais pour enrichir le sol en azote

Pour se dévelop­per, les plantes ont besoin d’a­zote, qu’elles obti­en­nent soit grâce à de l’am­mo­ni­um, soit grâce à des nitrates (deux molécules rich­es en azote). L’am­mo­ni­um, qui se retrou­ve naturelle­ment dans le sol, est for­mé par la décom­po­si­tion de matière organique, par des dépôts pro­duits par la foudre, mais surtout par la fix­a­tion de l’a­zote atmo­sphérique dans les nod­ules des plantes légu­mineuses, à rai­son de 110 mil­lions de tonnes par an. Le nitrate, quant à lui, est le résul­tat de la trans­for­ma­tion de l’am­mo­ni­um par des micro-organismes.

Même si les plantes sont capa­bles d’ab­sorber ces deux molécules, c’est la trans­for­ma­tion de l’am­mo­ni­um en nitrate qui a des con­séquences majeures pour les sys­tèmes agri­coles. Les grandes quan­tités d’a­zote (100 mil­lions de tonnes sup­plé­men­taires par an) ajoutées aux sols sous forme d’en­grais accélèrent l’ac­tiv­ité micro­bi­enne, ce qui entraîne une sur­pro­duc­tion de nitrates.

Cet excès de nitrate a un impact négatif sur l’en­vi­ron­nement, car il rend l’a­zote plus mobile, aug­men­tant ain­si son poten­tiel de dégra­da­tion de l’environnement. Les nitrates pol­lu­ent ain­si les eaux de ruis­selle­ment et les riv­ières, con­t­a­mi­nent les ressources souter­raines en eau potable et favorisent la pro­liféra­tion d’algues. Ils sont égale­ment à l’origine d’une aug­men­ta­tion sub­stantielle des émis­sions d’oxyde nitreux (N2O), le troisième gaz à effet de serre le plus répan­du (après le CO2 et le CH4), et dont les con­cen­tra­tions ont aug­men­té de 20 % depuis l’époque préin­dus­trielle. Le N2O sera égale­ment le com­posé prin­ci­pale­ment respon­s­able de l’ap­pau­vrisse­ment de l’o­zone stratosphérique au XXIe siècle.

Les nitrates pol­lu­ent ain­si les eaux de ruis­selle­ment et les riv­ières, con­t­a­mi­nent les ressources souter­raines en eau potable et favorisent la pro­liféra­tion d’algues.

Les engrais intelligents : libérer l’azote progressivement

Le prin­ci­pal effet des engrais dits « intel­li­gents » est de libér­er l’a­zote dans le sol de façon pro­gres­sive, au fil des semaines. Cela per­met ain­si aux plantes d’en absorber une plus grande pro­por­tion, et d’accroître leur effi­cac­ité. Par con­séquent, l’ac­tiv­ité des micro-organ­ismes du sol est réduite, et la part de l’ammonium con­ver­tie en nitrates se réduit. Résul­tat : les nitrates sont moins drainés dans les cours d’eau, et pol­lu­ent moins l’environnement.

L’un des autres avan­tages des engrais à libéra­tion pro­gres­sive est de réduire les émis­sions dan­gereuses de N2O. Des études ont mon­tré que l’utilisation à grande échelle et sur une courte péri­ode d’en­grais à base d’am­mo­ni­um favori­sait la crois­sance de pop­u­la­tions de micro-organ­ismes capa­bles d’exploiter ces con­cen­tra­tions élevées. Il en résulte une aug­men­ta­tion spec­tac­u­laire de l’ac­tiv­ité de cer­taines pop­u­la­tions micro­bi­ennes, notam­ment celles qui con­tribuent le plus aux émis­sions d’oxyde nitreux (N2O). L’u­til­i­sa­tion d’un engrais à libéra­tion lente per­met donc d’éviter la surac­tiv­ité de ces micro-organ­ismes, et de réduire les émissions.

Mais si les engrais à libéra­tion pro­gres­sive répon­dent effi­cace­ment à cer­tains des prob­lèmes posés par les engrais tra­di­tion­nels, ce n’est pas la seule approche envis­age­able. Une autre méth­ode con­siste à utilis­er des inhib­i­teurs pour lim­iter la crois­sance des pop­u­la­tions bac­téri­ennes qui sont à l’o­rig­ine des con­séquences néfastes de la trans­for­ma­tion de l’a­zote. L’idée n’est pas de les sup­primer, ni de les stérilis­er, mais plutôt de les affamer, afin de con­trôler leur activ­ité. Cela garan­tit donc que les cul­tures agri­coles aient accès à la majeure par­tie de l’en­grais azoté ajouté – en évi­tant qu’il ne soit trans­for­mé par des bac­téries. Cela per­met à la fois de mieux con­trôler le bilan azoté du sol, et de réduire les quan­tités d’engrais util­isées. Ces deux approches ne sont bien sûr pas exclu­sives. Toute solu­tion per­me­t­tant de réduire la pol­lu­tion liée à l’a­zote dans l’a­gri­cul­ture inten­sive est la bienvenue.

Auteurs

Graeme Nicol

Graeme Nicol

directeur de recherche CNRS en écologie microbienne des sols à l'Ecole Centrale de Lyon

Graeme Nicol était auparavant maître de conférences à l'Université d'Aberdeen en Écosse. Il a rejoint l'École centrale de Lyon en 2015 en tant que titulaire de la chaire du Fonds AXA pour la recherche en ingénierie des écosystèmes et écologie microbienne. Ses recherches portent sur la compréhension de la contribution des microorganismes au cycle de l'azote dans le sol.

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