Pourquoi ce n’est pas si simple de calculer les émissions mondiales de gaz à effet de serre
- Selon les inventaires nationaux territoriaux encadrés par le GIEC, les plus gros émetteurs de GES sont, dans l’ordre, la Chine, les États-Unis et l’UE.
- Toutefois, les niveaux de précision peuvent varier d’un secteur à l’autre, car les rejets de GES ne sont pas toujours calculés sur la même base de paramètres.
- Le choix de l’indicateur des émissions de GES modifie sensiblement les résultats, voire le classement des pays émetteurs.
- L’empreinte carbone, qui prend en compte les émissions liées à la consommation des citoyens – dont les importations, est notamment à considérer.
- En 2019, la moitié de la population était responsable de 12 % des émissions mondiales – contre les plus riches qui étaient responsables de près de 50 %.
Qui est responsable des émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le monde ? Quel pays est exemplaire, quels citoyens sont des contributeurs majeurs ? La réponse est loin d’être simple. Et pour cause : il n’existe aucune mesure directe des émissions de GES à l’échelle des États. La mesure des rejets de GES liés aux activités humaines repose sur des estimations indirectes. Par exemple, il est possible de croiser les données de vente de carburant à leur facteur d’émission (c’est-à-dire la quantité de GES émis par unité d’énergie) pour estimer les émissions liées au transport. Ce bilan peut être réalisé pour chacun des secteurs émettant ou captant des GES : l’énergie, les procédés industriels, l’agriculture, l’utilisation des terres et les déchets.
Les lacunes de l’indicateur
La Chine s’établit en tête avec 11,2 Gt de CO2e émis en 2014, suivie par les États-Unis (5,7 Gt CO2e en 2019), l’Union Européenne (3,3 Gt CO2e en 2019) et l’Inde (2,5 Gt CO2e en 2016). Ces chiffres sont ceux des inventaires nationaux territoriaux, encadrés par le protocole de Kyoto depuis 2005. Ils comptabilisent sept GES (CO2, CH4, N2O, HFC, PFC, SF6 et NF3) selon une méthode définie par le Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat (GIEC). Chaque pays de l’Annexe I de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (soit 43 États, dont l’Union européenne1) a l’obligation de présenter son inventaire national de GES chaque année. Cette obligation va être étendue à l’ensemble des pays membres à partir de 2024.
Les niveaux utilisés varient d’un secteur à l’autre, d’un pays à l’autre.
Faut-il s’arrêter à cette méthode de calcul ? « Cet indicateur a une visée politique, il est très utile pour définir les outils permettant de mettre en œuvre les stratégies nationales de réduction des émissions de GES. », commente Étienne Mathias, expert secteur des terres au Citepa, l’organisme en charge du calcul de l’inventaire en France. Il présente cependant plusieurs lacunes pour une comparaison internationale. « Le GIEC définit des lignes directrices avec différents niveaux de précision, détaille Julien Vincent, responsable méthodologie des inventaires au Citepa. Les rejets peuvent être calculés sur la base de paramètres par défaut (niveau 1), représentatifs du niveau national (niveau 2), voire même raffinés à l’échelle d’un site d’émission de GES (niveau 3). »
Les niveaux utilisés varient d’un secteur à l’autre, d’un pays à l’autre. Si cela n’influence que peu le calcul des émissions de CO2 liées à l’énergie, d’autres secteurs peuvent présenter une grande variabilité entre les États. « Les émissions fugitives liées à l’extraction de pétrole et de gaz (par exemple les fuites de méthane) présentent des incertitudes très élevées, même pour les pays développés. », affirme Julien Vincent. Étienne Mathias complète : « Les rejets liés à l’agriculture et surtout au secteur des terres présentent de plus grandes incertitudes, qui peuvent aller jusqu’à plusieurs millions de tonnes de GES, notamment car beaucoup de pays non développés disposent de peu de données d’activités et de facteurs d’émissions. » Autre limite : seuls 48 États ont déjà transmis au moins un inventaire à ce jour.
Nouvel indicateur, nouveaux résultats
Pour combler ces lacunes, intéressons-nous à l’un des projets fournissant des cartes de rejets de GES harmonisées sur toute la planète : l’indicateur ClimateWatch2 du World Resources Institute. Il compile plusieurs bases de données internationales. Si le classement reste inchangé, on y observe cette fois que l’ensemble des 10 pays les plus émetteurs rejettent plus de GES que le reste du monde. Le bilan s’établit, pour l’année 2019, à 12 Gt CO2e pour la Chine (en forte hausse depuis le début des années 2000), contre 19,7 Gt CO2e pour le reste du monde.
Attention à l’indicateur observé
Le choix de l’indicateur peut faire varier fortement le classement. Par exemple, inclure ou non le secteur des terres dans le bilan (souvent indiqué sous l’abréviation UTCF). Ce secteur prend en compte l’usage des sols, le changement d’usage et les forêts : sources et puits de carbone y sont donc comptabilisés. « Si l’objectif est de regarder l’évolution des émissions, il est logique d’exclure les puits de carbone », appuie Étienne Mathias. Si la Chine et les États-Unis restent en tête du classement, l’Inde et l’UE se retrouvent désormais au coude à coude lorsque le secteur des terres est exclu du bilan. À l’inverse, l’Indonésie passe de la 8ème à la 5ème place du classement en incluant l’UTCF, en passant de 1 Gt CO2e à 1,96 Gt CO2e : cela témoigne de la déforestation importante dans le pays.
Autre point d’attention : les émissions considérées. Certains indicateurs incluent l’ensemble des GES (exprimés en CO2e), d’autres uniquement le CO2. Cela diminue le poids de certains secteurs dans le bilan, comme l’agriculture qui émet principalement du méthane (CH4) et du protoxyde d’azote (N2O).
Alors comment s’expliquent des émissions si élevées pour des pays comme la Chine ? En partie par leur nombre d’habitants. Sur la base de l’indicateur ClimateWatch pour 2019, les citoyens émettant le plus de GES sont ceux des Iles Salomon (69,2 t CO2e/habitant/an), du Qatar (40,5 t CO2e/hab/an) et du Bahreïn (33,1 t CO2e/hab/an). Chaque citoyen chinois contribue à rejeter 8,41 t CO2e chaque année. En Inde, le 4ème pays le plus émetteur de GES au monde, les émissions ne s’élèvent qu’à 2,4 tonnes de CO2e/hab/an.
L’empreinte carbone bouleverse les classements
Autre perspective intéressante : l’empreinte carbone. Jusqu’à présent, les indicateurs évoqués ne reflétaient que les émissions des citoyens sur leur propre territoire. Or certains pays comme la Chine sont d’importants exportateurs de biens et de services. L’empreinte carbone considère, elle, les émissions liées à la consommation des citoyens. Elle additionne ainsi les émissions des ménages, de la production intérieure et des importations auxquelles sont soustraites les émissions associées aux exportations. Par exemple, pour le cas de la France, alors que les émissions territoriales s’élèvent à 5,4 t CO2e/hab/an, l’empreinte carbone grimpe à 8,9 t CO2e/hab/an en 2021 selon le Service des données et études statistiques3. En effet, plus de la moitié de l’empreinte carbone des Français provient des biens et services importés ainsi que des matières premières ou produits semi-finis importés.
Il n’existe pas de méthode harmonisée de calcul de l’empreinte carbone au niveau mondial. Selon la base de données Exiobase4, une part importante des émissions de la Chine est due à la production de biens et services pour l’Europe ou les États-Unis. Si la Chine représente 24,1 % des émissions mondiales de GES, ce chiffre tombe à 19,2 % lorsqu’on considère son empreinte carbone, derrière l’Europe (20,2 % de l’empreinte carbone mondiale) et les États-Unis (19,8 % de l’empreinte carbone mondiale).
Il n’existe pas de méthode harmonisée de calcul de l’empreinte carbone au niveau mondial.
« Il faut bien garder en tête ce qu’illustre chacun des indicateurs, ils ont tous un objectif différent, appuie Julien Vincent. Par exemple, les émissions par habitant sont des moyennes et elles ne représentent pas les niveaux de revenus et autres inégalités sociales. » Dans un article publié dans Nature Sustainability en 20225, Lucas Chancel estime qu’en 2019, la moitié de la population était responsable de 12 % des émissions mondiales de GES. Les 10 % les plus riches étaient quant à eux responsables de 48 % des émissions mondiales de GES la même année.