Comment surveiller le changement climatique depuis l’espace
À la suite de la COP26 à Glasgow, il a beaucoup été question du suivi de l’évolution du changement climatique et de ses effets. Dans l’équipe du Laboratoire de météorologie dynamique (LMD), nous nous concentrons sur l’observation de la Terre à l’aide de satellites afin d’améliorer notre compréhension du climat, de notre planète et des changements qui s’y produisent. Cela est possible principalement grâce aux progrès de la technologie et à notre capacité à analyser les données recueillies.
Observer la Terre depuis le ciel
Nous avons deux objectifs lorsque nous observons la Terre depuis l’espace. Le premier est de répondre à des questions aussi larges et fondamentales que : comment la Terre est-elle devenue ce qu’elle est aujourd’hui ? Comment évolue-t-elle ? Mais nous nous intéressons également à des phénomènes plus précis, afin d’apporter une réponse aux grands problèmes de société actuels. Cela consiste notamment à aiguiller les objectifs de développement durable des Nations Unies (dont beaucoup sont liés au climat1) ou à tenter de mieux comprendre les catastrophes naturelles que sont les ouragans ou les tremblements de terre.
Les efforts se font à l’échelle mondiale, les différents États se concentrant sur divers domaines techniques. Le Centre national d’études spatiales (CNES) français a longtemps eu la NASA pour partenaire principal, aux côtés de l’Agence spatiale européenne (ESA).
Mais ces dernières années, nous avons assisté à de grands changements dans le secteur de l’observation de la Terre. Les collaborations avec l’Inde, la Chine, ainsi que d’autres agences européennes plus modestes – comme l’Allemagne et le Royaume-Uni – se sont multipliées. Et, avec l’avènement des nanosatellites (de minuscules satellites, très légers et conçus pour des missions très spécifiques), des dizaines de nouvelles agences spatiales plus petites ont été créées dans le monde entier, afin de travailler sur divers projets – il y en a tellement que nous avons du mal à tous les suivre !
Le domaine a également reçu une reconnaissance publique et politique – notamment grâce à la COP21 de 2015, durant laquelle deux programmes spatiaux français dédiés à la surveillance du CO2 et du CH4 ont été sélectionnés : MicroCarb2 et Merlin3. Ajoutons à cela l’autre game changer : le programme spatial européen Copernicus4. Opérationnel depuis 2014, il comprend désormais 8 satellites (appelés Sentinelles) en orbite autour du globe, et dont chacun observe différents compartiments du système terrestre. Dix autres sont en préparation pour des lancements continus jusqu’en 2030, et nous planifions déjà le prochain programme en prévoyant au moins 6 autres !
Le programme garantit un accès libre aux informations recueillies par les satellites dans les domaines de l’environnement et de la sécurité à l’échelle mondiale, afin d’aider les prestataires de services, les autorités publiques ainsi que d’autres organisations internationales. Toutes les données de Copernicus sont également open source, c’est-à-dire qu’elles sont librement accessibles pour tous les laboratoires, agences et autres acteurs du monde entier qui souhaiteraient les utiliser (y compris les entreprises commerciales). L’un de ses plus grands utilisateurs reste cependant la communauté scientifique.
Innover pour améliorer les mesures
En France, nous avons développé trois domaines d’excellence qui nous permettent d’étudier les changements précis des variables climatiques dites « essentielles » : l’altimétrie, l’imagerie optique et le sondage atmosphérique. Les variables géophysiques étudiées sont au nombre de 54, et contribuent de manière critique à la caractérisation du climat de la Terre. Environ 60 % de ces variables ne peuvent être appréhendées que grâce à des données satellitaires.
Grâce à l’altimétrie, issue des missions pionnières TOPEX/Poséidon, Jason et maintenant Sentinel‑6, nous pouvons suivre sur le long terme le niveau de la mer, un facteur extrêmement important du changement climatique. Notre système peut enregistrer les variations de la profondeur des océans, et est capable de repérer la hausse annuelle de 3,3 millimètres qui est à l’origine de la montée totale du niveau des mers de 10 centimètres au cours des 30 dernières années !
L’imagerie optique nous permet quant à elle de suivre ce qui se passe sur Terre avec une résolution spatiale extrême (jusqu’à 10 mètres). Grâce à cette technique, des missions comme TRISHNA nous permettent d’analyser l’humidité des sols, et de suivre les récoltes depuis le ciel afin d’enregistrer les changements induits par l’homme à la surface de la planète5.
Enfin, les sondeurs atmosphériques nous permettent de mesurer le rayonnement provenant des différentes couches de l’atmosphère dans tout le spectre lumineux – même celui que nous ne pouvons pas voir – afin de fournir des indications sur la présence de gaz à effet de serre et d’autres polluants importants. Ces mesures sont essentielles pour comprendre la composition de l’atmosphère terrestre et, surtout, la façon dont elle évolue dans le temps en raison de l’activité humaine. L’instrument IASI développé par le CNES en coopération avec l’Organisation européenne pour l’exploitation de satellites météorologiques (EUMETSAT)67 a récemment fourni une vue unique sur le transport à travers le monde du monoxyde de carbone émis par les dramatiques incendies californiens, et a permis de suivre plusieurs tempêtes désertiques responsables du « ciel jaune » en Europe.
Traitement des données de retour sur terre
Les satellites effectuent diverses mesures depuis la haute atmosphère, mais la plupart des données sont analysées au sol. Cependant, il est très rare que nous puissions mesurer directement ce dont nous avons besoin. Afin de donner du sens aux mesures satellitaires, nous devons les interpréter en termes d’informations géophysiques grâce à des algorithmes capables de transformer les données en informations utiles, notamment en utilisant le machine learning. De plus, pour compléter les informations déjà fournies par les réseaux d’observation au sol, nous devons atteindre un haut niveau de précision. Par exemple, pour isoler les très petites signatures du changement climatique, nous devons être capables de détecter une tendance de 0,1 Kelvin d’augmentation annuelle… grâce à des mesures effectuées à 800 kilomètres de la surface !
Un autre défi consiste à créer un système d’observation intégré, capable de combiner à la fois les données spatiales et les mesures effectuées à la surface ou dans les airs [à l’aide de ballons météorologiques ou d’avions de recherche]. Notre objectif : relier ces observations entre elles afin de générer du sens. Et pour cela, nous avons besoin de mesures précises et de modèles numériques du système terrestre pour les assimiler.
Planifier la prochaine étape
Ce dont nous avons besoin pour les années à venir, c’est d’innovation… et de plus de continuité entre les missions spatiales. L’innovation pour observer de nouvelles variables géophysiques (comme la convection des nuages) et pour améliorer les observations. Pour permettre l’étude des processus à basse échelle, il faudrait augmenter la résolution spatiale de 10 à 2 mètres en cartographie, et de 75 à 15 kilomètres en altimétrie.
La continuité est quant à elle nécessaire pour suivre le changement global : si l’on considère les études climatiques, il faut au moins 20 ans pour percevoir des tendances dans les données. Dans les années 50, les missions ne duraient que 5 ans. De nos jours, nous sommes plus proches de 12 ans. Malgré cela, nous avons toujours besoin d’une plus grande permanence, associée à la capacité de relier les données d’une plateforme à l’autre : c’est la clé si nous voulons faire des comparaisons dans les données climatiques recueillies à différentes périodes.
En conséquence, nous avons besoin de programmes à long terme avec des budgets à long terme. Et c’est également un défi du point de vue de la gestion ! Par exemple, la mission IASI a été conçue dès le départ pour durer 20 ans, en construisant trois satellites avant 2006, dont un a été lancé immédiatement et les deux autres ont été stockés pendant 4 à 8 ans. Au cours de cette période, la technologie peut évoluer et les ingénieurs peuvent changer de poste ou partir à la retraite, emportant avec eux leurs compétences et leur savoir-faire. Or nous prévoyons déjà le lancement de trois autres missions en 2023, 2030 et 2037, et nous devons donc être en mesure de retenir nos ingénieurs et de garantir que les satellites vieillissent bien pendant qu’ils attendent dans le hangar, plus de dix ans avant leur lancement !