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Comment le changement climatique modifiera notre consommation d’énergie

Philippe Drobinski
Philippe Drobinski
directeur de recherche au sein du Laboratoire de Météorologie Dynamique (LMD*) du CNRS et professeur à l'École polytechnique (IP Paris)
En bref
  • Le réchauffement climatique entraîne une diminution globale des besoins en chauffage, bien que cette tendance varie selon les régions et les saisons.
  • En France, la diminution des besoins en chauffage s’accompagne d’une fragmentation de la consommation électrique, ce qui complique la gestion des pics de demande.
  • Le changement climatique augmente aussi les besoins en climatisation, surtout dans les régions tropicales, ce qui contrebalance la baisse des besoins en chauffage.
  • Les choix sociétaux et les dynamiques d'adoption de la climatisation influencent fortement la consommation énergétique.
  • Il existe plusieurs méthodes pour améliorer le confort thermique des habitants : repeindre les bâtiments, isoler, végétaliser, etc.

Comment le changement climatique influence-t-il les besoins en chauffage ?

En moyenne, plus le cli­mat se réchauffe, plus les besoins en chauffage dimin­u­ent. Ce con­stat glob­al cache des dis­par­ités : cela varie selon les régions et les saisons. Les besoins sont notam­ment impor­tants lors des vagues de froid. Prenons l’exemple de la France, un cas par­ti­c­uli­er en rai­son de l’électrification impor­tante de notre sys­tème de chauffage. Nous subirons tou­jours des vagues de froid, mais moins fréquem­ment. Or nos besoins en chauffage vont, en moyenne, dimin­uer avec le change­ment cli­ma­tique. La con­som­ma­tion élec­trique va donc se frag­menter et les pics seront de plus en plus élevés. Cela pour­rait être plus dif­fi­cile à gér­er pour le sys­tème électrique.

En 2023, les énergies renouvelables représentent 86 % des nouvelles capacités énergétiques installées1. Cette transition énergétique vers le renouvelable représente-t-elle un risque face à ces pics de consommation ?

En France, le sys­tème élec­trique est dimen­sion­né pour faire face aux pics de demande, les ges­tion­naires de réseaux sont très con­traints sur leur capac­ité à fournir de l’énergie. Mais cette grande vari­abil­ité de la con­som­ma­tion n’améliore pas les prob­lèmes liés à la vari­abil­ité de pro­duc­tion des éner­gies renou­ve­lables. Par ailleurs, toutes choses étant égales, le change­ment cli­ma­tique apporte une con­trainte com­plé­men­taire qui pour­rait impos­er un sur­di­men­sion­nement du système.

Et qu’en est-il des besoins en froid ?

Le change­ment cli­ma­tique affecte les besoins en cli­ma­ti­sa­tion. La prob­a­bil­ité de dépass­er un seuil de tem­péra­ture néces­si­tant de cli­ma­tis­er aug­mente avec le change­ment cli­ma­tique. La bande trop­i­cale est la région la plus con­cernée par les risques liés aux chaleurs extrêmes. Mais atten­tion, ces besoins énergé­tiques ne se traduisent pas for­cé­ment en con­som­ma­tion énergé­tique : est-ce que ces retombées du change­ment cli­ma­tique vont réelle­ment se traduire par la mise en place de plus de cli­ma­tiseurs ? C’est très dif­fi­cile à dire.

Quel est l’impact du change­ment cli­ma­tique sur la demande en énergie ?

Une autre méth­ode d’évaluation des retombées du change­ment cli­ma­tique est couram­ment employée. Elle repose sur l’estimation du nom­bre de jours de cli­ma­ti­sa­tion ou de chauffage néces­saire pour main­tenir un con­fort ther­mique dans les bâti­ments. Leur com­bi­nai­son four­nit une approx­i­ma­tion de la vari­a­tion de la demande en énergie. En inté­grant la démo­gra­phie, une étude estime qu’à l’échelle glob­ale, l’augmentation pro­gres­sive des besoins en cli­ma­ti­sa­tion va con­tre­bal­ancer la diminu­tion des besoins en chauffage dans de nom­breuses régions à tra­vers le monde, et ce, pour presque tous les scé­nar­ios d’émissions de gaz à effet de serre et niveaux de réchauf­fe­ment cli­ma­tique étudiés (1,5 °C, 2 °C, 3 °C ou 4 °C)23. Glob­ale­ment, la demande en énergie va aug­menter partout sauf sous les moyennes et hautes lat­i­tudes en Eurasie et au sud-ouest de l’Amérique du Sud. L’Afrique-Équatoriale et l’Inde sont par­ti­c­ulière­ment touchés par la hausse de la demande. Atten­tion : cet indi­ca­teur repose unique­ment sur les vari­a­tions de tem­péra­tures liées au change­ment cli­ma­tique et la démo­gra­phie. Il présente donc la lim­ite de ne pas pren­dre en compte les actions réelle­ment déployées par la population.

Quels sont les facteurs qui influencent les choix sociétaux lors des pics de chaleur ?

Les dynamiques d’adoption de la cli­ma­ti­sa­tion sont très vari­ables : elle est par exem­ple très répan­due aux États-Unis, beau­coup moins en Europe. Le type de cli­ma­ti­sa­tion employé varie lui aus­si. Avec mes col­lègues André Mounier et Louis-Gaë­tan Giraudet du CIRED, nous final­isons une étude encore non-pub­liée illus­trant les dif­férences de dynamique d’adoption entre cli­ma­tiseurs fix­es et cli­ma­tiseurs porta­bles. L’efficacité énergé­tique de ces derniers est deux fois moins bonne, avec des con­séquences poten­tielle­ment impor­tantes sur la con­som­ma­tion énergé­tique. Si l’augmentation ten­dan­cielle de la tem­péra­ture sem­ble expli­quer en large par­tie l’achat de cli­ma­tiseurs fix­es, les vagues de chaleur, plus ponctuelles, sem­blent davan­tage expli­quer l’achat de cli­ma­tiseurs portables.

La con­som­ma­tion énergé­tique dépasse la prob­lé­ma­tique du cli­mat, elle repose aus­si sur ces choix de société. Il existe plusieurs façons de lut­ter con­tre les pics de chaleur : repein­dre les bâti­ments, isol­er, végé­talis­er, installer des cli­ma­tiseurs… Une équipe menée par un chercheur français, Vin­cent Vigu­ié, mon­tre4 que les actions d’adaptation alter­na­tives à la cli­ma­ti­sa­tion sont utiles pour amélior­er le con­fort ther­mique des habi­tants et la con­som­ma­tion énergé­tique en Île-de-France. Opti­misées, elles réduisent la tem­péra­ture de l’air extérieur jusqu’à 4,2 °C la nuit. Elles ne peu­vent cepen­dant pas se sub­stituer totale­ment à la climatisation.

Dans ce contexte, est-il réellement possible d’anticiper les retombées du changement climatique sur les besoins en énergie ?

Con­ver­tir un besoin en énergie n’est pas sim­ple, cela repose sur les dynamiques d’adoption qui sont plutôt liées au développe­ment économique qu’au change­ment cli­ma­tique. Pour le cas de la France, la mod­éli­sa­tion des besoins en chauffage est plutôt aisée, car les tech­nolo­gies sont con­nues. En revanche c’est plus com­pliqué pour le froid. La cli­ma­ti­sa­tion n’est pas répan­due, nous dis­posons donc de peu de don­nées. Or, les don­nées his­toriques sont essen­tielles à toute simulation.

Peut-on espérer que la baisse des besoins en chauffage compense la hausse des besoins en climatisation ?

Les mod­èles reposant unique­ment sur le besoin, indépen­dam­ment des usages effec­tifs, mon­trent que c’est effec­tive­ment le cas à l’échelle glob­ale (cf encadré). Nous avons réal­isé des sim­u­la­tions à l’échelle de la France qui intè­grent aus­si des scé­nar­ios d’installation de cli­ma­tiseurs. Nous mon­trons que la con­som­ma­tion énergé­tique du ter­ri­toire devrait dimin­uer, et la con­som­ma­tion liée à la cli­ma­ti­sa­tion ne dépass­er la baisse du chauffage que dans des scé­nar­ios d’usage mas­sif de la cli­ma­ti­sa­tion. À l’échelle régionale, comme dans le sud de la France, la con­som­ma­tion élec­trique de cli­ma­ti­sa­tion excé­dant la con­som­ma­tion de chauffage est en revanche bien plus probable.

Anaïs Marechal
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2https://​library​.wmo​.int/​v​i​e​w​e​r​/​6​8​5​7​6​/​d​o​w​n​l​o​a​d​?​f​i​l​e​=​W​M​O​-​I​R​E​N​A​_​2​0​2​3​_​e​n​.​p​d​f​&​t​y​p​e​=​p​d​f​&​n​a​v​i​g​a​tor=1
3https://​rmets​.onlineli​brary​.wiley​.com/​d​o​i​/​1​0​.​1​0​0​2​/​j​o​c​.7328
4https://doi.org/10.1088/1748–9326/ab6a24

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