Comment concilier impact social et enjeux environnementaux ?
- Pour faire face au dérèglement climatique et à ses nouveaux enjeux, il est nécessaire d’opérer une transition socialement juste.
- La transition ne devra pas impacter négativement les secteurs et populations les plus vulnérables.
- Les critères non-financiers ESG peuvent être des leviers de transformation efficaces pour concilier enjeux environnementaux et enjeux sociaux.
- Des moyens d’action comme la participation des salariés à la gouvernance de l’entreprise ou l’indexation des rémunérations des dirigeants, semblent avoir un impact positif global.
Pour faire face au changement climatique, et adapter nos économies et nos sociétés à ses enjeux pressants, il faudra opérer une transition. Comment faire pour que cette transition soit la plus juste possible ? Pour l’Organisation internationale du Travail, une transition juste consiste à « rendre l’économie plus verte d’une manière qui soit aussi équitable et inclusive que possible pour toutes les personnes concernées, en créant des opportunités de travail décent et en ne laissant personne de côté ». La même idée de transition juste figurait déjà dans l’Accord de Paris de 2015.
Le contexte actuel rend ce défi d’autant plus périlleux, entre les conséquences de la pandémie de Covid-19, l’impact économique de la guerre en Ukraine et l’inflation grimpante. Il est fondamental de revoir en profondeur la structure de notre économie, sans creuser les inégalités donc, mais sans freiner non plus les investissements allant dans le sens de la transition énergétique. Or, une transition profonde implique automatiquement des changements profonds, donc la création et la destruction d’activité pour de multiples secteurs, ainsi que des impacts sociaux difficiles à prévoir.
Prendre en compte des critères économiques et sociaux pertinents
Pour relever le défi d’une transition juste, les critères non-financiers ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) peuvent jouer un rôle important. Ils offrent un contour clair aux efforts des acteurs économiques, de la finance et des entreprises dans la remise en question de leurs pratiques et de leurs stratégies. À partir de janvier 2024, de nouvelles règles européennes vont d’ailleurs être mises en place pour une meilleure information sur l’impact environnemental des entreprises. Ces dernières devront fournir plus de données sur la pollution engendrée par leur activité, leur utilisation des ressources marines ou les actions mises en place pour évoluer vers une économie circulaire. Ces nouvelles mesures veulent aussi renforcer la transparence pour les fournisseurs de notations ESG.
Pour l’instant, les notations des performances ESG divergent d’une agence à l’autre, et cela peut poser problème pour développer une finance durable. Une normalisation des informations ESG permettrait, en effet, de concilier les enjeux environnementaux et les enjeux sociaux dans une période de transition énergétique. Cependant, pour qu’une transition soit juste, nous faisons face à deux défis. Le premier est un enjeu de « justice distributive ». Le passage à une économie bas carbone ne touchera pas tous les secteurs, toutes les régions et toute la population de la même manière et avec la même intensité. En effet, certains secteurs ou régions sont plus dépendants des énergies fossiles, des industries polluantes ou des ressources naturelles.
Comment les normes ESG peuvent-elles jouer un rôle pour ces derniers ? En prenant en compte des critères économiques et sociaux pertinents, et pas seulement le niveau d’emploi dans ces zones ou parties de la population particulièrement vulnérables à la transition énergétique. Il s’agirait donc par exemple d’utiliser des données de performance sociale et environnementale délivrées par des agences de notation extra-financière, des données de pratique fournies par des enquêtes de statistique publique ou encore des données expérimentales fournies par des scientifiques. La normalisation ESG doit prendre en compte cet enjeu de « justice distributive », ce qui implique aussi de refléter les conflits ou arbitrages potentiels qui pourraient survenir au sein de l’entreprise.
Donner un rôle actif à toutes les parties prenantes
Un deuxième défi doit être pris en compte si l’on veut opérer une transition juste, et celui-ci est directement lié à un enjeu de gouvernance. Tous les acteurs touchés par cette transition n’ont pas la même capacité d’influence, le même pouvoir de décision sur leur environnement proche, notamment au sein de l’entreprise. Comment alors répondre à cet enjeu de « justice procédurale » et donner un rôle actif à toutes les parties prenantes ? Les entreprises peuvent inclure les salariés dans la prise de décisions stratégiques, et dans l’intégration des objectifs environnementaux et sociaux.
La participation des salariés à la gouvernance de l’entreprise semble avoir un impact positif sur les résultats de l’entreprise, à la fois en termes de performance financière et extra-financière. La productivité, le nombre de brevets déposés augmente quand des salariés sont présents au conseil d’administration de leur entreprise, selon la recherche. Par ailleurs, les autres collaborateurs se montrent plus motivés et l’identification aux objectifs de l’entreprise est plus forte. Dans le cadre d’une transition juste, il ne s’agit pas seulement de compter sur la simple présence des salariés au cœur du processus décisionnel, il faut aussi notamment mettre en place de la transparence, rendre accessibles les informations économiques, encourager un dialogue entre la direction et les partenaires sociaux.
Des rémunérations indexées sur les objectifs environnementaux
Au-delà des salariés, il est possible d’agir au niveau des rémunérations des dirigeants des entreprises pour faire en sorte que les enjeux environnementaux et sociaux soient bien pris en compte. La Première ministre l’avait évoqué dans son discours de politique générale en juillet 2022. « Les dirigeants des grandes entreprises doivent montrer l’exemple, et leur rémunération dépendra de l’atteinte des objectifs environnementaux », déclarait Élisabeth Borne devant les députés.
Le débat sur l’indexation des rémunérations des dirigeants sur des critères environnementaux, mais aussi sociaux, est vif dans de nombreux pays. En août 2022, l’Américaine Mastercard annonçait ainsi que les bonus de tous ses employés allaient être calculés en fonction des objectifs ESG, notamment les réductions d’émissions de CO2, l’inclusion financière et la baisse des écarts de salaire entre hommes et femmes. Deux ans auparavant, en Allemagne, BMW indiquait que les rémunérations de son directoire allaient dépendre en partie du respect de ses objectifs de réduction des émissions de CO2.
Que sait-on de l’efficacité de ce type de mesures ? L’impact de ces bonus ESG diffère largement selon le modèle de gouvernance de l’entreprise. Quand cette dernière est orientée vers les actionnaires, on observe une diminution de la performance financière d’un côté, et seulement un gain relatif en performance RSE. À l’inverse, si la gouvernance est tournée vers les salariés, par exemple, on remarque une amélioration de la performance extra-financière. Une normalisation ESG peut être un socle solide pour réaliser une transition juste, mais pour être efficace, il faut qu’elle intègre des enjeux complexes dans l’interaction entre les dimensions environnementales et sociales de nature distributive et de gouvernance.
Sirine Azouaoui
Pour aller plus loin
Crifo, P. 2023. Normes ESG et transition juste : comment prendre en compte simultanément les enjeux environnementaux et sociaux ? Revue Servir, Février-Mars 2023 / n°520, 16–20.