Changement climatique : pourquoi El Niño pique sa crise ?
- El Niño est une oscillation naturelle du climat d’une durée de 6 à 18 mois.
- Les raisons de son déclenchement sont, encore aujourd’hui, peu comprises et son intensité très variable est difficile à prévoir.
- Depuis cet été, un épisode d’El Niño est en cours.
- Ses conséquences, elles, sont très connues : un El Niño déclenche des téléconnexions climatiques qui peuvent impacter tout le globe (pluies, sécheresses, cyclones…)
- Les effets de El Niño se cumulent et interagissent avec les autres phénomènes climatiques naturels et l’impact des activités humaines sur la planète.
El Niño, températures au-delà des normes de saison, canicules marines, changement climatique d’origine humaine… Les phénomènes largement médiatisés de ces derniers mois peuvent prêter à confusion. Parfois, leurs effets se ressemblent. Parfois, un lien existe entre eux. Mais attention : s’ils coexistent actuellement, leurs rythmes, leurs durées ou leurs origines sont bien différents.
Depuis cet été, un épisode El Niño d’une intensité modérée est en cours1. Le phénomène qui n’avait pas eu lieu depuis 7 ans a fait la une des journaux en raison des prévisions initiales – désormais revues à la baisse – qui évoquaient la possibilité d’un El Niño intense. El Niño est une oscillation naturelle du climat. D’une durée typique de 6 à 18 mois, le phénomène se met en place tous les 2 à 7 ans. Le cycle alterne avec des phases neutres et des phases La Niña, l’opposé d’El Niño. « Le facteur déclenchant la mise en place d’un El Niño n’est pas réellement connu, témoigne Lauriane Batté. En revanche, le phénomène et ses conséquences sont très bien décrits aujourd’hui. »
Comment reconnaître un El Niño ? On observe tout d’abord un ralentissement des alizés, ces vents des régions intertropicales soufflant d’est en ouest. Des coups de vent inhabituels venant de l’ouest ont lieu dans le Pacifique, et le centre et l’est du Pacifique équatorial se réchauffent. Actuellement, la température de surface au centre du Pacifique équatorial est 1,5 °C au-dessus des normales. « Certains prérequis à la mise en place d’El Niño permettent d’anticiper sa survenue plusieurs mois en avance, détaille Juliette Mignot. En revanche, son intensité est liée aux coups de vent inhabituels d’ouest : ils sont assez peu prévisibles, cela complique les projections climatiques. »
L’ampleur actuelle des anomalies de température de surface de la mer est telle qu’elle ne peut être qu’une signature du réchauffement climatique
Les conséquences ? Même si le phénomène est localisé dans le Pacifique tropical, il déclenche des téléconnexions climatiques à travers de nombreuses régions du globe2 : le climat varie jusqu’à plusieurs milliers de kilomètres de El Niño. Les précipitations augmentent dans certaines régions de l’Amérique du Sud et de l’Asie centrale, au sud des États-Unis et dans la Corne de l’Afrique3. À l’inverse, des épisodes de sécheresse ont lieu en Australie, Indonésie, et dans certaines régions du sud de l’Asie, d’Amérique Centrale et du Nord de l’Amérique du Sud. Les températures sont augmentées dans certaines régions et l’activité cyclonique est, elle aussi, modifiée : des cyclones majeurs ont lieu sur le Pacifique. La Polynésie est plus exposée au risque, tandis que le risque est diminué dans le bassin Atlantique. Les retombées sont faibles sur le climat européen.
D’une année à l’autre, le climat global varie selon la présence d’El Niño ou de La Niña. Mais ces phénomènes ne sont pas les seules modulations naturelles du système climatique. D’autres sont bien connues : l’oscillation Nord Atlantique, le mode annulaire Sud ou encore le dipôle de l’océan Indien. Ce dernier est d’ailleurs, tout comme El Niño, en cours jusqu’au moins décembre4. « Avec El Niño, ces variations sont celles qui ont le plus de retombées sur les variations saisonnières du climat d’une année à l’autre », explique Lauriane Batté. D’autres existent, à des échelles de temps beaucoup plus grandes : la variabilité multidécennale Atlantique peut persister dans la même phase pendant 50 à 70 ans !
Les aléas climatiques : un cumul de facteurs aggravés par les activités humaines
À ces phénomènes s’ajoute l’effet des activités humaines sur le climat. Mais attention : ici, on change d’échelle spatiale et temporelle. Cela concerne toute la planète et provoque une augmentation de la température globale – de l’atmosphère et des océans – régulière depuis l’ère industrielle. Le réchauffement global lié aux activités humaines s’élève désormais à +1,1 °C par rapport à l’ère préindustrielle5. Depuis 2012, la température globale de surface des mers est systématiquement supérieure à la moyenne des années 1982 à 20116. « L’ampleur actuelle des anomalies de température de surface de la mer est telle, qu’elle ne peut être qu’une signature du réchauffement climatique, explique Lauriane Batté. Les oscillations naturelles sont localisées, ici le réchauffement est constaté partout sur le globe. »
Résultat : les mesures climatiques – température des océans ou de l’atmosphère – cumulent l’ensemble de ces facteurs : le réchauffement global à long terme lié aux activités humaines, les phénomènes à court-terme El Niño et le dipôle de l’Océan indien en cours. « Un phénomène El Niño très fort peut contribuer à augmenter la température moyenne globale de plus de 1 °C, précise Juliette Mignot. Cette année, celle-ci va donc être plus élevée, mais cela ne signifiera pas pour autant que le réchauffement lié aux activités humaines s’accélère ! Cela sera une signature d’El Niño, cumulée au réchauffement climatique d’origine anthropique. »
Pour complexifier encore un peu plus le tableau, le changement climatique lié aux activités humaines modifie aussi les oscillations naturelles. Il est, par exemple, très probable que les émissions de gaz à effet de serre et/ou l’appauvrissement de la couche d’ozone aient contribué à une phase positive d’une oscillation climatique localisée en Australie (le mode annulaire Sud) entre les années 1970 et 20007. Concernant la variabilité multidécennale Atlantique, dans une phase froide entre les années 60 et 90, il semble que sa durée et intensité ont été influencées par les émissions d’aérosols liées aux activités humaines et volcaniques. « Avec ces exemples, nous n’observons pas une simple addition des effets du changement climatique dû aux activités humaines aux variations naturelles du climat, mais une vraie interaction entre les deux », appuie Juliette Mignot. Lauriane Batté poursuit : « Concernant El Niño en revanche, il reste encore beaucoup d’incertitudes sur l’impact du changement climatique sur le phénomène. » Au quotidien, la météo résulte d’un ensemble de facteurs régis par des variations naturelles, mais est aussi liées aux activités humaines. Face à une information relative au climat, il est fondamental de garder en tête les échelles de temps et spatiale qui sont en jeu.