Il existe à Paris une diversité de petits mammifères que l’on ne soupçonnait pas ?
Effectivement, nous avons commencé à mettre des pièges dans plusieurs parcs parisiens il y a quatre ans, car nous avions très peu de données sur cette biodiversité en milieu urbain, notamment dans la capitale. Avec le doctorant Pierre Sachot, nous avons découvert que de nombreuses populations de ces petits mammifères (hérissons, mulots, etc.) vivaient dans les espaces verts. Les espèces telles que les mulots, les musaraignes et même parfois les campagnols privilégient les espaces que les jardiniers laissent en friche.
On parle souvent des rats en ville, mais existe-t-il quantité d’autres rongeurs ?
Oui, le mulot sylvestre (Apodemus sylvaticus) était connu en banlieue, dans les parcs et les jardins, mais nous avons eu la surprise de le trouver en plein cœur de Paris. Moins abondant dans le centre de la capitale, le campagnol agreste (Microtus agrestis) n’a été observé que dans des talus laissés en friche – son habitat de prédilection. On trouve aussi des souris domestiques, parfaitement adaptées au métro notamment, et bien sûr des rats.
Quel est l’intérêt de dresser cet inventaire de la vie animale en ville ?
Cet état des lieux est une première étape, qui nous conduira à d’autres recherches. Une fois que l’on aura compris quelles densités de population vivent à quels endroits, nous pourrons, par exemple, faire de l’écologie comportementale, voir si le fait d’évoluer en milieu urbain entraîne des modifications comportementales et morphologiques des espèces. Longtemps (et Darwin en a été l’initiateur), nous avons utilisé les îles comme terrain d’étude de l’évolution et des processus de sélection. Nous avons pu observer que certaines plantes perdaient leurs piquants, car elles avaient moins la nécessité de se protéger contre la pression d’abroutissement (prélèvement des bourgeons par des animaux) que sur les continents. De la même manière, certains oiseaux restaient au sol, car faute de prédateurs, ils n’avaient plus besoin de prendre leur envol. Observera-t-on des changements sur ces animaux en ville : des modifications de leur croissance, de leur squelette, de leur physiologie ? Ces études permettront d’interroger les effets de la pollution lumineuse, sonore, et chimique sur ces êtres vivants. Par exemple, étudier l’impact potentiel sur leur système nerveux, nous permettrait de déduire des informations importantes pour les êtres humains.
La surveillance sanitaire de ces animaux ?
En effet, certaines espèces peuvent être porteuses de bactéries ou de virus. Il est préférable de connaître leurs répartitions sur le territoire. On surveille également l’impact positif de ces animaux. Beaucoup de ces micro-rongeurs (pesant moins de 50 grammes) sont essentiels à la pollinisation en dispersant des graines. Ils favorisent ainsi la biodiversité « naturelle » en ville. Les hérissons sont des auxiliaires bien connus des jardiniers, car ils mangent des limaces et des escargots. Leur présence limite l’usage de certains produits phytosanitaires, dangereux pour l’Homme et pour la biodiversité en général. À l’instar des hérissons, les musaraignes sont des insectivores – avec un rôle bien souvent peu visible, mais certainement utile qui reste encore à découvrir…
La question de la régulation de ces populations se pose-t-elle particulièrement en milieu urbain ?
En milieu sauvage ou rural, tous ces petits mammifères ont des prédateurs naturels, notamment les chats et les corneilles. Les corneilles s’attaquent aux rats, les rats s’attaquent aux souris, aux insectes et à une partie des déchets produits par l’humain… Normalement, les différentes populations s’interrégulent, l’Homme perturbe souvent ces relations. La chouette hulotte est l’un des rares rapaces nocturnes observables au cœur des villes. Par exemple, à Marseille, la protection des habitats naturels de la ville permet de maintenir ces prédateurs qui s’attaquent aux rats. Autre exemple : les chauves-souris sont de tels insecticides naturels que l’on songe à créer des corridors noirs, c’est-à-dire des axes urbains sans lumière qui leur permettraient de circuler en ville pour limiter les nuisances liées aux moustiques et autres insectes. Dernier exemple, dans le 12ème arrondissement parisien, vit une belle population de lézards des murailles, qui sont de grands consommateurs de fourmis…
Trouve-t-on des espèces invasives dans les villes ?
Oui, les villes sont un milieu propice pour ces espèces, car la population humaine (susceptible d’y relâcher des animaux achetés à l’autre bout du monde) y est plus nombreuse ! On n’imagine pas ce que des personnes peuvent rapporter de leurs voyages ou acheter sur internet : serpents, oiseaux, petits mammifères, insectes … Il n’est pas toujours facile pour ces animaux de s’adapter au milieu urbain. Surtout à Paris, ville très minérale, comparée à d’autres grandes villes européennes comme Londres ou Berlin, qui ont de très grands espaces verts. Mais les plus résistants et adaptables peuvent finalement s’y sentir très bien [NDLR : Le terme « espèce invasive » désigne « des espèces vivantes introduites hors de leur habitat naturel, et dont la prolifération provoque des dégâts dans le milieu dans lequel elles s’installent. »] !
En quoi ces espèces sont-elles problématiques ?
Prenons l’exemple de l’écureuil de Pallas qui a été bien étudié depuis son introduction au cap d’Antibes. Cette espèce originaire de l’Asie du Sud-Est, rapportée sans doute par un particulier venant de Taïwan à la fin des années 60, a mis une vingtaine d’années à traverser la ville d’Antibes, puis encore vingt ans pour franchir l’autoroute A8 qui longe la Côte d’Azur. Cette population est en train d’envahir la région. Or ces écureuils s’attaquent aux fruits des arbres, rongent leurs écorces sur des bandes de 40 cm. Ils peuvent détruire des vergers entiers. En outre, ils rongent les fils téléphoniques et ceux des systèmes d’irrigation. Par ailleurs cette espèce menace l’écureuil roux, l’unique espèce d’écureuil arboricole d’Europe de l’Ouest. Ce dernier est très sensible à la présence de compétiteurs. Depuis qu’une directive classait en 2014 cette espèce dans la catégorie « invasive à forte préoccupation », il est interdit d’en vendre. Malgré cela, les citoyens souvent attendris par cet animal ont tendance à le nourrir !
Quels sont les moyens de lutte ?
L’essentiel est d’expliquer à la population, grâce à une parole scientifique sur ces sujets, en quoi cette espèce d’écureuil est particulièrement susceptible d’occasionner des dégâts, notamment vis-à-vis de l’écureuil roux. Dans le sud, les habitants sont réceptifs, car ils ont déjà souffert d’autres espèces invasives comme les algues sur le littoral et des papillons sur les palmiers (notamment ceux de la Croisette à Cannes). Un plan de contrôle de cet écureuil a été mis en place, avec des opérations de piégeage et de tirs au fusil de chasse. Dans les Alpes-Maritimes, l’espèce occupe une surface trop importante (35 km21) pour que l’éradication soit possible ; seul le contrôle de la population est envisageable. Dans les Bouches-du-Rhône, l’aire de répartition est encore limitée (quelques centaines d’hectares), l’éradication paraît être un objectif réaliste – mais il y a urgence.
Quels peuvent être les effets du changement climatique sur ces espèces en milieu urbain ?
Cet impact est difficile à estimer. D’un côté, les villes sont des îlots de chaleur où il peut être difficile de survivre. Toutefois, dans un contexte de sécheresse, ce sont aussi les seuls endroits où ces animaux trouveront toujours de l’eau. Paradoxalement, les villes pourraient devenir un réservoir de biodiversité pour ces espèces.