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Biodiversité : comprendre la nature pour mieux la préserver

Ces animaux avec qui nous partageons nos villes

Benoit Pisanu, chercheur en écologie au MNHN
Le 30 janvier 2024 |
5 min. de lecture
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Benoit Pisanu
chercheur en écologie au MNHN
En bref
  • En ville, une grande diversité de petits mammifères vit dans les espaces verts, tels que des hérissons, des mulots, des musaraignes, etc.
  • Connaître la densité et la répartition de ces espèces permettra de faire de l’écologie comportementale pour étudier les adaptations liées à une vie en milieu urbain.
  • Sans leurs prédateurs naturels des milieux sauvages, la croissance de ces espèces n’est pas régulée naturellement.
  • Des espèces invasives, amenées puis relâchées dans la nature par l’Homme peuvent survivre et nuire aux autres espèces de nos territoires.
  • Malgré les plans de régulation, l’humain entretient ces populations invasives en les nourrissant, au détriment des autres espèces qui pâtissent de cette cohabitation.

Il existe à Paris une diversité de petits mammifères que l’on ne soupçonnait pas ? 

Effec­tive­ment, nous avons com­mencé à met­tre des pièges dans plusieurs parcs parisiens il y a qua­tre ans, car nous avions très peu de don­nées sur cette bio­di­ver­sité en milieu urbain, notam­ment dans la cap­i­tale. Avec le doc­tor­ant Pierre Sachot, nous avons décou­vert que de nom­breuses pop­u­la­tions de ces petits mam­mifères (héris­sons, mulots, etc.) vivaient dans les espaces verts. Les espèces telles que les mulots, les musaraignes et même par­fois les cam­pag­nols priv­ilégient les espaces que les jar­diniers lais­sent en friche.

On parle souvent des rats en ville, mais existe-t-il quantité d’autres rongeurs ?

Oui, le mulot sylvestre (Apode­mus syl­vati­cus) était con­nu en ban­lieue, dans les parcs et les jardins, mais nous avons eu la sur­prise de le trou­ver en plein cœur de Paris. Moins abon­dant dans le cen­tre de la cap­i­tale, le cam­pag­nol agreste (Micro­tus agrestis) n’a été observé que dans des talus lais­sés en friche – son habi­tat de prédilec­tion. On trou­ve aus­si des souris domes­tiques, par­faite­ment adap­tées au métro notam­ment, et bien sûr des rats.

Quel est l’intérêt de dresser cet inventaire de la vie animale en ville ?

Cet état des lieux est une pre­mière étape, qui nous con­duira à d’autres recherch­es. Une fois que l’on aura com­pris quelles den­sités de pop­u­la­tion vivent à quels endroits, nous pour­rons, par exem­ple, faire de l’écologie com­porte­men­tale, voir si le fait d’évoluer en milieu urbain entraîne des mod­i­fi­ca­tions com­porte­men­tales et mor­phologiques des espèces. Longtemps (et Dar­win en a été l’initiateur), nous avons util­isé les îles comme ter­rain d’étude de l’évolution et des proces­sus de sélec­tion. Nous avons pu observ­er que cer­taines plantes per­daient leurs piquants, car elles avaient moins la néces­sité de se pro­téger con­tre la pres­sion d’abroutissement (prélève­ment des bour­geons par des ani­maux) que sur les con­ti­nents. De la même manière, cer­tains oiseaux restaient au sol, car faute de pré­da­teurs, ils n’avaient plus besoin de pren­dre leur envol. Observera-t-on des change­ments sur ces ani­maux en ville : des mod­i­fi­ca­tions de leur crois­sance, de leur squelette, de leur phys­i­olo­gie ? Ces études per­me­t­tront d’interroger les effets de la pol­lu­tion lumineuse, sonore, et chim­ique sur ces êtres vivants. Par exem­ple, étudi­er l’impact poten­tiel sur leur sys­tème nerveux, nous per­me­t­trait de déduire des infor­ma­tions impor­tantes pour les êtres humains. 

La surveillance sanitaire de ces animaux ?

En effet, cer­taines espèces peu­vent être por­teuses de bac­téries ou de virus. Il est préférable de con­naître leurs répar­ti­tions sur le ter­ri­toire. On sur­veille égale­ment l’impact posi­tif de ces ani­maux. Beau­coup de ces micro-rongeurs (pesant moins de 50 grammes) sont essen­tiels à la pollini­sa­tion en dis­per­sant des graines. Ils favorisent ain­si la bio­di­ver­sité « naturelle » en ville. Les héris­sons sont des aux­il­i­aires bien con­nus des jar­diniers, car ils man­gent des limaces et des escar­gots. Leur présence lim­ite l’usage de cer­tains pro­duits phy­tosan­i­taires, dan­gereux pour l’Homme et pour la bio­di­ver­sité en général. À l’instar des héris­sons, les musaraignes sont des insec­ti­vores – avec un rôle bien sou­vent peu vis­i­ble, mais cer­taine­ment utile qui reste encore à découvrir…

La question de la régulation de ces populations se pose-t-elle particulièrement en milieu urbain ?

En milieu sauvage ou rur­al, tous ces petits mam­mifères ont des pré­da­teurs naturels, notam­ment les chats et les corneilles. Les corneilles s’attaquent aux rats, les rats s’attaquent aux souris, aux insectes et à une par­tie des déchets pro­duits par l’humain… Nor­male­ment, les dif­férentes pop­u­la­tions s’interrégulent, l’Homme per­turbe sou­vent ces rela­tions. La chou­ette hulotte est l’un des rares rapaces noc­turnes observ­ables au cœur des villes. Par exem­ple, à Mar­seille, la pro­tec­tion des habi­tats naturels de la ville per­met de main­tenir ces pré­da­teurs qui s’attaquent aux rats. Autre exem­ple : les chauves-souris sont de tels insec­ti­cides naturels que l’on songe à créer des cor­ri­dors noirs, c’est-à-dire des axes urbains sans lumière qui leur per­me­t­traient de cir­culer en ville pour lim­iter les nui­sances liées aux mous­tiques et autres insectes. Dernier exem­ple, dans le 12ème arrondisse­ment parisien, vit une belle pop­u­la­tion de lézards des murailles, qui sont de grands con­som­ma­teurs de fourmis… 

Trouve-t-on des espèces invasives dans les villes ?

Oui, les villes sont un milieu prop­ice pour ces espèces, car la pop­u­la­tion humaine (sus­cep­ti­ble d’y relâch­er des ani­maux achetés à l’autre bout du monde) y est plus nom­breuse ! On n’imagine pas ce que des per­son­nes peu­vent rap­porter de leurs voy­ages ou acheter sur inter­net : ser­pents, oiseaux, petits mam­mifères, insectes … Il n’est pas tou­jours facile pour ces ani­maux de s’adapter au milieu urbain. Surtout à Paris, ville très minérale, com­parée à d’autres grandes villes européennes comme Lon­dres ou Berlin, qui ont de très grands espaces verts.  Mais les plus résis­tants et adapt­a­bles peu­vent finale­ment s’y sen­tir très bien [NDLR : Le terme « espèce inva­sive » désigne « des espèces vivantes intro­duites hors de leur habi­tat naturel, et dont la pro­liféra­tion provoque des dégâts dans le milieu dans lequel elles s’installent. »] !

En quoi ces espèces sont-elles problématiques ?

Prenons l’exemple de l’écureuil de Pal­las qui a été bien étudié depuis son intro­duc­tion au cap d’Antibes. Cette espèce orig­i­naire de l’Asie du Sud-Est, rap­portée sans doute par un par­ti­c­uli­er venant de Taïwan à la fin des années 60, a mis une ving­taine d’années à tra­vers­er la ville d’Antibes, puis encore vingt ans pour franchir l’autoroute A8 qui longe la Côte d’Azur. Cette pop­u­la­tion est en train d’envahir la région. Or ces écureuils s’attaquent aux fruits des arbres, ron­gent leurs écorces sur des ban­des de 40 cm. Ils peu­vent détru­ire des verg­ers entiers. En out­re, ils ron­gent les fils télé­phoniques et ceux des sys­tèmes d’irrigation. Par ailleurs cette espèce men­ace l’écureuil roux, l’unique espèce d’écureuil arbori­cole d’Europe de l’Ouest. Ce dernier est très sen­si­ble à la présence de com­péti­teurs. Depuis qu’une direc­tive clas­sait en 2014 cette espèce dans la caté­gorie « inva­sive à forte préoc­cu­pa­tion », il est inter­dit d’en ven­dre. Mal­gré cela, les citoyens sou­vent atten­dris par cet ani­mal ont ten­dance à le nourrir ! 

Quels sont les moyens de lutte ?

L’essentiel est d’expliquer à la pop­u­la­tion, grâce à une parole sci­en­tifique sur ces sujets, en quoi cette espèce d’écureuil est par­ti­c­ulière­ment sus­cep­ti­ble d’occasionner des dégâts, notam­ment vis-à-vis de l’écureuil roux. Dans le sud, les habi­tants sont récep­tifs, car ils ont déjà souf­fert d’autres espèces inva­sives comme les algues sur le lit­toral et des papil­lons sur les palmiers (notam­ment ceux de la Croisette à Cannes). Un plan de con­trôle de cet écureuil a été mis en place, avec des opéra­tions de piégeage et de tirs au fusil de chas­se. Dans les Alpes-Mar­itimes, l’espèce occupe une sur­face trop impor­tante (35 km21) pour que l’éradication soit pos­si­ble ; seul le con­trôle de la pop­u­la­tion est envis­age­able. Dans les Bouch­es-du-Rhône, l’aire de répar­ti­tion est encore lim­itée (quelques cen­taines d’hectares), l’éradication paraît être un objec­tif réal­iste – mais il y a urgence.

Quels peuvent être les effets du changement climatique sur ces espèces en milieu urbain ?

Cet impact est dif­fi­cile à estimer. D’un côté, les villes sont des îlots de chaleur où il peut être dif­fi­cile de sur­vivre. Toute­fois, dans un con­texte de sécher­esse, ce sont aus­si les seuls endroits où ces ani­maux trou­veront tou­jours de l’eau. Para­doxale­ment, les villes pour­raient devenir un réser­voir de bio­di­ver­sité pour ces espèces.

Propos recueillis par Marina Julienne
1https://​pro​fes​sion​nels​.ofb​.fr/​s​i​t​e​s​/​d​e​f​a​u​l​t​/​f​i​l​e​s​/​p​d​f​/​R​e​v​u​e​F​S​/​F​a​u​n​e​S​a​u​v​a​g​e​3​2​1​_​2​0​1​8​_​A​r​t​9.pdf

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