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Captage du CO2 : la technologie va-t-elle nous sauver ? 

Patricia Crifo
Patricia Crifo
professeure d’économie à l’École polytechnique (IP Paris)
PIETRUSZEWSKA Natalia
Natalia Pietruszewska
étudiante en économie des villes intelligentes et des politiques climatiques à l'École polytechnique (IP Paris)
TROTIN Johanne
Johanne Trotin
assistante de recherche au CREST
En bref
  • La technologie de captage et de stockage du carbone (CCS) pourrait s’avérer cruciale dans la lutte contre le réchauffement climatique.
  • En 2022, la capacité totale des projets de CCS en cours de développement était de 244 millions de tonnes par an de CO2.
  • Les CCS restent controversés pour des raisons financières et politiques : les mesures de déploiement sont parfois qualifiées de « leviers d’inaction climatique ».
  • Les leaders mondiaux en matière de CCS sont le Canada et les États-Unis, dont l’économie repose sur des énergies fossiles.
  • Les CCS sont au cœur des discussions internationales sur le climat : leur développement devra s’inscrire dans une stratégie de transition complète.

Le change­ment cli­ma­tique est sans aucun doute le prob­lème le plus pres­sant de notre époque, et nous atteignons actuelle­ment sa péri­ode charnière. Les effets du change­ment cli­ma­tique sont d’une ampleur iné­galée, qu’il s’agisse de la mod­i­fi­ca­tion des régimes cli­ma­tiques qui met en péril la pro­duc­tion ali­men­taire ou de l’aug­men­ta­tion du niveau des mers qui accroît la prob­a­bil­ité d’i­non­da­tions cat­a­strophiques. Si nous n’agis­sons pas immé­di­ate­ment, il sera plus dif­fi­cile et plus coû­teux de s’adapter à ces effets à l’avenir. 

Un intérêt économique 

D’un point de vue économique, nous pou­vons utilis­er des tech­niques d’at­ténu­a­tion, qui, en évi­tant ou en lim­i­tant la pro­duc­tion de gaz à effet de serre (GES) dans l’at­mo­sphère, réduisent la grav­ité des effets du change­ment cli­ma­tique. Le Groupe d’ex­perts inter­gou­verne­men­tal sur l’évo­lu­tion du cli­mat (GIEC, en anglais IPCC) a souligné que, pour attein­dre les objec­tifs de l’Ac­cord de Paris et lim­iter l’aug­men­ta­tion des tem­péra­tures à 1,5 °C, nous devons utilis­er des tech­nolo­gies per­me­t­tant d’élim­in­er le car­bone de l’at­mo­sphère, en plus d’in­ten­si­fi­er nos efforts pour réduire les émis­sions. L’une de ces tech­nolo­gies, le CCS (Car­bon Cap­ture and Stor­age), pour­rait s’avér­er cru­ciale dans la lutte con­tre le réchauf­fe­ment climatique.

Le nom­bre d’in­stal­la­tions a aug­men­té de 44 % depuis 2021.

En tant qu’ob­ser­va­teurs de la COP27, nous avons pu dis­cuter avec divers représen­tants de gou­verne­ments et d’or­gan­i­sa­tions inter­na­tionales, ain­si qu’échang­er avec des experts du secteur. Le point sail­lant : la tech­nolo­gie de cap­tage et de stock­age du car­bone (CCS) est l’a­vancée tech­nologique qui retient le plus l’attention.

Le pas­sage de l’am­bi­tion à l’ac­tion est non-équiv­oque, à la vue des don­nées rel­a­tives aux investisse­ments dans le CCS. En 2022, la capac­ité totale des pro­jets de CCS en cours de développe­ment était de 244 mil­lions de tonnes par an de dioxyde de car­bone. Mais com­ment cela fonc­tionne-t-il exactement ?

Le CCS expliqué 

En bref, le CCS con­siste à cap­tur­er le dioxyde de car­bone pro­duit par les cen­trales élec­triques ou d’autres proces­sus indus­triels, comme la pro­duc­tion d’aci­er ou de ciment, à le trans­porter, puis à le stock­er sous terre. Les aquifères salins ou les réserves de pét­role et de gaz épuisées, qui se trou­vent générale­ment à au moins 1 km sous la sur­face, sont des lieux de stock­age poten­tiels pour les émis­sions de car­bone. Par­al­lèle­ment au CCS, il existe une idée sim­i­laire appelée CCUS, qui sig­ni­fie « cap­tage, util­i­sa­tion et stock­age du car­bone ». Le con­cept : recy­cler le car­bone dans les proces­sus indus­triels en le trans­for­mant en matières plas­tiques, en béton ou en bio­car­bu­rant au lieu de le stocker.

En sep­tem­bre 2022, l’Institut Glob­al du CCS (Glob­al CCS insti­tute) dénom­bre un total de 196 pro­jets de CCS, dont 30 sont déjà opéra­tionnels et 153 encore en cours de développe­ment. Le nom­bre de pro­jets d’in­stal­la­tions de CCS a aug­men­té de 44 % depuis 2021, pour­suiv­ant la ten­dance à la hausse des pro­jets de CCS en con­struc­tion qui a débuté en 2017. Les vingt dernières années d’ex­péri­ence ont mis en lumière la diver­sité des appli­ca­tions du CCS et, en par­ti­c­uli­er, sa fonc­tion essen­tielle dans la ges­tion des émis­sions des proces­sus industriels.

État d’avancée des CCS sur les dernières années1.

Par le biais des réseaux de CCS, nous prévoyons une aug­men­ta­tion des alliances stratégiques et de la col­lab­o­ra­tion pour favoris­er la mise en œuvre. Avec plusieurs pro­jets d’hy­drogène bleu en cours de développe­ment dans le monde, l’hy­drogène pro­pre et d’autres car­bu­rants à faible teneur en car­bone font égale­ment par­tie de la crois­sance du CCS. Le cap­tage direct de l’air avec le CCS ou le DACCS (Direct Air Cap­ture with Car­bon Stor­age) a égale­ment sus­cité un grand intérêt et une par­tic­i­pa­tion extra­or­di­naire cette année, avec des mil­liards de dol­lars de finance­ment réservés à la mise à l’échelle de cette technologie.

Solution pour la transition écologique, aux dépens de la réduction des émissions ?

Bien que promet­teuses, ces tech­nolo­gies restent con­tro­ver­sées, notam­ment pour des raisons finan­cières et poli­tiques. En effet, l’effort économique déployé pour le développe­ment de ces straté­gies est con­sid­érable, pour des résul­tats certes promet­teurs mais tou­jours incer­tains. De plus, en con­cen­trant leurs efforts sur les tech­nolo­gies de séques­tra­tion du car­bone, les acteurs de la tran­si­tion écologique pour­raient être amenés à met­tre de côté l’enjeu de la réduc­tion des émis­sions, tant et si bien que les poli­tiques ori­en­tées vers le déploiement des CCS sont qual­i­fiées par leurs détracteurs de « leviers d’inaction climatique ». 

Le déploiement des CCS ne peut donc se faire sans l’intervention des pou­voirs publics, ce qui en fait un sujet éminem­ment politique.

Les infra­struc­tures de CCS sont des infra­struc­tures coû­teuses, ce qui les ren­dent dif­fi­cile­ment atti­rantes pour les investis­seurs, d’autant plus que les béné­fices ne sont pas tou­jours au ren­dez-vous. Par exem­ple, aux États-Unis, 11 pro­jets de CCS avaient été entre­pris par le Depart­ment of Ener­gy à la fin des années 2000, dont 8 dans le secteur du char­bon pour un coût de 684 mil­lions de dol­lars. Sur ces huit pro­jets, un seul a été mené à terme et a fonc­tion­né de 2017 à 2020. En Europe, les pro­jets CCS se mul­ti­plient égale­ment, les pays d’Europe du Nord (Norvège, Pays-Bas et Roy­aume-Uni) ayant annon­cé plus de 5 mil­liards d’euros à inve­stir dans les CCS. 

D’après un rap­port de l’Ifri, le coût du cap­tage, trans­port et stock­age du CO2 se situe entre 40 et 200 €/tonne avec les tech­nolo­gies actuelle­ment disponibles – la fourchette haute cor­re­spon­dant aux infra­struc­tures par­ti­c­ulière­ment pol­lu­antes comme les cen­trales élec­triques et les usines d’incinération des déchets. Ce coût, bien que décrois­sant avec l’évolution de la tech­nolo­gie, reste plus élevé que le prix du CO2 sur le marché du car­bone, anéan­tis­sant les inci­ta­tions des acteurs privés à inve­stir dans les CCS. 

Le mix énergé­tique cana­di­en en 20202.

Le déploiement des CCS ne peut donc se faire sans l’intervention des pou­voirs publics, ce qui en fait un sujet éminem­ment poli­tique. La ques­tion de l’investissement pub­lic dans les CCS en dit long sur la stratégie des pays ou des régions pour attein­dre l’objectif de 1,5 °C fixé par l’Accord de Paris, et sur leur vision de la tran­si­tion écologique. Les lead­ers en matière de CCS sont aujourd’hui les États et acteurs dont l’économie repose sur des éner­gies fos­siles : en Europe par exem­ple, les CCS sont prin­ci­pale­ment mis en avant par les décideurs poli­tiques de pays dont le mix énergé­tique repose en majorité sur le pét­role et le gaz. 

Dans le monde, les États lead­ers de ces tech­nolo­gies sont le Cana­da et les États-Unis, eux aus­si avec un mix énergé­tique très con­cen­tré autours des éner­gies. Lors des négo­ci­a­tions de la COP27, les États du Golfe, et notam­ment les Émi­rats arabes unis, ont égale­ment man­i­festé leur ent­hou­si­asme au sujet des CCS, présen­tés comme l’un de leurs prin­ci­paux leviers d’action pour attein­dre l’objectif des Zéro Émis­sion Nette d’ici 2030. 

Le mix énergé­tique éta­sunien en 2021.

Du côté du secteur privé, les prin­ci­paux sou­tiens au développe­ment des CCS sont égale­ment les entre­pris­es du secteur pétroli­er : Exxon­Mo­bil et Big Oil aux États-Unis, Total­En­er­gies et Tech­nip en France, soupçon­nés d’utiliser leurs investisse­ments dans les CCS comme un moyen de détourn­er l’attention du pub­lic sur leurs activ­ités gaz­ières et pétrolières, afin de préserv­er ces dernières. La COP27 a d’ailleurs été forte­ment mar­quée par la présence des pro­duc­teurs de pét­role et de gaz, qui étaient 25 % plus nom­breux que lors de la COP précé­dente, à Glas­gow. Les CCS étaient alors au cen­tre de leur dis­cours sur leur stratégie de décar­bon­a­tion de leurs activités.

Region­al Car­bon Cap­ture Strate­gies: The U.S., EU, and Beyond by Zero-Car­bon Future – pan­el pen­dant la COP27 (crédit: N. Pietruszewska).

En chemin vers la COP28

Les pays comme le Qatar, le Koweït, les Émi­rats arabes unis (EAU), Bahreïn et l’Ara­bie saou­dite fig­urent par­mi les dix prin­ci­paux émet­teurs de car­bone par habi­tant. De ce fait, le Moyen-Ori­ent et l’Afrique du Nord (MOAN) est con­sid­érée comme l’une des régions les plus inten­sives en émis­sions de gaz à effet de serre. 

Les émis­sions de GES en MOAN.

À Sharm, les dis­cus­sions sur l’e­spoir que nous met­tons dans la tech­nolo­gie tour­nent prin­ci­pale­ment autour du CCS. Il est intéres­sant de not­er que l’un des prin­ci­paux acteurs sur la scène inter­na­tionale à pro­mou­voir cette tech­nolo­gie n’est autre que les Émi­rats arabes unis, qui accueilleront la Con­férence des Par­ties en 2023. 

Tech­nolo­gie promet­teuse, les CCS occu­pent dans tous les cas une place cen­trale dans les dis­cus­sions inter­na­tionales sur la ques­tion cli­ma­tique, et leur développe­ment devra s’inscrire dans une stratégie de tran­si­tion com­plète, aux objec­tifs pré­cis et concrets.

Pour aller plus loin

1https://​www​.iea​.org/​r​e​p​o​r​t​s​/​c​o​2​-​c​a​p​t​u​r​e​-​a​n​d​-​u​t​i​l​i​s​ation
2https://​iea​.blob​.core​.win​dows​.net/​a​s​s​e​t​s​/​7​e​c​2​4​6​7​c​-​7​8​b​4​-​4​c​0​c​-​a​9​6​6​-​a​4​2​b​8​8​6​1​e​c​5​a​/​C​a​n​a​d​a​2​0​2​2.pdf

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