Cet article fait partie du quatrième numéro de notre magazine Le 3,14, dédié à
l’agriculture. Découvrez-le ici.
Pourquoi cherche-t-on à réduire l’impact de l’agriculture sur l’environnement ?
Car cet impact est majeur. Le GIEC considère qu’au niveau mondial un tiers des émissions de gaz à effet de serre provient de l’agriculture. L’impact sur la biodiversité est aussi direct, en transformant les habitats – c’est bien sûr dû aux conséquences de la déforestation –, en utilisant des fertilisants et des pesticides, en favorisant l’expansion d’espèces invasives, en prélevant de la biomasse et de l’eau nécessaires aux écosystèmes. L’agriculture est la principale activité humaine qui pèse sur la biodiversité, et qui conduit à un syndrome majeur, la « défaunation ». Le devenir de la biodiversité agricole dépend très largement du type d’agriculture que l’on développera ; et réciproquement, l’avenir de l’agriculture dépend de la biodiversité. Rappelons que chaque année la production agricole mondiale à hauteur de 235 à 577 milliards de dollars est en péril en raison de la disparition des pollinisateurs.
On entend souvent parler d’agroécologie pour limiter ces impacts… De quoi s’agit-il ?
L’agriculture s’est développée sur le modèle de l’industrie, avec une uniformisation et une standardisation des pratiques. Mais d’un point de vue scientifique, cette approche est mal adaptée à la diversité des terroirs et des paysages agricoles. On ne peut pas faire pousser du maïs et du soja partout, ou alors avec des impacts environnementaux terribles ! Les productions agricoles ne sont pas assez diverses car certaines exploitations s’en tiennent aux systèmes de rotation très basiques, comme l’association maïs / soja, alors qu’il faudrait les complexifier, y associer des légumineuses, augmenter le temps de rotation pour potentialiser les synergies dans chaque culture.
L’agroécologie est un modèle qui prend en compte les processus écologiques et toute la biodiversité. Elle insiste sur la diversité des cultures et l’importance de la biodiversité des sols, faune et flore ; elle intègre davantage d’infrastructures écologiques comme les haies, bosquets et mares. Haies et bosquets accueillent en effet les oiseaux, les pollinisateurs et des espèces qui contrôlent les ravageurs comme les parasitoïdes ou les carabes. Il faut aussi réduire la taille des parcelles. C’est donc toute l’organisation des exploitations qu’il faut reconsidérer.
Pour y parvenir, cela exige de créer des incitations, financières et autres, pertinentes et ambitieuses. Il faut aller plus loin que la Politique agricole commune (PAC)2.
Et les sols ? S’agit-il de les travailler moins ?
En réalité, c’est une question compliquée, qui n’est pas tranchée sur le plan scientifique. Moins travailler les sols en profondeur permet de bénéficier davantage du travail des microorganismes et des vers de terre. Néanmoins, cela aide aussi à désherber et peut améliorer l’aération des sols… L’équilibre entre tous ces paramètres est donc complexe à trouver. Mais l’enjeu est crucial : la dégradation des sols a réduit de 23 % la productivité de l’ensemble de la surface terrestre mondiale.
On demande aussi à l’agriculture de fournir de l’énergie…
Mais la soutenabilité est questionnée. Produire des cultures supplémentaires, pour les agrocarburants de première génération (bioéthanol, biogazole), a beaucoup d’impacts sur la biodiversité. Faire des biocarburants ou du biogaz avec des déchets présente aussi des limites, car leur disponibilité n’est sans doute pas si importante. Il est ainsi à noter qu’il existe peu de déchets organiques dans une exploitation agricole. La paille est par exemple utilisée en élevage ou pour régénérer les sols : c’est une denrée précieuse ! L’agriculture est ainsi largement une économie du recyclage.
La dégradation des sols a réduit de 23 % la productivité de l’ensemble de la surface terrestre mondiale.
On voit de plus en plus d’agriculteurs investir dans des biométhaniseurs, des installations qui permettent de produire du biogaz à partir de produits végétaux ou de lisiers d’élevage. C’est très rentable en ce moment, car soutenu par des subventions. Mais est-ce vraiment intéressant d’un point de vue écologique, surtout si des cultures sont développées spécifiquement pour les alimenter ?
Mais alors, l’agroécologie c’est aussi l’agriculture biologique ? L’agriculture raisonnée ? L’agriculture de conservation ?
C’est en effet une notion « parapluie » qui recouvre toutes ces pratiques et bien d’autres. Il reste difficile d’évaluer les avantages et les inconvénients de chaque pratique d’un point de vue scientifique. Elles peuvent toutes concourir à réduire l’impact de l’agriculture sur la biodiversité. L’Académie européenne des sciences propose encore une autre variante, « agriculture régénératrice ».
Ces pratiques nous engagent en tant que consommateurs mais aussi en tant que citoyens. Nous devons veiller à ce que nos politiques publiques œuvrent en faveur de pratiques agricoles pertinentes, d’un point de vue environnemental et social. Cela dit, ce n’est pas simple ! Car l’agroécologie demande plus de travail, et nécessite donc d’employer plus de main d’œuvre sur les exploitations. Cela se répercutera forcément sur le prix des produits, ce qui peut être difficile à accepter par les consommateurs : il faut un accompagnement politique.
La volonté politique est donc une clé. On parle désormais du Green Deal agricole à l’échelle européenne, est-ce une bonne nouvelle ?
C’est un apport très pertinent produit par la présidence de l’Union européenne, alors que la PAC vient d’être réformée par la Commission européenne pour les cinq prochaines années… dans un esprit assez différent du Green Deal. Nous avons donc actuellement en Europe deux philosophies agricoles concurrentes, qu’il importe de mettre en relation.