Il existe peu d’expériences plus unificatrices que le sommeil : tous les êtres humains dorment. De plus, personne n’a jamais, délibérément ou accidentellement, réalisé une expérience dans laquelle une souris n’a plus besoin de sommeil. Pourtant, le sommeil place les animaux dans un état de vulnérabilité extrême – pendant leur sommeil, ils peuvent être attaqués, blessés ou mangés – mais l’évolution n’a pas corrigé cette faiblesse, suggérant que le sommeil est essentiel à la survie. Les chercheurs s’interrogent encore : à quoi sert réellement le sommeil ?
#1 Notre cerveau se nettoie pendant le sommeil
VRAI – Le sommeil aiderait le cerveau à se débarrasser de ses toxines.
Il n’existe pas de consensus clair sur les raisons pour lesquelles nous avons besoin de dormir. Mais une hypothèse, présentée dans un article publié dans Science en 2013, soutient que le sommeil aide le cerveau à se débarrasser de ses toxines.
Le système lymphatique nettoie certains organes comme le cœur et le foie, mais les chercheurs n’ont jamais trouvé de processus équivalent dans le cerveau. En 2013, Maiken Nedergaard et ses collègues de l’Université de Rochester ont proposé l’existence du système glymphatique, un processus par lequel le liquide céphalorachidien (LCR) pénètre dans le cerveau pour en éliminer les toxines nocives. Ils ont notamment constaté que ce processus augmentait pendant le sommeil non-paradoxal.
Cette hypothèse repose sur un dispositif expérimental sophistiqué. Un colorant fluorescent injecté dans la grande citerne (cisterna magna) d’une souris, une zone située à l’extérieur du cerveau où se trouve le LCR, leur a permis de suivre les molécules de colorant à mesure qu’elles pénétraient dans le cerveau. Leurs observations suggèrent que le LCR s’écoule comme une rivière dans un flux convectif entraîné par les pulsations des artères.
Ce travail important est devenu abondement cité dans les revues scientifiques, mais n’a jamais été vraiment remis en question, en partie parce que l’approche expérimentale est difficile à reproduire.
FAUX – Le cerveau ne se nettoierait pas aussi efficacement la nuit que le jour.
Notre récente étude expérimentale, publiée dans Nature Neuroscience1, suggère que le cerveau ne se nettoie pas aussi efficacement la nuit que le jour. Comme Nedergaard et ses collègues, nous avons injecté une molécule fluorescente dans le cerveau d’une souris. Mais cette fois, elle a été envoyée au centre du cerveau, dans le noyau caudé et le putamen, et suivie au fur et à mesure qu’elle se répandait dans le cerveau.
En comparant nos observations à un modèle mathématique établi par le co-auteur de l’article, le professeur Nick Franks, nous avons constaté que le colorant se déplaçait vers le cortex frontal à une vitesse compatible avec une simple diffusion. Il est important de noter que nous n’avons trouvé aucune preuve d’un flux convectif dans le cerveau et que cela n’a pas changé en fonction de l’état de vigilance de la souris (nous avons étudié des souris éveillées, endormies ou anesthésiées avec 200 μg par kg de dexmedetomidine, une molécule qui induit un sommeil artificiel de type non-REM).
Cela signifie-t-il que l’article de Nedergaard était erroné ? Nous pensons que leurs observations étaient correctes, mais nous ne sommes pas d’accord avec leur interprétation. Il existe des mécanismes de la boîte noire qui éliminent les métabolites du cerveau – nous ne savons pas comment ils fonctionnent, mais nous savons qu’ils existent. Nos observations suggèrent que ces mécanismes d’élimination fonctionnent plus intensément pendant la journée, ce qui laisse supposer que le cerveau se nettoie moins pendant le sommeil et l’anesthésie. Cela expliquerait pourquoi Nedergaard a vu des vagues de colorant plus brillantes chez les souris endormies : le cerveau n’évacuait pas le colorant.
Dans une certaine mesure, c’est logique. Pendant les heures d’éveil, le cerveau travaille plus intensément, il ne serait donc pas logique que le nettoyage soit retardé jusqu’à l’endormissement. Mais cela signifie qu’on ne peut pas expliquer le sommeil par le nettoyage du cerveau.
INTÉRESSANT – D’autres mécanismes pourraient être en jeu pendant le sommeil.
Il est bien établi, par exemple, qu’une privation aiguë de sommeil augmente les taux d’amyloïde et de tau, deux protéines liées à la maladie d’Alzheimer et à la démence. Un mauvais sommeil pourrait se traduire par une moins bonne élimination de ces protéines ou par une plus grande accumulation des protéines restantes en plaques.
#2 Le cerveau jauge notre niveau de sommeil
VRAI – Le cerveau mesure la durée de l’éveil et le temps de sommeil nécessaire pour récupérer.
Ce processus, appelé homéostasie du sommeil, est assez bien documenté. Les souris font très fréquemment la sieste, mais si vous placez un nouvel objet dans leur enclos, comme une brique Lego colorée, elles seront tellement intéressées qu’elles reporteront leur sommeil jusqu’à ce que, comme nous, elles s’effondrent. Elles entreront alors dans un sommeil plus long, plus profond et récupérateur.
Nous savons dans une certaine mesure comment ce processus se produit grâce à l’activation de certains neurones dans la base du cerveau et dans le cortex, qui aident à suivre ce déficit. Nous avons montré2 qu’en éliminant ces neurones, les souris ne rattrapent plus le sommeil perdu après la privation.
FAUX – Nous ne savons toujours pas exactement comment cela fonctionne.
Mais bien sûr, ce n’est pas aussi simple. Les neurones n’agissent pas seuls. Nous avons affaire à un mélange de molécules organiques qui interagissent avec le manque de sommeil.
L’une de ces molécules est l’interleukine 6 (IL‑6), une protéine inflammatoire et un somnogène connu. Vous en ressentirez les effets si vous avez fait une longue marche ou une journée de vélo : les muscles importants libèrent de l’IL‑6 lors d’un exercice soutenu. Lorsqu’elle atteint le cerveau, elle lui indique qu’il faut dormir. Nous savons, par exemple, que la présence d’IL‑6 augmente en réponse à la perte de sommeil3.
Une autre molécule de ce type est la fameuse adénosine, qui est celle qui demeure après l’épuisement de la molécule énergétique adénosine triphosphate. Les chercheurs ont constaté que l’adénosine s’accumule au cours de la journée et qu’elle exerce une pression sur le sommeil4. Les niveaux augmentent également dans certaines régions du cerveau après une privation de sommeil, de sorte que le niveau d’adénosine pourrait partiellement évoluer en fonction du besoin de sommeil. Toutefois, il est probable que d’autres molécules entrent en jeu, mais nous ne le savons pas encore.
INTÉRESSANT – Comprendre ces processus biologiques permettra de mieux comprendre le sommeil.
Il est possible qu’en comprenant mieux comment le cerveau mesure les besoins en sommeil, nous pourrons mieux comprendre son effet régénérateur sur le corps. L’une des questions les plus intéressantes est de savoir si le sommeil est destiné au cerveau, au corps ou aux deux. Mon hypothèse personnelle est que le sommeil peut contribuer à protéger le cœur, mais c’est loin d’être une hypothèse consensuelle.
#3 Les médicaments peuvent nous aider à surmonter la fatigue
VRAI – Certains médicaments semblent favoriser un état de sommeil profond.
Des recherches intéressantes sont menées dans le domaine du sommeil sur une classe de médicaments appelés agonistes alpha‑2 adrénergiques. L’un d’entre eux, la dexmedetomidine, est désormais utilisé aux États-Unis – et de plus en plus en Europe – pour induire un état de sédation éveillable chez les patients des services de soins intensifs.
La plupart des anesthésiques généraux, comme le propofol ou l’isoflurane, empêchent les neurones de communiquer entre eux dans tout le cerveau, afin d’induire un état d’anesthésie générale qui ne ressemble pas au sommeil. En revanche, la dexmédétomidine semble induire un état biomimétique de sommeil profond.
De manière étonnante, des travaux récents5 sur l’homme ont montré que des volontaires privés de sommeil et traités avec de la dexmédétomidine peuvent partiellement remplacer le sommeil perdu. Ceci est cohérent avec d’autres résultats – des scientifiques de Saint-Louis et de Boston ont montré6 que les ondes cérébrales des volontaires sous dexmédétomidine ressemblaient à celles du sommeil non-paradoxal. Nos travaux ont également montré7 que la dexmédétomidine interagit avec les neurones impliqués dans ce système d’homéostasie du sommeil.
FAUX – Certains somnifères peuvent vous endormir, mais il n’est pas certain que ce sommeil soit réparateur.
Ambien (Zolpidem), par exemple, est un très bon somnifère qui induit un sommeil non-paradoxal et réduit le temps nécessaire pour s’endormir. Mais il n’est pas certain que le fait de dormir avec Ambien puisse restaurer le sommeil.
INTÉRESSANT – La dexmédétomidine ne peut pas être utilisée comme médicament à domicile.
Ce médicament se lie aux récepteurs présents dans le cœur et sur les vaisseaux sanguins, ce qui entraîne une complication importante : le rythme cardiaque s’accélère et vous avez très froid. Il ne peut être utilisé que sous la surveillance d’un anesthésiste.
Cependant, nos travaux et ceux d’autres chercheurs suggèrent que nous pourrions modifier le médicament pour développer un meilleur somnifère à l’avenir. Cela pourrait également nous aider à mieux comprendre les mécanismes qui interviennent dans le sommeil réparateur.