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Le sommeil démystifié par la science

Que se passe-t-il dans notre cerveau pendant le sommeil ? 

William Wisden, professeur à l'Imperial College de Londres et membre de l'Académie des sciences médicales et de la Royal Society
Le 3 septembre 2024 |
6 min. de lecture
William Wisden
William Wisden
professeur à l'Imperial College de Londres et membre de l'Académie des sciences médicales et de la Royal Society
En bref
  • Le sommeil est l'une des fonctions humaines les plus fondamentales, mais les chercheurs le comprennent toujours mal.
  • L'hypothèse selon laquelle nous dormons pour nettoyer notre cerveau des toxines n'est peut-être pas aussi évidente.
  • L'évolution de la recherche nous fournit des indices sur la façon dont notre corps conserve les traces de déficit de sommeil au fil du temps.
  • Certaines molécules, comme l'interleukine 6 et l'adénosine, sont impliquées dans la régulation du sommeil en réponse à l'épuisement.
  • Ces recherches pourraient également aider à développer de meilleurs somnifères, qui pourraient permettre un sommeil profond biomimétique.

Il existe peu d’ex­péri­ences plus uni­fi­ca­tri­ces que le som­meil : tous les êtres humains dor­ment. De plus, per­son­ne n’a jamais, délibéré­ment ou acci­den­telle­ment, réal­isé une expéri­ence dans laque­lle une souris n’a plus besoin de som­meil. Pour­tant, le som­meil place les ani­maux dans un état de vul­néra­bil­ité extrême – pen­dant leur som­meil, ils peu­vent être attaqués, blessés ou mangés – mais l’évolution n’a pas cor­rigé cette faib­lesse, sug­gérant que le som­meil est essen­tiel à la survie. Les chercheurs s’interrogent encore : à quoi sert réelle­ment le sommeil ?

#1 Notre cerveau se nettoie pendant le sommeil

VRAI – Le sommeil aiderait le cerveau à se débarrasser de ses toxines.

Il n’existe pas de con­sen­sus clair sur les raisons pour lesquelles nous avons besoin de dormir. Mais une hypothèse, présen­tée dans un arti­cle pub­lié dans Sci­ence en 2013, sou­tient que le som­meil aide le cerveau à se débar­rass­er de ses toxines.

Le sys­tème lym­pha­tique net­toie cer­tains organes comme le cœur et le foie, mais les chercheurs n’ont jamais trou­vé de proces­sus équiv­a­lent dans le cerveau. En 2013, Maiken Ned­er­gaard et ses col­lègues de l’U­ni­ver­sité de Rochester ont pro­posé l’ex­is­tence du sys­tème glym­pha­tique, un proces­sus par lequel le liq­uide céphalo­rachi­di­en (LCR) pénètre dans le cerveau pour en élim­in­er les tox­ines nocives. Ils ont notam­ment con­staté que ce proces­sus aug­men­tait pen­dant le som­meil non-paradoxal.

Cette hypothèse repose sur un dis­posi­tif expéri­men­tal sophis­tiqué. Un col­orant flu­o­res­cent injec­té dans la grande citerne (cis­ter­na magna) d’une souris, une zone située à l’ex­térieur du cerveau où se trou­ve le LCR, leur a per­mis de suiv­re les molécules de col­orant à mesure qu’elles péné­traient dans le cerveau. Leurs obser­va­tions sug­gèrent que le LCR s’é­coule comme une riv­ière dans un flux con­vec­tif entraîné par les pul­sa­tions des artères.

Ce tra­vail impor­tant est devenu abon­dam­ment cité dans les revues sci­en­tifiques, mais n’a jamais été vrai­ment remis en ques­tion, en par­tie parce que l’approche expéri­men­tale est dif­fi­cile à reproduire.

FAUX – Le cerveau ne se nettoierait pas aussi efficacement la nuit que le jour.

Notre récente étude expéri­men­tale, pub­liée dans Nature Neu­ro­science1, sug­gère que le cerveau ne se net­toie pas aus­si effi­cace­ment la nuit que le jour. Comme Ned­er­gaard et ses col­lègues, nous avons injec­té une molécule flu­o­res­cente dans le cerveau d’une souris. Mais cette fois, elle a été envoyée au cen­tre du cerveau, dans le noy­au caudé et le puta­men, et suiv­ie au fur et à mesure qu’elle se répandait dans le cerveau.

En com­para­nt nos obser­va­tions à un mod­èle math­é­ma­tique établi par le co-auteur de l’ar­ti­cle, le pro­fesseur Nick Franks, nous avons con­staté que le col­orant se déplaçait vers le cor­tex frontal à une vitesse com­pat­i­ble avec une sim­ple dif­fu­sion. Il est impor­tant de not­er que nous n’avons trou­vé aucune preuve d’un flux con­vec­tif dans le cerveau et que cela n’a pas changé en fonc­tion de l’é­tat de vig­i­lance de la souris (nous avons étudié des souris éveil­lées, endormies ou anesthésiées avec 200 μg par kg de dexmedeto­mi­dine, une molécule qui induit un som­meil arti­fi­ciel de type non-REM).

Cela sig­ni­fie-t-il que l’ar­ti­cle de Ned­er­gaard était erroné ? Nous pen­sons que leurs obser­va­tions étaient cor­rectes, mais nous ne sommes pas d’ac­cord avec leur inter­pré­ta­tion. Il existe des mécan­ismes de la boîte noire qui élim­i­nent les métabo­lites du cerveau – nous ne savons pas com­ment ils fonc­tion­nent, mais nous savons qu’ils exis­tent. Nos obser­va­tions sug­gèrent que ces mécan­ismes d’élim­i­na­tion fonc­tion­nent plus inten­sé­ment pen­dant la journée, ce qui laisse sup­pos­er que le cerveau se net­toie moins pen­dant le som­meil et l’anesthésie. Cela expli­querait pourquoi Ned­er­gaard a vu des vagues de col­orant plus bril­lantes chez les souris endormies : le cerveau n’é­vac­uait pas le colorant.

Dans une cer­taine mesure, c’est logique. Pen­dant les heures d’éveil, le cerveau tra­vaille plus inten­sé­ment, il ne serait donc pas logique que le net­toy­age soit retardé jusqu’à l’en­dormisse­ment. Mais cela sig­ni­fie qu’on ne peut pas expli­quer le som­meil par le net­toy­age du cerveau.

INTÉRESSANT – D’autres mécanismes pourraient être en jeu pendant le sommeil.

Il est bien établi, par exem­ple, qu’une pri­va­tion aiguë de som­meil aug­mente les taux d’amy­loïde et de tau, deux pro­téines liées à la mal­adie d’Alzheimer et à la démence. Un mau­vais som­meil pour­rait se traduire par une moins bonne élim­i­na­tion de ces pro­téines ou par une plus grande accu­mu­la­tion des pro­téines restantes en plaques. 

#2 Le cerveau jauge notre niveau de sommeil

VRAI – Le cerveau mesure la durée de l’éveil et le temps de sommeil nécessaire pour récupérer.

Ce proces­sus, appelé homéostasie du som­meil, est assez bien doc­u­men­té. Les souris font très fréquem­ment la sieste, mais si vous placez un nou­v­el objet dans leur enc­los, comme une brique Lego col­orée, elles seront telle­ment intéressées qu’elles reporteront leur som­meil jusqu’à ce que, comme nous, elles s’ef­fon­drent. Elles entreront alors dans un som­meil plus long, plus pro­fond et récupérateur.

Nous savons dans une cer­taine mesure com­ment ce proces­sus se pro­duit grâce à l’ac­ti­va­tion de cer­tains neu­rones dans la base du cerveau et dans le cor­tex, qui aident à suiv­re ce déficit. Nous avons mon­tré2 qu’en élim­i­nant ces neu­rones, les souris ne rat­trapent plus le som­meil per­du après la privation.

FAUX – Nous ne savons toujours pas exactement comment cela fonctionne. 

Mais bien sûr, ce n’est pas aus­si sim­ple. Les neu­rones n’agis­sent pas seuls. Nous avons affaire à un mélange de molécules organiques qui inter­agis­sent avec le manque de sommeil.

L’une de ces molécules est l’in­ter­leukine 6 (IL‑6), une pro­téine inflam­ma­toire et un somnogène con­nu. Vous en ressen­tirez les effets si vous avez fait une longue marche ou une journée de vélo : les mus­cles impor­tants libèrent de l’IL‑6 lors d’un exer­ci­ce soutenu. Lorsqu’elle atteint le cerveau, elle lui indique qu’il faut dormir. Nous savons, par exem­ple, que la présence d’IL‑6 aug­mente en réponse à la perte de som­meil3.

Une autre molécule de ce type est la fameuse adéno­sine, qui est celle qui demeure après l’épuisement de la molécule énergé­tique adéno­sine triphos­phate. Les chercheurs ont con­staté que l’adénosine s’accumule au cours de la journée et qu’elle exerce une pres­sion sur le som­meil4. Les niveaux aug­mentent égale­ment dans cer­taines régions du cerveau après une pri­va­tion de som­meil, de sorte que le niveau d’adénosine pour­rait par­tielle­ment évoluer en fonc­tion du besoin de som­meil. Toute­fois, il est prob­a­ble que d’autres molécules entrent en jeu, mais nous ne le savons pas encore.

INTÉRESSANT – Comprendre ces processus biologiques permettra de mieux comprendre le sommeil.

Il est pos­si­ble qu’en com­prenant mieux com­ment le cerveau mesure les besoins en som­meil, nous pour­rons mieux com­pren­dre son effet régénéra­teur sur le corps. L’une des ques­tions les plus intéres­santes est de savoir si le som­meil est des­tiné au cerveau, au corps ou aux deux. Mon hypothèse per­son­nelle est que le som­meil peut con­tribuer à pro­téger le cœur, mais c’est loin d’être une hypothèse consensuelle.

#3 Les médicaments peuvent nous aider à surmonter la fatigue

VRAI – Certains médicaments semblent favoriser un état de sommeil profond.

Des recherch­es intéres­santes sont menées dans le domaine du som­meil sur une classe de médica­ments appelés ago­nistes alpha‑2 adrén­ergiques. L’un d’en­tre eux, la dexmedeto­mi­dine, est désor­mais util­isé aux États-Unis – et de plus en plus en Europe – pour induire un état de séda­tion éveil­l­able chez les patients des ser­vices de soins intensifs.

La plu­part des anesthésiques généraux, comme le propo­fol ou l’isoflu­rane, empêchent les neu­rones de com­mu­ni­quer entre eux dans tout le cerveau, afin d’in­duire un état d’anesthésie générale qui ne ressem­ble pas au som­meil. En revanche, la dexmédé­to­mi­dine sem­ble induire un état bio­mimé­tique de som­meil profond.

De manière éton­nante, des travaux récents5 sur l’homme ont mon­tré que des volon­taires privés de som­meil et traités avec de la dexmédé­to­mi­dine peu­vent par­tielle­ment rem­plac­er le som­meil per­du. Ceci est cohérent avec d’autres résul­tats – des sci­en­tifiques de Saint-Louis et de Boston ont mon­tré6 que les ondes cérébrales des volon­taires sous dexmédé­to­mi­dine ressem­blaient à celles du som­meil non-para­dox­al. Nos travaux ont égale­ment mon­tré7 que la dexmédé­to­mi­dine inter­ag­it avec les neu­rones impliqués dans ce sys­tème d’homéostasie du sommeil.

FAUX – Certains somnifères peuvent vous endormir, mais il n’est pas certain que ce sommeil soit réparateur.

Ambi­en (Zolpi­dem), par exem­ple, est un très bon som­nifère qui induit un som­meil non-para­dox­al et réduit le temps néces­saire pour s’en­dormir. Mais il n’est pas cer­tain que le fait de dormir avec Ambi­en puisse restau­r­er le sommeil.

INTÉRESSANT – La dexmédétomidine ne peut pas être utilisée comme médicament à domicile.

Ce médica­ment se lie aux récep­teurs présents dans le cœur et sur les vais­seaux san­guins, ce qui entraîne une com­pli­ca­tion impor­tante : le rythme car­diaque s’ac­célère et vous avez très froid. Il ne peut être util­isé que sous la sur­veil­lance d’un anesthésiste.

Cepen­dant, nos travaux et ceux d’autres chercheurs sug­gèrent que nous pour­rions mod­i­fi­er le médica­ment pour dévelop­per un meilleur som­nifère à l’avenir. Cela pour­rait égale­ment nous aider à mieux com­pren­dre les mécan­ismes qui inter­vi­en­nent dans le som­meil réparateur.

Marianne Guenot
1https://www.nature.com/articles/s41593-024–01638‑y
2 https://​pubmed​.ncbi​.nlm​.nih​.gov/​3​7​7​3​5497/
3https://​aca​d​e​m​ic​.oup​.com/​j​c​e​m​/​a​r​t​i​c​l​e​/​8​5​/​1​0​/​3​5​9​7​/​2​8​52263
4https://medicine.yale.edu/internal-medicine/pulmonary/news/national-sleep-week/good-sleep-recipe/#:~:text=Adenosine is a by prod­uct of to fall asleep at bed­time.
5https://​pubmed​.ncbi​.nlm​.nih​.gov/​3​8​5​7​1816/
6https://​pubmed​.ncbi​.nlm​.nih​.gov/​3​2​8​6​0500/
7https://​pubmed​.ncbi​.nlm​.nih​.gov/​3​1​5​4​3455/

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