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π Neurosciences

Mieux comprendre la mémoire de court terme grâce à la plasticité neuronale

David Clark
David Clark
doctorant en neurobiologie et comportement à l'Université de Columbia
En bref
  • Les synapses, et non les neurones, jouent le rôle principal dans la mémoire de travail.
  • Pour simplifier l’analyse des réseaux neuronaux, les premières études considéraient les neurones comme « fixes », occultant ainsi la plasticité synaptique.
  • Des chercheurs de l'Université de Columbia ont actualisé la théorie en incluant la dynamique synaptique et neuronale.
  • Ils ont découvert que la dynamique synaptique peut moduler le comportement global des réseaux neuronaux, accélérant ou ralentissant l'activité neuronale.
  • Un nouveau comportement, appelé « chaos figé », a été identifié, où les synapses créent des schémas fixes d'activité neuronale, potentiellement cruciaux pour la mémoire de travail.
  • Ce modèle est encore perfectible : les neuroscientifiques souhaitent dorénavant intégrer certaines propriétés biologiques du cerveau pour le rendre plus réaliste.

Quel rôle jouent les neu­rones et les synaps­es dans la mémoire de tra­vail ? Une ques­tion qui a longtemps été pondérée par les neu­ro­sci­en­tifiques. Jusqu’à présent, on pen­sait que l’ac­tiv­ité neu­ronale dom­i­nait, les synaps­es n’in­ter­venant que dans les proces­sus plus lents d’ap­pren­tis­sage et de mémori­sa­tion. Mais des chercheurs de l’U­ni­ver­sité de Colum­bia, aux États-Unis, ont mis au point un nou­veau cadre théorique qui prédit que ce seraient les synaps­es, plutôt que les neu­rones, qui sont les plus impor­tantes. Ce nou­veau mod­èle pour­rait ain­si con­duire à un autre mécan­isme pour la mémoire de tra­vail dans le cerveau, affirment-ils.

Le cerveau humain est con­sti­tué d’en­v­i­ron 100 mil­liards de neu­rones. Cha­cun d’entre eux reçoit des sig­naux élec­triques d’autres neu­rones par l’in­ter­mé­di­aire de mil­liers de con­nex­ions minus­cules appelées synaps­es. Lorsque la somme des sig­naux émis par les synaps­es dépasse un cer­tain seuil, un neu­rone « se déclenche » en envoy­ant une série de pics de ten­sion à un grand nom­bre d’autres neu­rones. Les neu­rones sont donc « excitables ».

La force des inter­ac­tions entre les neu­rones peut égale­ment chang­er avec le temps. Ce proces­sus, appelé plas­tic­ité synap­tique, jouerait un rôle cru­cial dans l’apprentissage.

Avec et sans plasticité

Pour sim­pli­fi­er les choses, les pre­mières études dans ce domaine con­sid­éraient que les réseaux neu­ronaux étaient dépourvus de plas­tic­ité. Elles sup­po­saient que la con­nec­tiv­ité synap­tique était fixe. Les chercheurs analy­saient donc com­ment cette con­nec­tiv­ité façon­nait l’ac­tiv­ité col­lec­tive des neu­rones. Bien qu’elle ne soit pas réal­iste, cette approche a per­mis de com­pren­dre les principes de base de ces réseaux et leur fonctionnement.

David Clark, doc­tor­ant en neu­ro­bi­olo­gie et com­porte­ment à l’U­ni­ver­sité de Colum­bia, et Lar­ry Abbott, son directeur de thèse, ont main­tenant éten­du ce mod­èle aux synaps­es plas­tiques. Cela rend le sys­tème plus com­plexe – et plus réal­iste – car l’ac­tiv­ité neu­ronale peut désor­mais façon­ner dynamique­ment la con­nec­tiv­ité entre les synapses.

Les chercheurs ont util­isé un out­il math­é­ma­tique con­nu sous le nom de « théorie du champ moyen dynamique » pour réduire les équa­tions de réseau « à haute dimen­sion » du mod­èle orig­i­nal à une descrip­tion sta­tis­tique « à basse dimen­sion ». En bref, ils ont mod­i­fié la théorie pour inclure la dynamique synap­tique et neu­ronale. Cela leur a per­mis de dévelop­per un mod­èle plus sim­ple qui intè­gre plusieurs fac­teurs majeurs impliqués dans les réseaux neu­ronaux plas­tiques. « Le prin­ci­pal défi con­sis­tait à cap­tur­er toute la dynamique des neu­rones et des synaps­es tout en con­ser­vant un mod­èle ana­ly­tique­ment sol­u­ble », explique David Clark.

La dynamique synaptique devient importante

Les chercheurs ont con­staté que lorsque la dynamique synap­tique et la dynamique neu­ronale se pro­duisent à une échelle de temps sim­i­laire, la dynamique synap­tique façonne grande­ment le com­porte­ment glob­al d’un réseau neu­ronal. Leurs analy­ses ont égale­ment mon­tré que la dynamique synap­tique peut accélér­er ou ralen­tir la dynamique neu­ronale, et donc ren­forcer ou sup­primer l’ac­tiv­ité chao­tique des neurones.

Ils ont surtout décou­vert un nou­veau type de com­porte­ment qui appa­raît lorsque les synaps­es génèrent des sché­mas fix­es d’ac­tiv­ité neu­ronale dans les réseaux. Ces sché­mas appa­rais­sent quand la plas­tic­ité est momen­tané­ment dés­ac­tivée, ce qui a pour effet de « figer » les états des neu­rones. Ce « chaos figé », comme l’ont appelé les chercheurs, peut aider à stock­er des infor­ma­tions dans le cerveau et s’ap­par­ente au fonc­tion­nement de la mémoire de travail.

Le défi sci­en­tifique de notre étude con­sis­tait à traduire cette intu­ition en équa­tions et en résultats.

« Ce sujet de recherche est né lorsque Lar­ry Abbot a évo­qué, quand nous dis­cu­tions dans son bureau, l’idée que les synaps­es dynamiques jouent un rôle tout aus­si impor­tant dans le cal­cul neu­ronal que les neu­rones eux-mêmes », explique David Clark. « J’ai trou­vé cette idée très intéres­sante, car elle ren­verse la vision habituelle des neu­rones en tant qu’u­nités dynamiques, les synaps­es n’é­tant impliquées que dans les proces­sus plus lents de l’ap­pren­tis­sage et de la mémori­sa­tion. Le défi sci­en­tifique de notre étude con­sis­tait à traduire cette intu­ition en équa­tions et en résul­tats. »

Le nou­veau mod­èle four­nit un nou­veau mécan­isme pos­si­ble pour la mémoire de tra­vail, ajoute-t-il. « Plus générale­ment, nous dis­posons désor­mais d’un mod­èle sol­u­ble de dynamique neu­ronale et synap­tique cou­plé qui pour­rait être éten­du, par exem­ple, à la mod­éli­sa­tion de la con­sol­i­da­tion de la mémoire à court terme en mémoire à long terme. »

David Clark et Lar­ry Abbott espèrent main­tenant ren­dre leur mod­èle plus réal­iste en y inté­grant cer­taines pro­priétés biologiques du cerveau, notam­ment les pics de ten­sion dis­crets par lesquels les neu­rones com­mu­niquent. D’autres car­ac­téris­tiques impor­tantes, comme le fait que les neu­rones sont organ­isés en con­nex­ions spé­ci­fique­ment struc­turées, devront égale­ment être pris­es en compte, ajoutent-ils.

Propos recueillis par Isabelle Dumé

Référence : D. G. Clark and L. F. Abbott, “The­o­ry of cou­pled neu­ronal-synap­tic dynam­ics,” Phys. Rev. X 14, 021001 (2024).

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