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Concept of circadian rhythms and their importance to human health, represented by a silhouette against mechanical gears and sunlight through a window. Generated AI.
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Comment notre corps s’accorde avec le rythme du soleil

Claude Gronfier
Claude Gronfier
chercheur en chronobiologie à l’Inserm au Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon
En bref
  • Plus d'une personne sur cinq souffrirait de troubles du sommeil chroniques en France, alors que nos arrière-grands-parents avaient moins de problèmes pour dormir.
  • L'exposition quotidienne à la lumière naturelle permettrait de synchroniser notre cycle en l'adaptant à l'alternance jour/nuit ; sans lumière, notre corps serait en danger.
  • Une étude sur des personnes non-voyantes a montré que ces dernières souffraient davantage de troubles du sommeil, mais également de problèmes digestifs et d'anxiété.
  • Une étude menée sur les salariés de la RATP montre que les conducteurs de tram et de bus (en extérieur) ont moins de troubles du sommeil que les conducteurs de métro (en intérieur).
  • Le travail de nuit aurait également des effets néfastes sur l'ensemble des grandes fonctions de notre corps, avec des risques accrus de troubles sanitaires.

Pas facile de prof­iter d’une bonne nuit de repos : plus d’une per­son­ne sur cinq souf­frirait de trou­bles du som­meil chroniques en France. Pour­tant, « nos arrière-grands-par­ents avaient beau­coup moins de prob­lèmes pour dormir », déclare Claude Gron­fi­er, chercheur en chrono­bi­olo­gie à l’Inserm au Cen­tre de Recherche en Neu­ro­sciences de Lyon. Est-ce parce qu’ils pas­saient leur journée à tra­vailler dehors ? Peut-être bien.

Une horloge programmée dans nos gènes

Depuis les années 70 et la décou­verte d’un pre­mier « gène de l’horloge », nous savons que notre corps est calé sur les 24 heures de la journée jusqu’au plus pro­fond de notre ADN. « C’est un mécan­isme très fin de boucles molécu­laires qui s’auto-régule », détaille le neu­ro­bi­ol­o­giste, aus­si prési­dent de la société fran­coph­o­ne de chrono­bi­olo­gie. Un gène code pour une pro­téine, qui s’accumule dans le cyto­plasme de la cel­lule, avant qu’elle ne pénètre dans le noy­au pour inhiber l’expression du gène d’origine jusqu’à dis­paraître. Puis le cycle recommence.

« Depuis, nous avons décou­vert une quin­zaine de ces “gènes de l’horloge” : TIM, CLOCK, BMAL, REVERB, PER 1, PER 2, PER 3, CRY… Cer­tains agis­sent comme des freins, d’autres comme des accéléra­teurs de l’horloge », explique Claude Gron­fi­er. Cette hor­loge interne s’exprime dans le noy­au suprachi­as­ma­tique situé à la base de notre cerveau, en suiv­ant le rythme immuable d’environ 24 heures… et 10 min­utes en moyenne chez l’humain. Un léger décalage cor­rigé grâce à nos rétines ! L’exposition quo­ti­di­enne à la lumière naturelle per­met en effet de syn­chro­nis­er notre cycle cir­ca­di­en en l’adaptant à l’alternance du jour et de la nuit. Sans lumière, c’est tout notre corps qui se retrou­ve en danger.

Horloge en « libre cours »

Le cas des non-voy­ants1, étudié dans les années 2000, per­met de nous éclair­er sur les con­séquences d’une hor­loge « en libre court », soit inca­pable de se syn­chro­nis­er. « Prenons l’exemple d’une hor­loge interne de 24 heures et 30 min­utes chez un aveu­gle. Son heure d’endormissement sera par­faite­ment calée avec l’heure réelle unique­ment tous les 48 jours. Dans ces sit­u­a­tions, les médecins général­istes se retrou­vent à faire des pre­scrip­tions à ral­longe pour ces per­son­nes qui souf­frent de trou­bles du som­meil certes, mais égale­ment de prob­lèmes diges­tifs, de som­no­lence, d’insomnie, ou d’anxiété », développe Claude Gronfier.

Un dérè­gle­ment général­isé du corps qui s’explique par la présence des gènes de l’horloge bien au-delà de notre cerveau. « On en retrou­ve dans l’ensemble de nos tis­sus : poumons, cœur, foie, mus­cles, tis­sus adipeux… »Ain­si, « l’horloge interne » laisse aujourd’hui sa place au terme de « sys­tème cir­ca­di­en » (N.D.L.R. : cir­ca : proche de ; diem : le jour), plus à même d’englober l’ensemble des proces­sus impliqués dans le cycle de la veille et du som­meil. « Ces sys­tèmes périphériques per­me­t­tent d’ajuster fine­ment et locale­ment le rythme cir­ca­di­en », pré­cise encore le chercheur. Une machiner­ie géné­tique (entre 8 et 20 % du génome) qui s’exprimerait ain­si en rythme, orchestrée par l’horloge cir­ca­di­enne cen­trale, la seule capa­ble de se syn­chro­nis­er à la lumière naturelle. Une néces­sité à rebours de nos modes de vie actuels.

Entre 10 000 et 100 000 lux

« Cela fait à peine 100 ans que l’on a com­mencé à vivre à l’intérieur », rap­pelle Claude Gron­fi­er. Si le chrono­bi­ol­o­giste a pris soin de dis­pos­er son bureau près d’une grande baie vit­rée, il rap­pelle que cela ne suf­fit pas. « Face à une fenêtre, on doit être autour des 300 à 1 000 lux [N.D.L.R. : Les lux sont l’unité de mesure de l’éclairement lumineux]. Or, notre espèce a évolué à l’extérieur ! Nous nous sommes dévelop­pés à la lumière solaire, qui atteint des niveaux de 10 000 à 100 000 lux pen­dant la journée. »

Source : Damien Leg­er, Yolande Esquirol, Claude Gron­fi­er, Arnaud Met­laine, Repub­li­ca­tion de : Le tra­vail posté et de nuit et ses con­séquences sur la san­té : état des lieux et recom­man­da­tions, Médecine du Som­meil, 20192.

Nos trou­bles du som­meil seraient-ils liés à ce manque d’exposition lumineuse ? C’est en tout cas ce que sug­gérait une étude menée en 20113 par Damien Léger, chef de ser­vice du Cen­tre du som­meil et de la vig­i­lance de l’Hô­tel-Dieu de Paris, sur les salariés de la RATP. En com­para­nt la qual­ité de som­meil chez les con­duc­teurs de tram et de bus – con­duisant à l’extérieur – et celle de leurs homo­logues con­finés dans le métro, le chercheur et son équipe ont con­staté une plus grande pré­va­lence des trou­bles du som­meil (insom­nie, som­no­lence en journée, hyper­som­nie) chez ces derniers. D’autres études réal­isées depuis con­fir­ment le rôle majeur de la lumière naturelle sur notre bonne san­té. Cela pose naturelle­ment la ques­tion du tra­vail de nuit. Au-delà de décaler les heures de repos, une expo­si­tion qua­si absente à la lumière du jour a‑t-elle un impact durable sur la santé ?

En finir avec le travail de nuit

Si les réper­cus­sions du tra­vail de nuit4 sur le temps et la qual­ité du som­meil sont avérées, les dernières études pointent égale­ment de poten­tiels effets néfastes sur l’ensemble des grandes fonc­tions de notre corps. « Ce n’est pas sur­prenant, quand on sait le rôle pri­mor­dial du sys­tème cir­ca­di­en sur l’organisme, de retrou­ver chez ces tra­vailleurs des risques plus élevés de trou­bles san­i­taires », annonce Claude Gron­fi­er. Dans un tra­vail qu’il a dirigé avec l’Anses, le chercheur signe en 20165 avec un groupe de 19 experts, un rap­port sur con­séquences sur la san­té du tra­vail posté (N.D.L.R. : tra­vail où des équipes se relaient suc­ces­sive­ment à un même poste à des horaires défi­nis). On peut notam­ment y lire une pré­va­lence plus élevée de trou­bles du som­meil, de dépres­sion, d’anxiété, d’AVC, d’obésité, de dia­bète, de can­cer du sein, une aug­men­ta­tion des trou­bles cog­ni­tifs ou encore de la sur­v­enue de prob­lèmes car­dio­vas­cu­laires. Des con­séquences cer­taine­ment sous-éval­uées, car mal con­nues par les tra­vailleurs postés eux-mêmes, qui représen­tent pour­tant 20 % des salariés en France.

« On pour­rait penser que l’on finit par s’adapter au tra­vail de nuit en devenant des ani­maux noc­turnes, mais c’est oubli­er qu’à chaque vacance, chaque week-end, chaque moment social, on s’expose à nou­veau à la lumière solaire qui nous resyn­chro­nise à du tra­vail de jour et à du som­meil de nuit. Nous sommes des ani­maux diurnes et nous ne sommes pas faits pour le tra­vail de nuit », con­clut le chercheur.

Sophie Podevin
1Thèse écrite par Damien Léger en 2000 sur le sujet : https://​the​ses​.fr/​2​0​0​0​P​A​0​66283
2https://​doi​.org/​1​0​.​1​0​1​6​/​j​.​m​s​o​m​.​2​0​1​8​.​1​2.005
3https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0022399910003697?via%3Dihub
4Selon l’article L. 3122–29 du Code du tra­vail : « on appelle tra­vail de nuit tout tra­vail accom­pli entre 21 heures et 6 heures, sauf dis­po­si­tions par­ti­c­ulières dans cer­taines branch­es pro­fes­sion­nelles ou pour cer­tains métiers. ».
5Rap­port de l’Anses de 2016 (https://​www​.ans​es​.fr/​f​r​/​c​o​n​t​e​n​t​/​l​e​-​t​r​a​v​a​i​l​-​d​e​-​n​u​i​t​-​e​t​-​l​e​s​-​r​i​s​q​u​e​s​-​p​o​u​r​-​l​a​-​sante) :  Barthe B, Bérard D, Chap­pert F, Cos­ta G, Doré JF, Dumont M, Guénel P, Labrèche F, Las­far­gues G, Léger D, Lévi F, Gau­ti­er MA, Prunier-Poul­maire S, Simon­neaux V, Weibel L, Attia D, Niaudet A, Mer­ck­el O, and Gron­fi­er C. Éval­u­a­tion des risques san­i­taires liés au tra­vail de nuit. Rap­port d’expertise col­lec­tive. Ans­es, Juin 2016, 408pp.

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