Industrie 4.0 : à quoi faut-il s’attendre ?
- L’introduction des nouvelles technologies dans les usines entraîne aujourd’hui l’émergence du concept d’usine 4.0.
- Cette quatrième révolution industrielle dématérialise la gestion de la production et permet presque à tout le monde de devenir un industriel.
- Concrètement, dans l’usine, la transformation passe par l’automatisation, la robotisation et l’utilisation généralisée de la data en temps réel.
- L’industrie 4.0 permet de libérer du temps pour se concentrer sur des tâches moins chronophages et concevoir de nouveaux modèles industriels.
- Tout l’enjeu consiste à savoir comment faire pour que les opérateurs conservent leurs compétences techniques tout en les déléguant à des machines.
Après la révolution de la production mécanique portée par la machine à vapeur en 1765, puis la production de masse poussée par l’énergie électrique et pétrolière un siècle plus tard et enfin la production automatisée soutenue par l’électronique et les technologies informatiques dans les années 70, c’est l’introduction des nouvelles technologies dans les usines qui entraîne aujourd’hui l’émergence du concept d’ « industrie 4.0 ». « Une usine du futur mais qui n’est pas née de rien, rappelle Thierry Rayna, professeur à l’École polytechnique au sein du département Management de l’innovation et directeur de la chaire “Technology for Change”. Les machines à commandes numériques datent déjà des années 80, et les structures de production existantes présentent une force d’inertie à ne pas sous-estimer. »
Soyons réalistes, les usines du futur ne vont donc pas remplacer les usines « ordinaires » d’un coup de baguette magique. Néanmoins, en concrétisant la transformation numérique, elles entraînent de vrais bouleversements…
L’usine 4.0 : évolution ou révolution ?
L’usine 4.0 peut adopter plusieurs formes : un lieu physique « classique » ou un réseau plus diffus d’unités de production et de transformation basé sur des technologies numériques. Ces dernières permettent alors une interconnexion permanente des machines, des systèmes, des produits et des Hommes.
« Cette quatrième révolution industrielle dématérialise la gestion de la production, et permet notamment à des individus de devenir des industriels. », souligne Thierry Rayna. Ainsi une personne peut imaginer un objet, identifier un marché, créer un prototype en impression 3D pour le tester, puis trouver un prestataire pour le fabriquer, et, sans aucun investissement ou presque, mettre en vente son produit en ligne.
Alors, évolution ou révolution ? Pour chaque nouvelle technologie numérique, il y a toujours deux vagues, estime Thierry Rayna. « La première, c’est celle des entreprises qui font la même chose qu’avant mais en utilisant ces nouvelles technologies. La seconde vague est portée par les individus, les entrepreneurs, qui s’emparent de ces technologies pour inventer des usages radicalement différents. » Par exemple, la première version du Web à la fin des années 90 n’avait rien de très original, il s’agissait juste pour des fabricants de proposer leur catalogue en ligne plutôt qu’en version imprimée. « Mais quand les individus se sont approprié la toile pour inventer notamment les encyclopédies collaboratives et les différents réseaux sociaux, alors on a pu parler de révolution.»
Et concrètement, dans l’usine ?
Chez Michelin, l’implémentation d’une ingénierie 4.0 est déjà bien avancée. « Il y a six ans, nous avons fait un premier état des lieux des technologies 4.0 existantes et rencontré des industriels en Europe, aux États-Unis et en Asie dont les unités de production fonctionnaient déjà en mode 4.0, explique Nicolas Jaunet, responsable ingénierie du groupe Michelin. Nous avons découvert des personnes très motivées, dont le métier et le travail au quotidien avaient été vraiment transformés, et étaient devenus plus attractifs. De plus, ces industries doublaient leur performance annuelle par rapport à celles d’un même secteur qui n’avaient pas encore franchi le pas. »
Pour implanter les technologies 4.0, il a d’abord fallu connecter physiquement les machines aux espaces de stockage des données, avant d’utiliser ces données pour générer des cas d’applications permettant d’améliorer la performance de l’entreprise. Un premier volet de transformation concerne l’automatisation des process, l’utilisation de l’intelligence artificielle et de robots collaboratifs, et le recours à des véhicules autonomes pour le transport de pièces et de matériels à l’intérieur de l’usine. Traduction concrète sur les lignes de production : tous les pneus qui étaient contrôlés manuellement par des opérateurs passent désormais sous les radars de vision d’une intelligence artificielle, ce qui permet à l’opérateur de libérer du temps pour se focaliser sur un tri plus qualitatif.
Deuxième volet : l’utilisation de la data. Les opérateurs ont désormais accès en temps réel aux données et à la performance des machines, de l’atelier et des usines. À partir de ces données, certaines IA permettent par exemple de faire de la maintenance prédictive sur certaines presses de cuisson, afin d’anticiper des pannes ou même de guider les personnes pour identifier l’origine d’une panne sur une machine. Au niveau du groupe, les unités de production de différentes usines ont généré des cas d’application, ce qui a permis de tester de nouveaux process en temps réel sur des usines « leader digital » avant de les déployer sur d’autres sites du groupe. 70 cas d’applications ont déjà été déployés 8 000 fois dans l’ensemble des usines du groupe.
Est-ce la fin du travail ?
Quel est l’effet de ces évolutions sur le travail humain ? « L’industrie 4.0 prend du temps à se déployer, ce qui nous donne largement le temps d’accompagner nos personnels vers un changement de leur métier, voire vers de nouvelles fonctions, estime Nicolas Jaunet. Par ailleurs, si le travail pénible est fait par la machine, les conditions de travail sont plus satisfaisantes pour les employés. » Les expertises de ces opérateurs sont amenées à évoluer. Ainsi, avec les nouvelles voitures électriques, il faut concevoir des matériaux (la gomme), et des pneus de haute technologie, capables notamment de supporter des véhicules beaucoup plus lourds. L’usine 4.0 devient ainsi un vrai levier de transformation de l’industrie du pneu.
De son côté, Thierry Rayna estime que plus on numérise, plus le travail humain prend de la valeur, obligeant le personnel à se concentrer sur des tâches importantes. Attention en revanche à ne pas perdre en expertise sur le travail confié à des robots. « Par exemple, dans le domaine de la soudure, si la fabrication des premières pièces demande une réelle expertise, la production des 1 000 ou 10 000 autres qui vont suivre peut devenir véritablement pénible et ennuyeuse. Mais comment confier cette tâche à des robots sans que le maître soudeur ne perde en compétence ? » C’est tout le défi posé par ces nouvelles technologies…