Accueil / Chroniques / Voitures électriques : comment l’Europe court après le lithium
Voiture électrique en train de recharger à une borne, câble de recharge connecter
π Industrie π Économie π Géopolitique

Voitures électriques : comment l’Europe court après le lithium

Maria Eugenia Sanin
María Eugenia Sanin
maîtresse de conférences en économie à l’Université Paris Saclay et coordinatrice de l'axe Politiques Sectorielles à la Chaire Energie et Prospérité
En bref
  • Le ban des voitures thermiques neuves par l'UE conduit l'industrie automobile européenne vers les véhicules électriques, avec une croissance attendue de 10 % par an jusqu'en 2028.
  • Or, l’Europe n’est pas compétitive dans cette industrie et sera dépendante de la Chine pour les matières premières et leur raffinement, nécessaires à la fabrication des batteries.
  • Pour atteindre ses objectifs, l'UE devra passer des accords bilatéraux avec des pays possédant du lithium en abondance, à moindre coût pour se positionner stratégiquement dans la chaîne de valeur des batteries.
  • C’est surtout en renforçant la filière de recyclage (des voitures et de ses composants) que l’Europe pourra se démarquer.
  • Les objectifs futurs de l’UE sont clairs : la sécurité d’approvisionnement et la transition énergétique.

Le ban de l’UE sur la vente des voitures ther­miques neuves à par­tir de 2035 fait vir­er l’industrie auto­mo­bile européenne vers l’al­ter­na­tive exis­tante la plus com­péti­tive : la voiture élec­trique. D’ici 2028, nous nous atten­dons à une crois­sance du marché mon­di­al des voitures élec­triques de presque 10 % par an. En ter­mes d’automobile, l’industrie européenne a été his­torique­ment com­péti­tive, mais elle ne l’est plus con­cer­nant la voiture élec­trique. Cette indus­trie est dom­inée par l’entreprise chi­noise BYD, et Tes­la aux États-Unis (respec­tive­ment 17,5 % et 12,5 % du marché en 2023). 

Le com­posant dis­tinc­tif des voitures élec­triques est la bat­terie. Pour con­quérir le marché des bat­ter­ies, L’Europe a décidé d’investir dans des gigafac­to­ries. Par exem­ple, la Banque européenne d’in­vestisse­ment com­mu­ni­quait en octo­bre dernier son investisse­ment de 450 mil­lions d’eu­ros à par­tir de 2025. Ces usines géantes, réservées à la con­cep­tion des bat­ter­ies, ne sont com­péti­tives que dans l’approvisionnement des matières pre­mières néces­saires. Pour attein­dre l’objectif 2035, le marché des matières pre­mières et celui du raf­fi­nage méri­tent d’être pris en compte.

Les véhicules électriques et leurs batteries, un marché en plusieurs étapes

Pour se posi­tion­ner sur le marché des voitures élec­triques, l’Europe devra inve­stir dans la con­cep­tion des bat­ter­ies. D’un point de vue économique, il est ques­tion d’intervenir sur plusieurs étapes de la chaîne de valeur des batteries.

Le marché en amont com­prend l’étape d’extraction minière des ressources. Celui dit « à mi-chemin », cor­re­spond à l’étape de trans­for­ma­tion, c’est-à-dire à l’étape du raf­fi­nage de ces ressources. Le marché en aval va, lui, de la con­fec­tion d’anodes/cathodes, en pas­sant par la fab­ri­ca­tion de cel­lules, jusqu’à l’assemblage final des bat­ter­ies dans les gigafac­to­ries.

L’extraction minière est rel­a­tive­ment bien partagée entre plusieurs entre­pris­es. Toute­fois, pour cer­taines matières, des monopoles d’extraction restent observ­ables. L’entreprise chili­enne SQM et l’américaine Alber­mar­le avaient la plus grande part de marché en 2022 (à savoir respec­tive­ment 20 % et 16 %).

Arrivé à l’étape du raf­fi­nage, une pre­mière alerte appa­raît : plus de 40 % du lithi­um que l’on retrou­ve dans les bat­ter­ies est raf­finé en Chine, par des entre­pris­es chi­nois­es. Le taux monte à 65 % pour le nick­el et à 93 % pour le man­ganèse1. Il en est de même pour la fab­ri­ca­tion des com­posants anodes et cath­odes, où la pro­duc­tion se fait à plus de 50 % en Chine. Pour les bat­ter­ies, et plus large­ment pour les voitures élec­triques, l’Europe est dépen­dante de la pro­duc­tion chinoise.

Le marché en aval et ses gigafactories

L’Europe n’a pas suff­isam­ment investi dans « la par­tie haute » de la chaîne de valeur des bat­ter­ies. De ce fait, l’offre des voitures élec­triques ne pour­ra pas suiv­re la demande européenne. Pour don­ner un exem­ple, la demande en lithi­um sera mul­ti­pliée par 40 en 2040. Or, l’offre ne suiv­ra pas cette vitesse, vu le temps néces­saire à l’ouverture des mines et des lieux de raf­fi­nage. Les ten­dances sont sim­i­laires pour les autres com­posants des bat­ter­ies, comme le cobalt et le nickel.

Poli­tiques actuelles STEPS et scé­nar­ios de développe­ment durable SDS2.

Comment réussir le pari pour 2035 ?

La Chine raf­fine plus de 40 % du lithi­um qui se retrou­vera dans nos bat­ter­ies, alors qu’elle n’en extrait que 13,36 %. L’enjeu n’est donc pas vrai­ment dans l’extraction des matières pre­mières, mais dans le posi­tion­nement stratégique lors des étapes inter­mé­di­aires de la chaîne de valeur des bat­ter­ies. L’Europe devrait d’abord ten­ter de pass­er des accords bilatéraux avec des pays pos­sé­dant du lithi­um en abon­dance, à moin­dre coût. Elle a égale­ment intérêt à dévelop­per la fil­ière au niveau local. Enfin, l’Europe devrait inve­stir dans le raf­fi­nage et la fab­ri­ca­tion des composants.

Pour finir, un levi­er trop peu men­tion­né, toute­fois très impor­tant, est le développe­ment de la fil­ière du recy­clage des bat­ter­ies et de ses com­posants. Cette fil­ière n’est pas encore suff­isam­ment dévelop­pée, et ce, nul part. La maîtrise du recy­clage pour­rait con­stituer l’avantage com­péti­tif européen. Pour plus d’efficacité, et pour lim­iter les coûts de ces investisse­ments, il ne faudrait pas que ces efforts soient éparpil­lés. Avec une poli­tique européenne forte, au lieu d’une poli­tique du cas par cas, les retombées économiques seront pos­i­tives. Les effets d’apprentissage sont la rai­son pour laque­lle une diminu­tion des coûts de pro­duc­tion des bat­ter­ies est déjà observ­able. De plus, un tel effort aurait des retombées sur d’autres secteurs ou d’autres technologies.

Évo­lu­tion du prix du lithi­um par an. Bleu : vari­a­tion annuelle du prix. Gris : prix en USD/kwh3.

Actuelle­ment, les éner­gies fos­siles sont chères, et elles le res­teront. L’Europe doit donc se pré­par­er à un tel monde. Pour­tant, la plu­part de nos émis­sions de gaz à effet de serre provient de l’utilisation des vecteurs d’énergies fos­siles. Les objec­tifs de sécu­rité d’approvisionnement énergé­tique sont donc alignés avec les objec­tifs de tran­si­tion. De là, inve­stir dans les matières pre­mières, dites cri­tiques pour la tran­si­tion, devient une néces­sité. En par­al­lèle, l’Europe doit se lancer l’objectif de devenir pio­nnière dans l’économie cir­cu­laire, le recy­clage des bat­ter­ies et l’efficacité énergé­tique. Là est l’enjeu de la prochaine décennie.

Propos recueillis par Pablo Andres
1https://​ec​.europa​.eu/​c​o​m​m​i​s​s​i​o​n​/​p​r​e​s​s​c​o​r​n​e​r​/​d​e​t​a​i​l​/​f​r​/​I​P​_​2​3​_4946
2AIE, 2022
3Sanin et al. (2023) Banque Inter­améri­caine de Développe­ment)

Le monde expliqué par la science. Une fois par semaine, dans votre boîte mail.

Recevoir la newsletter