Dans le secteur de l’énergie, le chauffage est et restera une part importante de la consommation d’énergie (environ la moitié de la demande d’énergie dans les bâtiments). Le chauffage urbain, qui permet d’intégrer à grande échelle des énergies propres pour répondre à la demande de chauffage, est un formidable vecteur de la transition énergétique. Cependant, son potentiel reste très sous-exploité puisque 90 % de la chaleur fournie par les réseaux est encore d’origine fossile (75 % en Europe, le continent le plus avancé en matière d’intégration des énergies renouvelables dans les systèmes de chauffage urbain), et que seulement 9 % de la demande mondiale de chauffage (industriel et bâtiments) est assurée par le chauffage urbain.
#1 Le chauffage urbain existe déjà dans de nombreux endroits
Le chauffage urbain est un système collectif de distribution de chaleur. En France, il englobe généralement aussi les centrales de production. Dans les centrales de chaleur, un fluide – vapeur ou eau – est chauffé par la chaleur d’incinération, les chaudières à biomasse ou la géothermie. Ce fluide chaud est ensuite transporté par des tuyaux isolés jusqu’à des sous-stations, qui relient le système de chauffage urbain aux systèmes secondaires. Le système secondaire correspond au système de distribution à l’intérieur des bâtiments – par exemple, les tuyaux qui traversent les bâtiments depuis la sous-station jusqu’aux radiateurs. Ce système secondaire est distinct du chauffage urbain et n’est pas régi par le même contrat. Le type de bâtiments alimentés par le chauffage urbain peut varier d’un pays à l’autre.
Dans la plupart des cas, le chauffage urbain est développé dans des zones où il y a déjà des bâtiments qui consomment beaucoup de chaleur, comme les hôpitaux, les centres commerciaux, les immeubles de bureaux ou les logements sociaux. Les logements privés, comme les logements collectifs ou individuels, peuvent également être raccordés au système, mais ce n’est pas le cas dans tous les pays. En France, les plus anciens systèmes de chauffage urbain datent d’avant les années 1950 dans certaines grandes villes comme Paris, Strasbourg ou Grenoble1. Par exemple, Paris a eu son chauffage urbain en 1927. Il est toujours en service et fonctionne à la vapeur. Entre les années 1950 et 1970, des systèmes de chauffage urbain ont été mis en place dans de nombreuses villes, mais principalement dans les nouveaux quartiers ou autour des usines d’incinération afin d’utiliser la chaleur. Dans les années 1980, la crise pétrolière a conduit au développement du chauffage urbain basé sur la géothermie, comme en région parisienne. Toutefois, ces systèmes sont rapidement devenus économiquement non viables en raison de la concurrence du gaz.
Le chauffage urbain, en tant que service énergétique, est un service public. L’autorité publique locale est propriétaire du système et responsable de son exploitation. En France, l’exploitation et la maintenance sont souvent déléguées à un opérateur privé par le biais d’une délégation de service public. Ces contrats peuvent durer des décennies (généralement environ 25 ans), et l’opérateur privé supporte les investissements2. Cependant, de plus en plus d’autorités publiques locales considèrent leur système de chauffage urbain comme un formidable levier pour la transition écologique.
#2 Les systèmes de chauffage urbain sont bénéfiques pour la transition écologique
Le chauffage et la climatisation représentent environ la moitié de l’énergie consommée dans l’Union européenne3, mais ils sont actuellement dominés par les combustibles fossiles4. Le chauffage urbain pourrait favoriser la production de chaleur durable à grande échelle. En effet, au lieu de demander à des milliers de familles de changer leur vieille chaudière à combustible, tout le quartier peut passer des combustibles fossiles à l’énergie durable en changeant l’usine de production à base de combustible pour, par exemple, une usine à base de biomasse. De plus, en abaissant la température du fluide et en ajoutant des stockages thermiques, il est plus facile d’intégrer une plus grande variété de moyens de production locaux et durables : chaleur résiduelle industrielle, énergie géothermique peu profonde, pompes à chaleur à grande échelle, etc. Le chauffage urbain est également un excellent coéquipier : il peut être couplé à un système de refroidissement ou être utilisé comme moyen de stockage de la production d’électricité renouvelable.
En intégrant une variété de ressources locales, le chauffage urbain est un formidable levier pour de nombreuses transitions locales. Il permet aux autorités publiques locales d’agir sur la décarbonisation, la pollution de l’air, la pauvreté énergétique, etc. Il peut même devenir un objet de démocratie locale si les citoyens sont intégrés à sa planification et à sa gouvernance. Il peut également promouvoir la souveraineté énergétique locale en garantissant un approvisionnement énergétique local et en réduisant la dépendance énergétique. Par exemple, Dunkerque est le plus grand système de chauffage urbain français basé sur la récupération de chaleur industrielle. Depuis la crise pétrolière, la municipalité souhaitait disposer d’une plus grande souveraineté énergétique et être en mesure de contrôler les prix de la chaleur. Elle a donc développé en 1986 un système de chauffage urbain récupérant la chaleur résiduelle d’Arcelor-Mittal, un important fabricant d’acier. Grâce à cette récupération, Arcelor-Mittal doit brûler moins de gaz, ce qui améliore la qualité de l’air et l’attractivité locale.
En 2009, le Fonds chaleur, une subvention publique française soutenant le développement de la chaleur renouvelable, a été mis en place. Il vise à rendre la chaleur renouvelable et de récupération compétitive par rapport aux solutions basées sur le gaz. Il a participé à la sécurisation des réseaux de chaleur géothermiques restants et a aidé au développement de nouveaux réseaux, basés sur au moins 50 % de chaleur renouvelable ou de récupération. Grâce à cette nouvelle dynamique, la France compte aujourd’hui 898 systèmes de chauffage urbain en fonctionnement, avec 62,6 % de production de chaleur renouvelable ou de récupération en moyenne5.
#3 Le potentiel du chauffage urbain est plus important que sa visibilité actuelle
Vous avez probablement déjà entendu parler de l’électricité verte produite par des éoliennes ou des panneaux solaires. Vous avez probablement entendu parler du biogaz, des gaz verts et de l’hydrogène. Mais avez-vous entendu parler des systèmes de chauffage urbain durables ? Pouvez-vous citer une entreprise qui fournit du chauffage urbain ?
Le chauffage urbain est sous-représenté dans le secteur de l’énergie et peu d’institutions défendent ces systèmes de manière visible. Le principal réseau européen de promotion du chauffage urbain s’appelle Euroheat & Power… Un nom qui ne donne aucune indication explicite sur son orientation vers l’énergie urbaine. De nombreuses entreprises françaises fournissant du chauffage urbain sont également des actrices majeures des marchés de l’électricité et du gaz, ce qui peut entraîner des conflits d’intérêts internes. En outre, certains pays – comme la France – ont historiquement fait le choix politique de développer les réseaux de gaz et d’électricité au niveau national.
Le chauffage urbain est sous-représenté dans le secteur de l’énergie et peu d’institutions défendent ces systèmes de manière visible.
Avec ces deux services en place et la sous-représentation du chauffage urbain, il peut être difficile pour les autorités publiques locales 1) d’acquérir des connaissances sur le chauffage urbain, 2) de justifier le développement d’un nouveau service énergétique alors que deux services sont déjà pleinement opérationnels et capables de fournir de la chaleur. Pour ajouter au deuxième point, un système de chauffage urbain doit avoir un niveau élevé de demande de chaleur et de densité pour être économiquement viable. Dans les endroits où il n’y a pas de connexion obligatoire au système, il peut être difficile d’atteindre et de garantir ce niveau de demande. En effet, il existe de nombreuses solutions – durables ou non – pour obtenir du chauffage et de l’eau chaude : chaudières individuelles au gaz ou au fioul, chauffage électrique, pompe à chaleur individuelle, panneaux solaires thermiques, etc. Certaines de ces solutions sont également soutenues par les politiques publiques, comme la mise en place de pompes à chaleur individuelles ou le chauffage électrique – un moyen de chauffage très peu efficace, mais assez développé en France en raison du faible prix de l’électricité et des politiques de soutien à l’électricité d’origine nucléaire.
Deux éléments rendent encore plus difficile la visibilité du chauffage urbain. Tout d’abord, son invisibilité ! Tout le système est souterrain, et la chaleur n’est pas aussi visible dans nos paysages que l’électricité. Les seules parties visibles sont les plantes, ce qui peut conduire à une opinion plutôt impopulaire sur le chauffage urbain… Deuxièmement, la déconnexion avec les utilisateurs finaux. Comme nous l’avons déjà mentionné, le chauffage urbain est distinct du système secondaire. Les clients sont les propriétaires des bâtiments, et non les utilisateurs finaux, et il n’y a pas de lien direct entre les utilisateurs de chaleur et les acteurs du chauffage urbain. De nombreux clients ne savent même pas qu’ils sont approvisionnés en chaleur par le chauffage urbain !