L’Inde en transition vers les véhicules électriques
- L'Inde s’est fixé des objectifs ambitieux pour sa transition vers les véhicules électriques, notamment avec le programme de subvention FAME.
- D'ici 2030, l'Inde vise notamment à ce que 30 % des voitures particulières et 80 % des deux-roues et trois-roues soient électriques parmi les nouvelles acquisitions.
- La nouvelle politique indienne sur les véhicules électriques pourrait faire des constructeurs comme Tata Motors et Mahindra des acteurs majeurs à l'avenir.
- Elle insiste notamment pour que les entreprises souhaitant travailler avec l'Inde sur la construction de voitures électriques le fassent en collaboration avec un partenaire local.
- Il existe encore des obstacles au succès de cette transition, comme le manque de places de stationnement ou des problèmes d'infrastructure (réseaux ferroviaires).
L’Inde s’est fixé des objectifs ambitieux pour sa transition vers les véhicules électriques. Quelle est la situation actuelle ?
Peter Wells. L’Inde, dans son ensemble, a plutôt bien réussi à adopter les véhicules électriques, mais il y a encore beaucoup à faire. Le pays a reconnu très tôt que la transition offrait des possibilités de gain, notamment en ce qui concerne la réduction des effets de la pollution de l’air et du bruit sur la santé. C’est pourquoi l’Inde soutient ce changement depuis 2015, notamment avec le programme de subventions FAME (Faster Adoption and Manufacturing of Hybrid and Electric Vehicles), qui soutient l’acquisition de véhicules électriques et l’installation de bornes de recharge, ainsi que l’acquisition de transports publics électriques.
Pourtant, pour l’instant, le pays est à la traîne par rapport à ses ambitions. D’ici à 20301, le pays vise à ce que 30 % des voitures particulières, 40 % des autobus et 80 % des deux-roues et trois-roues soient électriques parmi les nouvelles acquisitions, dans le cadre d’une initiative visant à réduire les émissions globales de 45 % d’ici à 2030. À l’heure actuelle, les véhicules électriques représentent environ 50 % des véhicules à trois roues (les véhicules dits « tuk tuk »), environ 5 % des véhicules à deux roues et 2 % des voitures achetées en 2024. Je pense que la plupart des observateurs extérieurs diraient que l’objectif à atteindre est beaucoup trop ambitieux.
Dans l’ensemble, l’Inde est un peu en retard par rapport à d’autres grands marchés comme la Chine, qui est désormais un leader important à la fois en termes de pénétration du marché et de localisation de la production. Mais elle est en avance sur d’autres marchés comparables comme le Brésil, par exemple.
L’Inde est un marché assez particulier en soi, n’est-ce pas ?
Historiquement, le marché a été principalement dominé par les véhicules commerciaux et une forte préférence pour les véhicules à deux-roues ou trois-roues. Il s’agit de véhicules résistants utilisés dans des contextes commerciaux tels que les services de taxi et autres – le degré de performance des véhicules électriques dans ce contexte est encore à débattre2. Les longs temps de charge, les coûts de propriété élevés et l’autonomie limitée peuvent accroître3 les risques pour les propriétaires d’entreprises qui investissent dans cette nouvelle technologie.
L’Inde a réussi à stimuler les ventes de véhicules électriques parmi les deux-roues et les trois-roues, mais elle ne fait certainement pas basculer le marché. Cela dit, cela a permis des avancées intéressantes, comme l’apparition de points d’échange de batteries qui permettent aux conducteurs de recharger leur deux-roues ou les trois-roues sans attendre.

Ce système peine encore à trouver ses marques, notamment en raison d’une courbe d’apprentissage abrupte en ce qui concerne la vitesse de dégradation des batteries, la rapidité de leur chargement, l’éducation des consommateurs, et aussi les négociations sur les tarifs de l’électricité, les subventions, etc. Mais cette technologie s’avère prometteuse pour répondre aux besoins des conducteurs professionnels. Cependant, nous avons assisté à une transformation significative du secteur automobile au cours des 10 à 15 dernières années, avec un intérêt croissant pour les voitures personnelles.
Où l’Inde se procure-t-elle ses voitures électriques ?
Nous avons vu de grands producteurs mondiaux comme Toyota, Suzuki, Nissan et Hyundai installer des centres de production en Inde. Les constructeurs automobiles du monde entier doivent s’adapter à la volatilité de la demande et à l’instabilité géopolitique croissante. Dans ce contexte, il devient de plus en plus crucial pour eux d’être en mesure de s’adapter rapidement à des chocs inattendus à court terme, qui sont difficiles à prévoir.
L’Inde, dont les coûts de fabrication sont de 10 à 25 % inférieurs à ceux de l’Europe et de l’Amérique latine, fait partie intégrante de cette structure très complexe et en constante évolution. Pourtant, les constructeurs internationaux qui y sont implantés sont tout aussi intéressés par l’exportation de ces voitures vers l’Asie et l’Europe que par le développement de leur empreinte dans le pays – dont le marché des voitures électriques est encore relativement petit, mais en pleine croissance, par rapport à sa population.
Cela s’explique en partie par le fait que l’Inde s’est employée à ériger des murs pour empêcher les voitures chinoises d’inonder le marché. Elle a donc imposé des barrières tarifaires importantes sur les véhicules finis arrivant sur le marché et insiste pour que les entreprises souhaitant travailler avec l’Inde le fassent en collaboration avec un partenaire local.
La nouvelle politique indienne en matière de véhicules électriques, le Scheme for Manufacturing of Electric Cars in India policy, réduit les taxes à l’importation sur 8 000 voitures électriques par an pour les constructeurs automobiles4 qui investissent au moins 500 millions de dollars dans la fabrication en Inde de véhicules dont 50 % des composants sont d’origine locale. Dans ce contexte, des constructeurs locaux comme Tata Motors et Mahindra deviennent des acteurs importants et pourraient le devenir davantage à l’avenir.
Cela signifie-t-il que l’Inde est sur le point de résoudre le problème du carbone dans son industrie automobile ?
En réalité, il existe encore des obstacles importants au succès indien, que la transition vers les véhicules électriques ne résoudra pas. Par exemple, de nombreuses villes indiennes souffrent d’un manque de places de stationnement, ce qui signifie que les conducteurs se retrouvent souvent dans la circulation après avoir déposé leurs passagers et roulent avec une voiture vide jusqu’à ce qu’ils puissent en reprendre d’autres. En raison de la médiocrité des réseaux ferroviaires, de nombreuses personnes se rendent en ville avec des véhicules à trois roues, ce qui contribue au problème d’encombrement des villes. La résolution de ces problèmes d’infrastructure contribuerait déjà grandement à réduire les émissions avant même que les véhicules électriques n’entrent en jeu.
Ensuite, il y a les questions climatiques – faire fonctionner la climatisation dans la voiture épuise la batterie et réduit son autonomie, ce qui rend la proposition moins attrayante. Il y a aussi les problèmes liés à la taille même du pays : de vastes zones rurales n’ont même pas accès à un réseau électrique de base, sans parler des bornes électriques de rechargement.
Tous ces facteurs font qu’il est plus difficile pour les gens d’utiliser ces véhicules électriques. On ne sait toujours pas comment ces véhicules électriques se comportent dans ces contextes et s’ils répondent aux besoins des consommateurs. L’Inde dépend aussi fortement du charbon et du pétrole pour alimenter une grande partie de son réseau, ce qui limite l’impact positif de la transition au profit des véhicules électriques sur les émissions. Le potentiel est énorme, mais l’ampleur du problème fait qu’il est vraiment difficile d’avoir un impact.
Que peuvent tirer nos lecteurs de cette situation ?
De nombreuses recherches se concentrent actuellement sur cette question de la transition. Ce qui ressort, c’est que le fait de disposer d’une nouvelle technologie, aussi robuste soit-elle, ne constitue pas en soi une solution. L’adoption de la technologie est très spécifique à la culture et au lieu. Il s’agit de structures physiques, de climat, d’environnement, de réglementations et, surtout, de la façon dont les gens vivent leur vie.
Cela met en lumière le manque de recherche en provenance de l’Inde elle-même. Une grande partie de la recherche est tournée vers l’intérieur – elle s’intéresse à l’Amérique du Nord, à l’Europe et, de plus en plus, à la Chine. Je pense que c’est un souci, car nous savons que les transitions en général ne fonctionnent pas de la même manière dans ces pays.