#1 Nous sommes en mesure de capter suffisamment de CO2 pour répondre aux objectifs de l’Accord de Paris.
En quoi l’affirmation #1 est-elle vraie ?
Les différents scénarios d’atténuation du changement climatique intègrent les technologies de captage, de stockage et d’utilisation du CO2 (CCUS).
Dans son scénario de neutralité carbone en 20501, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit de capter 7,6 Gt de CO2 chaque année d’ici 2050. Quant au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), il souligne dans son sixième rapport publié en avril 20222 : « Les stratégies d’atténuation permettant de [limiter le réchauffement à 1,5 °C ou 2 °C] incluent la transition vers des carburants fossiles associés à la capture et le stockage du CO2 […], et le déploiement des méthodes de capture du CO2 [ndlr : comme la capture directe atmosphérique] pour contrebalancer les émissions résiduelles. »
Il faut cependant garder en tête que la capture de CO2 n’est qu’une partie de la solution : 37,1 Gt de CO2 d’origine fossile ont été émis en 20213. Un ensemble d’actions doit être mis en œuvre pour atténuer le changement climatique : l’agriculture, la forêt ou encore les océans jouent tous, à leur façon, un rôle très important dans le bilan carbone global.
En quoi l’affirmation #1 est-elle fausse ?
Les objectifs sont largement supérieurs aux capacités actuelles de capture et de valorisation du CO2.
L’AIE estime qu’il faut capter 4 Gt de CO2/an en 2035 et 7,6 Gt d’ici 2050. À ce jour, seules 35 installations commerciales utilisent les CCUS. Ces sites sont des démonstrateurs et leurs capacités de captage sont extrêmement faibles : moins de 0,05 Gt de CO2 par an4.
L’AIE estime qu’il faut capter 4 Gt de CO2/an en 2035 et 7,6 Gt d’ici 2050.
La filière est à construire, et les objectifs de l’AIE sont hors d’atteinte en raison des investissements nécessaires notamment dans les pays fortement émetteurs comme la Chine, l’Inde et les États-Unis. La montée en puissance passe par l’équipement de nouvelles installations, mais aussi par la rénovation – très coûteuse – des unités existantes (le « retrofit »).
En quoi l’affirmation #1 est-elle incertaine ?
Les quantités d’eau et d’énergie nécessaires au CCUS pourraient être une limite au procédé.
Intéressons-nous aux retombées de l’installation d’une unité de capture de CO2 sur une centrale à charbon existante5. En partant d’un rendement électrique de 46 % pour une capacité de production de 500 MWe, la perte d’efficacité dans le cas idéal serait au minimum de 3,8 %. En réalité, cette perte s’élève plutôt à 10 %, soit un rendement après capture ramené à 36 %. Les deux tiers de l’énergie consommée le sont pour la capture, et le tiers restant pour la compression du CO2. Il faut ajouter à cela l’énergie nécessaire au transport et à l’injection : le maintien du CO2 à l’état supercritique ou liquéfié nécessite beaucoup d’énergie.
Concernant l’eau, les procédés actuels dégagent beaucoup de chaleur. L’eau nécessaire pour refroidir l’installation augmentera la consommation de cette ressource.
#2 Il est déjà possible de capter et de valoriser le CO2 émis par les activités humaines.
En quoi l’affirmation #2 est-elle vraie ?
De nombreux secteurs utilisent déjà les technologies de CCUS.
Les technologies de captage du CO2 existent depuis les années 70 : elles sont notamment utilisées pour la récupération assistée du pétrole ou encore pour le traitement des gaz naturels. Mais, dans ce cadre, le CO2n’est pas valorisé mais relâché dans l’atmosphère. 35 installations industrielles commerciales utilisent les CCUS pour capter et valoriser le CO2, par exemple en traitant les fumées de combustion grâce à l’absorption chimique aux amines.
En quoi l’affirmation #2 est-elle fausse ?
Les filières de valorisation ou stockage restent à développer.
À ce jour, parmi les 440 Mt de CO2 captées chaque année, 230 Mt de CO2 sont utilisées en majorité pour la production d’urée pour la fertilisation (130 millions de tonnes) et la récupération assistée de pétrole (80 millions de tonnes)6. Nous n’imaginons pas valoriser de cette façon des milliards de tonnes de CO2.
Concernant le stockage, certains démonstrateurs expérimentent déjà l’injection dans d’anciens champs gaziers. Mais le développement de cette filière devra faire face à des questions d’acceptabilité sociale. Il est important de stocker au plus près du captage pour limiter les coûts : par exemple en France, dans le Bassin parisien à l’est de Paris ou encore dans les environs de Pau.
En quoi l’affirmation #2 est-elle incertaine ?
L’intérêt de la capture directe dans l’air (DAC), un procédé couvrant les émissions diffuses (chauffage, voiture, etc.), reste discuté.
18 installations de DAC existent actuellement dans le monde (Europe, États-Unis et Canada) : elles captent presque 0,01 Mt de CO2 chaque année. Ces petites structures captent le CO2 pour des usages directs, comme la confection de boissons gazeuses. Seules deux d’entre elles stockent le CO2 dans des formations géologiques7.
La concentration globale de CO2 dans l’atmosphère est passée de 277 ppm avant l’ère industrielle à 417 ppm en 20228. Avec la DAC, il faudrait traiter des volumes d’air gigantesques pour atteindre les concentrations de l’ère préindustrielle ! Je pense que les investissements nécessaires, les coûts de fonctionnement et l’énergie requise font de la DAC une option de finition : la priorité est de capter le CO2 en sortie des industries les plus émettrices.
#3 Le stockage du CO2 à long terme est risqué.
En quoi l’affirmation #3 est-elle vraie ?
L’étanchéité des aquifères salins profonds est méconnue à long terme.
Les aquifères salins profonds sont des réservoirs privilégiés pour le CO2 : ils sont bien répartis sur la surface du globe et permettent donc de limiter le transport du CO2. De plus, ils offrent un potentiel de stockage très important, allant de 400 à 10 000 Gt9. Dans ces réservoirs, le CO2 serait dissous dans l’eau pour y être stocké, mais des incertitudes persistent quant à la stabilité du réservoir, notamment au niveau des risques géochimiques. En effet, l’ajout de CO2 va acidifier l’eau, ce qui pourrait provoquer des réactions chimiques avec la roche hôte et fragiliser le réservoir.
En quoi l’affirmation #3 est-elle fausse ?
Les anciens réservoirs d’hydrocarbures semblent plus stables dans le temps.
Les anciens réservoirs d’hydrocarbures font partie des autres réservoirs étudiés pour le stockage du CO2. S’ils présentent l’inconvénient d’avoir une répartition géographique moins intéressante, leur étanchéité a été éprouvée durant des millions d’années en tant que réservoirs d’hydrocarbures (gaz, charbon ou pétrole). Les risques géomécaniques et géochimiques liés à l’injection du CO2 doivent tout de même être mieux appréhendés : cela fait actuellement l’objet de démonstrateurs aux États-Unis, au Canada, en Algérie ou encore en Norvège.
En quoi l’affirmation #3 est-elle incertaine ?
De nouvelles voies de valorisation pourraient permettre de s’affranchir en partie du stockage du CO2.
Nous l’avons déjà évoqué, il est aussi possible de valoriser le CO2 capté. Mais les filières restent aujourd’hui limitées : il est sûr qu’on ne peut pas augmenter indéfiniment la production de fertilisant ! Mais de nombreux procédés bien connus pourraient permettre de valoriser le CO2 autrement, certains ont même déjà été développés à l’échelle industrielle par le passé. Par exemple, grâce à une réaction entre l’hydrogène et le CO2, de nombreux de carburants de synthèse peuvent être produits. Le CO2 peut également être utilisé pour produire du plastique ou encore des carbonates minéraux pour les matériaux de construction. Le problème réside dans le fait que ces procédés sont, à ce stade, plus coûteux que ceux reposant sur les matériaux fossiles comme le pétrole.