Le lithium géothermal, une ressource d’avenir ?
- Le lithium est une ressource essentielle à la transition écologique, mais aujourd’hui aucun pays européen n’en exploite industriellement.
- Paradoxalement, le continent abrite une réserve naturelle de lithium (près de 5 millions de tonnes) qu’il n’exploite pas.
- En France, une réserve jusqu’ici jamais exploitée industriellement dans le monde existe pourtant : le lithium des eaux géothermales.
- C’est une ressource stratégique, présentant de nombreux avantages : prêt à l’emploi, renouvelable avec des retombées environnementales moindres.
- Pour extraire le lithium de ces eaux profondes, plusieurs technologies se développent et sont testées en France et en Europe.
- Toutefois : si les technologies progressent, aucune exploitation industrielle n’existe aujourd’hui.
Indispensable à la transition énergétique, le lithium est une ressource tellement précieuse qu’on le surnomme « l’or blanc ». En 2022, il est très majoritairement extrait par trois pays : l’Australie (47 % de la production mondiale), le Chili (26 %) et la Chine (17 %)1. Les deux tiers du lithium produit dans le monde sont ensuite transformés en Chine. Le lithium est un métal considéré comme critique par l’Union européenne : le secteur des énergies propres – en particulier les batteries lithium-ion des véhicules électriques – est très dépendant de cette matière première, pourtant majoritairement importée.
À ce jour, aucun pays européen n’exploite industriellement du lithium. Les ressources y sont estimées à environ 5 millions de tonnes, soit 6,9 % des ressources mondiales2. La France compte une réserve jusqu’ici jamais exploitée industriellement dans le monde : le lithium naturellement présent dans les eaux géothermales.
D’où provient le lithium de nos batteries ?
À travers le monde, deux modes de production de lithium sont utilisés. En Australie par exemple, le lithium est récupéré par excavation minière dans des roches riches en lithium, des pegmatites à spodumène. On le trouve ailleurs dans le monde dans des granites ou des argiles. Le lithium peut également être récupéré dans les saumures – des eaux salées – naturellement riches en lithium dissous. C’est le cas notamment au Chili, où des lacs salés appelés salars, sont exploités. La production ressemble à celle du sel : l’eau est transférée dans des marais salants jusqu’à évaporation. Des procédés physico-chimiques sont ensuite employés pour produire du carbonate de lithium à partir de ces saumures concentrées.
Dans une centrale géothermique, l’eau souterraine naturellement chaude est pompée, l’énergie est récupérée – pour fournir de la chaleur ou de l’électricité – et l’eau est enfin réinjectée. Une quantité élevée de lithium a été détectée dans certaines réserves géothermales. Dans l’Est de la France, la centrale de Soultz-sous-Forêts exploite des eaux salées contenant 200 mg de lithium dans chaque litre d’eau3. « Le lithium géothermal est dans un système dit actif, où les eaux géothermales circulent et se rechargent en lithium, pointe Ghislain Trullenque. La différence avec les exploitations minières conventionnelles est fondamentale : ces dernières reposent sur des anciens systèmes géothermaux désormais éloignés de la source de chaleur, et sont donc des réservoirs fossiles incapables de se recharger. »
Pour récupérer le lithium des eaux chaudes profondes, plusieurs technologies innovantes existent aujourd’hui. En France, le groupe minier Eramet et IPF Énergies nouvelles ont développé dès les années 2010 une technologie d’extraction directe du lithium. Celle-ci a depuis été optimisée pour la récupération du lithium géothermal dans le cadre du projet de recherche EuGeli. « Un matériau lamellaire constitué d’hydroxyde d’aluminium permet d’adsorber [ndlr : fixer en surface] le chlorure de lithium », explique Arnaud Baudot. Grâce au prototype, les premiers kilogrammes de lithium européen issu d’eau géothermale ont été produits4.
Depuis fin 2023, un pilote d’extraction est installé à la centrale géothermique de Rittershoffen dans le but de tester l’efficacité du procédé en conditions réelles. « Le lithium issu de ces procédés a la qualité requise pour la fabrication de batteries », souligne Arnaud Baudot. En Allemagne, l’entreprise Vulcan Energy teste une technologie similaire. Autre procédé existant : la technologie d’échange d’ions, qui agit comme un filtre au sein duquel l’eau riche en lithium circule. La société française Geolith teste ce procédé à l’échelle semi-industrielle en Cornouailles, au Royaume-Uni. « Quelques autres initiatives existent en Europe mais aussi aux États-Unis, complète Arnaud Baudot. La France est très avancée dans le domaine grâce à un écosystème d’entreprises innovantes très actives dans le domaine de l’extraction et du raffinage du lithium. »
Reste que si les technologies progressent, aucune exploitation industrielle n’existe aujourd’hui. « Le lithium géothermal présente pourtant de nombreux avantages, souligne Yannick Peysson. Notamment celui d’être prêt à l’emploi. » Nul besoin d’envoyer la matière première en Chine pour son raffinage, comme c’est le cas aujourd’hui pour le lithium extrait des saumures ou des roches. Autre avantage : des retombées environnementales moindres. « Il suffit d’ajouter un ensemble de modules sur les centrales géothermiques existantes, pointe Ghislain Trullenque. Et même si une nouvelle centrale doit être installée, l’impact en surface est considérablement moindre que les exploitations conventionnelles, où des millions de mètres cubes de roches sont excavés et de grands bassins d’évaporation créés. Toute l’eau pompée – une eau impropre à la consommation – est réinjectée à son niveau d’origine pour lui permettre de se recharger en lithium. » L’énergie géothermale renouvelable est également envisagée comme source d’énergie principale pour les traitements en surface du lithium. Arnaud Baudot complète : « L’exploitation de lithium dans les bassins d’évaporation consomme 250 à 450 m3 d’eau par tonne de lithium produite. Ce chiffre s’élève à 150 m3 pour les roches, et tombe à quelques dizaines de m3 pour les sources géothermales. »
Une ressource stratégique, aux nombreux avantages
Les besoins augmentant considérablement, le lithium géothermal est devenu une ressource stratégique. La consommation en lithium du secteur de l’énergie a triplé entre 2017 et 2022, principalement en raison de l’explosion des ventes de véhicules électriques. L’Agence internationale de l’énergie (AIE)5 estime que la demande sera multipliée par 3,5 d’ici 2030 et 9,5 d’ici 2050 si les États respectent leurs engagements annoncés en faveur du climat. Dispose-t-on de suffisamment de ressources en lithium géothermal ? L’industriel Eramet ambitionne de produire suffisamment de lithium pour fabriquer 250 000 batteries de véhicules électriques par an. « Il n’existe pas d’inventaire mondial complet, et il faut tenir compte d’une concentration minimale en lithium pour que l’exploitation soit rentable, répond Yannick Peysson. Aujourd’hui, cette concentration minimale est considérée égale à environ 100 mg par litre d’eau. » Une évaluation partielle – concernant 48 régions à travers le monde – avance que les ressources en lithium géothermal sont du même ordre de grandeur que celles des salars et des roches6.
« La grande question du moment – à laquelle se consacrent plusieurs consortiums de recherche – est de savoir si les eaux exploitées peuvent se recharger suffisamment vite en lithium », pointe Yannick Peysson. Au fur et à mesure de l’exploitation du lithium, le réservoir d’eau souterrain va en effet s’appauvrir en lithium. Ce déséquilibre va provoquer une altération de la roche dans laquelle circule ces eaux géothermales, qui pourraient alors s’enrichir à nouveau en lithium. « L’exploitation de ces systèmes actifs offre le potentiel – inédit – d’un réservoir capable de se recharger en lithium, conclut Ghislain Trullenque. Il est fondamental de mieux caractériser ces processus de recharge pour mettre en place des exploitations raisonnées et pérennes de ces réservoirs. »