La plupart des marines du monde s’intéressent aujourd’hui aux drones. Que ce soit pour des missions sous-marines, de surface, ou à travers des engins aériens adaptés, la dronisation navale semble être en marche. Complémentaires des navires habités plus coûteux, ces systèmes commandés à distance ou autonomes peuvent servir à de multiples missions : surveillance, transport, ravitaillement, interventions létales…
Les États-Unis et la Chine restent les leaders dans ce domaine, mais ne sont pas les seuls. La Turquie, la Corée, le Royaume-Uni ont également une longueur d’avance. Qu’en est-il de la France ? La Marine nationale développe-t-elle une politique de dronisation à la hauteur de ses ambitions ?
Où en est la France dans la dronisation de sa Marine ?
La France, qui a pourtant de grandes ambitions pour sa Marine, ne se précipite pas sur ces questions. Les projets qui existent sont souvent assez longs, et plutôt limités dans leurs ambitions. Il y en a trois qui mènent l’effort de dronisation de la Marine nationale : un drone hélicoptère de taille moyenne, un drone aérien de petite taille et un système de drone destiné à la lutte anti-mines. Les projets ont été lancés pour la plupart il y a plus de dix ans, ils sont encore en phases d’expérimentation plus ou moins aboutie, et ne seront pas livrés avant un moment, avec une possibilité que les technologies soient dépassées lors de leur mise en service.
Les drones navals ne sont pas révolutionnaires, mais ils seront une composante indispensable des flottes du futur.
Est-ce que la France a les capacités industrielles pour mener une politique de dronisation navale importante ?
En France, nous avons beaucoup de champions industriels, comme ECA-IXblue ou Naval Group. Il y a aussi de plus petites structures, comme Diodon. Il existe déjà tout un écosystème, une base technologique et industrielle très active, et plutôt avancée dans le domaine des drones navals. Comme l’intérêt de la Marine est limité, soit ces entreprises vont exporter, soit elles arrêteront.
À quels enjeux la dronisation peut-elle répondre pour la France ?
L’essentiel des infrastructures critiques nécessaires à l’entretien des navires les plus importants sont en métropole. Avoir une politique ambitieuse de drones nécessitant moins d’infrastructures pourrait permettre d’assurer une présence renforcée dans des territoires moins dotés et étendre la portée de la Marine. Par ailleurs, les frégates les plus modernes sont très performantes, mais elles sont aussi massives, coûteuses et vulnérables. Leur adjoindre de petites plateformes sans équipage permettrait à la fois de dégager des effectifs pour d’autres missions, mais également de réduire la vulnérabilité en décentralisant capteurs et effecteurs. Si vous perdez un drone, a priori, l’équipage est encore à l’abri au centre de commandement.
Quelles missions pourraient remplir des drones navals pour la Marine nationale ?
Les plateformes qui arrivent à maturité aujourd’hui peuvent remplir un nombre croissant de missions. Il y a des enjeux de contrôle des fonds marins, de présence dans les territoires du Pacifique, par exemple. Naval Group propose un drone sous-marin d’assez grande taille qui pourrait poser des mines, observer, récupérer des opérateurs en mer, interdire une zone. Avec des petites plateformes de surface rapides comme celles que développe l’industrie turque, vous pouvez développer une capacité non-négligeable pour différentes missions : guerre électronique, lutte contre les incendies, sauvetage, transport…
Qu’est-ce qui empêche de développer une politique ambitieuse de «dronisation » navale ?
Nous devons, à mon sens, revoir notre manière de développer des systèmes d’armes. Quand l’armée veut quelque chose, elle transmet un cahier des charges extrêmement précis pour un système, dans le cadre d’une mission : aller à telle profondeur, telle vitesse, pour tel temps d’autonomie. Les industriels doivent rapidement arrêter une architecture avec les composants de leur époque pour présenter le système.
Il y a ensuite un long délai entre la définition de l’architecture et la mise en service, et les composants finissent souvent par être obsolètes. À la fin, le système est trop spécifique pour évoluer et servir à d’autres missions. Sur des technologies qui évoluent aussi vite, il vaut mieux s’appuyer sur un objectif de mission plutôt que de performance dans une logique de partenariat à plus long terme. Les systèmes finiraient par être plus souples et plus en raccord avec l’évolution des technologies.
Si cette stratégie reste la même, comment imaginez-vous le futur des drones navals en France ?
En 2030, la Marine aura les trois systèmes développés actuellement, et un autre pour les fonds marins acheté sur étagère. D’autres auront été plus ambitieux et plus rapides, en travaillant main dans la main avec leur industrie. Il y a quinze ans, la France avait des billes industrielles intéressantes dans les drones aériens, mais comme l’Armée de l’air ne s’y intéressait pas, on a manqué le coche. Il faut monter dans le train tant qu’on le peut encore, sinon nous allons être dépassés et devrons acheter à l’étranger, comme nous le faisons pour nos drones aériens.
Comment expliquer cette frilosité de la Marine nationale ?
Les armées sont perpétuellement en train de jongler avec des budgets très limités. Les marins craignent qu’un investissement dans les drones retire des fonds pour d’autres secteurs. Historiquement, les armées sont plutôt circonspectes par rapport au changement. Elles ont eu de mauvaises expériences par rapport à des objets technologiques vantés comme révolutionnaires. Les drones navals ne sont pas révolutionnaires, mais ils seront une composante indispensable des flottes du futur. Il faudrait faire rentrer la culture du drone dans la marine. Pour chaque problème, il faudrait se demander si une solution de dronisation est possible. Nous avons des avantages que certains n’ont pas pour y répondre, il faut profiter de nos atouts.
Sirine Azouaoui
Pour aller plus loin
Léo Péria-Peigné, « La dronisation navale, une opportunité pour la Marine nationale de 2030 ? », Briefings de l’Ifri, Ifri, 25 août 2022. https://www.ifri.org/fr/publications/briefings-de-lifri/dronisation-navale-une-opportunite-marine-nationale-de-2030