Qu’est-ce qu’Ircam Amplify ?
C’est une filiale de l’Ircam (Institut de recherches et coordination acoustique/musique). Après la mise en place d’une activité de valorisation industrielle en interne, l’Ircam a créé cette filiale commerciale dédiée, pour le transfert technologique de ses travaux de recherche.
Ces dernières années, il y avait une demande croissante d’entreprises diverses pour des produits sonores. C’est à ce besoin que nous répondons, avec une équipe d’une trentaine de personnes comprenant des scientifiques (ingénieurs, chercheurs) et des créatifs (designers). Nous traitons du son dans toutes ses dimensions, depuis le son émis, transformé, transporté, jusqu’à sa diffusion.Nous sommes divisés en deux pôles : un pôle développement de technologies pour les artistes et l’industrie musicale et un pôle de création d’expériences sonores. Le premier développe essentiellement des produits et des logiciels pour les professionnels du secteur musical, de l’industrie automobile ou de l’industrie des objets connectés. Le second pôle, « expérience » que je dirige, crée des produits et services innovants qui transforment notre expérience du son au quotidien. Ils répondent aux besoins de clients internationaux issus de toute sorte d’industries, de la musique à l’automobile en passant par l’industrie du luxe.
Vous créez des « signatures sonores », en associant des sons à des produits ?
Oui, nous estimons que le son peut être un marqueur aussi important que l’image pour identifier une marque. La question s’est posée très concrètement pendant le confinement. Comment percevoir – et vendre – un parfum qu’on ne peut pas le sentir ? Quel est le son d’une odeur ? Et celui d’un goût ? Nous nous appuyons sur la polysensorialité. Ce mot désigne un phénomène neurologique qui se produit quand une information, destinée à stimuler un de nos cinq sens, en sollicite un autre. Chez certaines personnes, un son peut aller jusqu’à provoquer un goût en bouche, ou être associé à une couleur. Notre travail en tant que designers sonores est de chercher le son qui évoquera le mieux une notion, un ingrédient, pour une cible donnée. Mais si nous avons un vocabulaire très développé pour le goût ou l’odorat, que nous savons définir des notions clés comme l’âpre ou l’amer, nous sommes très limités en ce qui concerne le vocabulaire sonore. Nous nous sommes donc appuyés sur la méthode SpeaK, mise au point au laboratoire « Perception et design sonore » de l’Ircam, pour caractériser les sons.
Comment construire un vocabulaire des sons ?
L’approche de la méthode SpeaK est relativement simple. Elle se présente sous forme d’un jeu de cartes sur lesquelles des mots du lexique sonore sont classés en trois catégories : les qualités générales du son, l’intensité (faible/fort) et la hauteur (grave/aigüe). Le timbre est associé aux sensations de brillance et de rugosité. La morphologie, elle, est associée aux variations temporelles d’intensité (crescendo/decrescendo). Un son peut, par exemple, être de qualité grave ou aiguë, avoir une morphologie constante ou fluctuante, un timbre et un caractère mat ou brillant. C’est en travaillant sur ce vocabulaire, que nous avons pu attribuer des « capsules sonores » à des chocolats ou des parfums.
Le son prend une place de plus en plus importante dans la vie quotidienne, notamment car il est associés à la gestion des interfaces homme-machine. Par exemple, vous savez que votre ordinateur se charge quand vous le branchez, car le son signale l’action. Les fabricants travaillent également de plus en plus sur les sons « organiques » des objets, quitte à essayer de les rendre plus silencieux. Si vous voulez vendre une brosse à dent électrique, un sèche-cheveux ou une cafetière, il ne faut pas seulement soigner l’apparence de l’objet, mais également le bruit lors de l’utilisation.
Les sons peuvent-ils influer sur les comportements d’achat ?
Oui. Nous avons notamment mené une étude, sur un panel d’utilisateurs français et américains qui ont testé deux versions d’un même site de e‑commerce, où figuraient quatre parfums. Le premier site proposait une traduction sonore de chaque produit, tandis que le second présentait les produits de manière classique et silencieuse. En France, 47 % des répondants, ayant testé le premier site déclaraient vouloir potentiellement acheter le parfum. Pour le site traditionnel, ce taux n’est que de 30 %. L’impact est plus élevé encore lorsque les utilisateurs ont apprécié le son, avec 40 % d’intentions d’achat.
Dans certains secteurs, le son est-il utilisé pour des raisons de sécurité ?
La législation européenne impose aux voitures hybrides et électriques d’émettre un son minimum de 56 décibels quand elles roulent à moins de 20 km/h, soit l’équivalent du bruit d’un lave-vaisselle, d’un ordinateur de bureau ou de l’ambiance dans un restaurant paisible… L’objectif est d’alerter les piétons et les cyclistes de l’arrivée d’un véhicule. Nos oreilles étant éduquées au bruit des moteurs thermiques, elles peuvent être trompées par le trop faible son d’un moteur électrique. En collaboration avec Renault, l’Ircam travaille à la fois sur cette signalétique sonore extérieure (VSP – Vehicule Sound for Pedestrians), mais aussi sur l’acoustique à l’intérieur de l’habitacle. On rejoint là des préoccupations marketing, car certains utilisateurs se plaignent de l’absence de sons caractéristiques des nouveaux modèles de voiture. Ceux ou celles qui appréciaient le bruit si typique des moteurs d’une 2 CV, d’un Combi Volkswagen ou d’une Maserati, n’apprécient pas le silence des nouveaux véhicules.
Utilisez-vous les sons existants ou bien vous en créez de totalement nouveaux ?
Cela dépend du produit. Quand l’objet est très innovant, il vaut mieux parfois travailler sur des sons existants. Par exemple, quand vous placez un document dans la corbeille d’un ordinateur Apple vous entendez le son d’un objet qui tombe, puis quand vous videz la corbeille, vous avez le bruit du papier froissé, ce qui ne correspond pas du tout à ce qui se passe dans votre ordinateur ! Mais c’est la métaphore (ou le skeuomorphisme1) la plus proche, qui permet à l’utilisateur de se repérer dans ce nouvel environnement…
Marina Julienne
Référence :
Lexique Speak : https://speak.ircam.fr/lexique/lexique-ircam/