IRIS2 : tout savoir sur cette nouvelle constellation européenne
- L’Europe déploiera en 2030 la constellation de satellites télécoms IRIS2 afin d’éviter de dépendre d’acteurs extra-européens pour ses besoins stratégiques ou gouvernementaux.
- IRIS2 comptera 264 satellites en orbite basse et 18 satellites en orbite moyenne ; elle n’est donc pas une méga-constellation, contrairement à Starlink ou Kuiper.
- Parmi les défis technologiques qui attendent le projet, on compte celui de sa sécurisation ainsi que celui d’une miniaturisation électronique novatrice pour l’Europe.
- Si la stratégie mise en place par IRIS2 vise à limiter la prolifération de débris en orbite terrestre, des acteurs comme Starlink suscitent des inquiétudes à ce sujet.
- Face à la volonté des États-Unis d’exercer une emprise économique sur l’Europe, cette dernière a besoin d’autonomie, qui passe par le développement de ses propres outils spatiaux.
Après Galileo et Copernicus, l’Europe déploiera en 2030 la constellation de satellites de télécommunications IRIS² (ou Infrastructure de résilience, d’interconnectivité et de sécurité par satellite). Jean-Pierre Diris, coordinateur interministériel IRIS², nous explique les enjeux de ce nouveau projet porté par la Commission européenne et les défis technologiques qui le sous-tendent.
Pourquoi l’Europe juge-t-elle nécessaire de déployer une constellation de satellites télécoms ?
Jean-Pierre Diris. La transformation numérique de nos sociétés conduit à une explosion de la demande en connectivité. Or, jusqu’à peu, la connectivité spatiale était moins performante et plus coûteuse que les technologies terrestres. Mais les progrès opérés en matière de miniaturisation électronique, la mise en service de lanceurs réutilisables et le déploiement de capacités industrielles permettant la fabrication de satellites en série ont rendu possible l’avènement de « méga constellations », qui sont en passe de révolutionner le marché et les usages.
Afin d’éviter de dépendre d’acteurs extra-européens pour ses besoins stratégiques, militaires et gouvernementaux, l’Europe a donc souhaité disposer de sa constellation propre. IRIS² offrira ainsi une connectivité sécurisée à nos ambassades, à nos forces armées sur les théâtres d’opérations ou encore à nos services gouvernementaux en cas de crises environnementales, y compris quand les technologies terrestres sont absentes ou indisponibles. En parallèle, elle fournira aussi un service commercial compétitif.
IRIS² rejoindra donc le cercle de moins en moins fermé des constellations de satellites de télécoms, aujourd’hui dominé par Starlink, opéré par SpaceX. Combien de satellites comptera-t-elle ?
IRIS² comptera 264 satellites en orbite basse (ou LEO pour low Earth orbit, en l’occurrence 1 200 km d’altitude), et 18 satellites en orbite moyenne (ou MEO pour medium Earth orbit, ici 8 000 km d’altitude). À titre de comparaison, Starlink compte déjà 7 000 satellites et envisage d’en déployer en tout 42 000 en orbite basse. Amazon est sur le point de lancer les premiers satellites de la constellation Kuiper, qui devrait en compter 3 200. Le gouvernement chinois a également commencé à déployer fin 2024 Guowang (« réseau national » en chinois), qui comptera 13 000 satellites et d’autres projets de cette envergure, soutenus par des intérêts privés, se développent dans le pays.
IRIS² n’est donc pas une méga constellation, et contrairement à Starlink ou Kuiper, sa vocation n’est pas purement commerciale.
Les négociations relatives à IRIS² ont été âpres au sein de la Commission, en particulier entre la France et l’Allemagne. Où en est le projet aujourd’hui ?
La Commission européenne a lancé IRIS² en 2022 et son règlement a été validé au niveau européen en mars 2023. Le 16 décembre dernier, un pas décisif était franchi avec la signature d’un contrat de concession, pour une durée de 12 ans, avec le consortium industriel SpaceRISE formé par trois opérateurs : Eutelsat, SES et l’espagnol Hispasat. Entre 2023 et 2024, les discussions entre les 27 États membres ont en effet été nourries et l’Allemagne a fait part de réticences. Mais je crois pouvoir dire que nous avons tourné la page sur ces difficultés.
Thalès et Airbus ont par ailleurs choisi de quitter le consortium industriel SpaceRISE en juillet 2024. Quelle est l’actuelle structure de financement d’IRIS² ?
Le contrat de concession porte sur un montant de 10,6 milliards d’euros, 60 % provenant de fonds publics européens et les 40 % restants étant assumés par les trois membres du consortium. Cette structuration sous forme de partenariat public-privé est une première dans le spatial européen pour un projet de cette ampleur. Cela impose bien sûr la rentabilité des services commerciaux délivrés par IRIS², et donc un haut niveau de compétitivité, que l’Europe se sait en mesure de maîtriser. Et précisons que si Thalès et Airbus ne font plus partie de SpaceRISE, ils en restent des partenaires privilégiés.
Quels sont les défis technologiques qui attendent IRIS² ?
Le point central est celui de la sécurisation, qui concerne aussi bien la commande et le contrôle des satellites que l’ensemble des communications portées par le réseau. Elle reposera notamment sur une communication inter-satellite par transmission laser à haut débit. Les données seront envoyées vers cinq points de présence au sol seulement, tous situés sur le territoire européen. Cette configuration évitera de dépendre d’une infrastructure terrestre non contrôlée.

IRIS² permettra aussi un saut technologique en matière de miniaturisation électronique. Les opérateurs ont en effet choisi de travailler en standard 5G afin de proposer une offre commerciale sans couture entre le terrestre et le spatial. Les satellites, très numérisés, seront de plus entièrement reprogrammables, en particulier en cas de passage à la 6G. Ces caractéristiques s’appuieront sur des technologies numériques très intégrées, avec des gravures atteignant typiquement 7 nm, ce qui n’avait pas encore été fait en Europe.
IRIS² sera mise en service après plusieurs autres constellations. Cela pourrait-il poser des difficultés en matière d’attribution des fréquences ?
En réalité, l’Europe est très bien placée dans cette compétition sur les bandes de fréquence. IRIS² prolongera deux constellations existantes : OneWeb, réseau initialement américain et racheté par le français Eutelsat en septembre 2023, et O3b mPOWER opéré par le luxembourgeois SES. Elle bénéficiera donc pour ses applications commerciales de leurs droits fréquentiels réservés, qui ont un niveau de priorité excellent (OneWeb, notamment est prioritaire sur Starlink en orbite basse). Les applications gouvernementales s’appuient quant à elles sur une gamme de fréquences spécifique, la bande Ka militaire : la France et l’Europe ont déposé des droits fréquentiels sur cette gamme très tôt, et disposent de ce fait de droits de priorité assez remarquables.
En mars 2024, l’Académie des sciences s’inquiétait des quantités de débris en orbite, ainsi que des conséquences des méga constellations sur l’astronomie1. Comment le projet IRIS² prend-il en compte ces inquiétudes ?
Le consortium a prévu de développer des satellites non-émissifs afin de ne pas perturber les observations astronomiques. La production de débris en orbite provient quant à elle essentiellement des collisions accidentelles, qu’il faut en effet éviter à tout prix car la présence de débris conduit à une dégradation exponentielle des objets en orbite. Cela passe notamment par la commande et le contrôle des satellites et l’Europe a une très bonne expérience en la matière. En revanche, il y a une forme d’inquiétude sur le niveau de maîtrise des nouveaux acteurs. Nous savons par exemple que SpaceX manœuvre très souvent ses satellites pour éviter les collisions, et que plus de 400 d’entre eux sont actuellement en panne, ce qui est assez préoccupant.
La désintégration dans l’atmosphère des satellites en fin de vie n’est pas non plus sans poser problème, avec notamment la production de particules d’oxyde d’aluminium, qui aurait un impact sur la couche d’ozone2. Comment les porteurs d’IRIS² s’emparent-ils de ce sujet ?
Nous suivons naturellement de près les recherches sur ce thème, mais il faut avouer qu’il n’y a pas encore de vision consolidée sur les différents risques occasionnés par la désintégration d’un grand nombre de satellites dans l’atmosphère. Rappelons dans tous les cas que l’Europe, avec IRIS², a fait le choix d’un modèle très soutenable : moins de 300 objets, dont la durée de vie unitaire s’élève à dix ans. Là encore, la multiplication de méga constellations pose un tout autre problème : avec plusieurs dizaines de milliers de satellites d’une durée de vie au moins deux fois plus réduite, les risques, quels qu’ils soient, augmenteront considérablement.
L’entrée dans le nouveau paradigme que vous évoquiez au début de cet entretien est en grande partie liée aux moyens développés par SpaceX. La nomination d’Elon Musk au sein du gouvernement américain change-t-elle la donne pour l’Europe spatiale ?
Jamais le spatial n’a été aussi haut dans les perspectives américaines et cela arrive en effet sous une forme très inattendue… Il y a aujourd’hui une forte volonté américaine d’avoir une emprise économique sur l’Europe, comme le soulignent les partenariats que SpaceX essaie de nouer avec l’Italie ou avec l’Allemagne. En parallèle, le nouveau président américain est très clair sur le fait que l’Europe va devoir apprendre à se débrouiller seule dans le champ de la défense. Cette conjonction de volontés conforte notre position : nous ne pouvons être soumis pour nos usages critiques à des changements de cap permanents, ou dépendre d’acteurs économiquement agressifs. L’Europe a plus que jamais besoin de son autonomie stratégique.