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La Chine en situation de monopole sur les terres rares

Mathieu Xémard, chargé de mission au Centre Interdisciplinaire d'Études pour la Défense et la Sécurité (IP Paris)
Le 29 janvier 2025 |
5 min. de lecture
Mathieu Xemard
Mathieu Xémard
chargé de mission au Centre Interdisciplinaire d'Études pour la Défense et la Sécurité (IP Paris)
En bref
  • Les terres rares sont des éléments métalliques qui servent notamment à la fabrication de catalyseurs de pots catalytiques, d’aimants ou encore d’appareils robotiques.
  • Aujourd’hui, leur présence dans le système d’armement pose des questions de souveraineté, en raison du monopole de la Chine en la matière.
  • La Chine représente en effet 69 % de la production mondiale de minerais de terres en 2023, loin devant les États-Unis (12 %), la Birmanie (11 %) et l’Australie (5 %).
  • Si des entreprises annoncent vouloir reprendre la main sur ce marché, le monopole de la Chine lui permet cependant de faire obstacle en augmentant artificiellement la volatilité des prix.
  • Pour enrayer le monopole chinois, des acteurs comme l’École polytechnique travaillent sur le recyclage comme mode d’approvisionnement alternatif des terres rares.

Pourquoi les terres rares ne sont-elles pas des métaux comme les autres ?

Math­ieu Xemard. Les ter­res rares sont une famille de 17 élé­ments métalliques aux pro­priétés physi­co-chim­iques sim­i­laires. Elles n’ont de rare que le nom : elles sont rel­a­tive­ment répan­dues sur la planète. Par exem­ple, la plus abon­dante (le céri­um) est plus courante dans la croute ter­restre que le cuiv­re. En revanche, elles présen­tent la car­ac­téris­tique d’être très diluées dans des gise­ments dont elles ne sont pas le métal prin­ci­pal et il est néces­saire d’exploiter d’importantes quan­tités de min­erais pour répon­dre à la demande.

Une de leurs par­tic­u­lar­ités est leur bal­ance com­mer­ciale, très spé­ci­fique. Les procédés de sépa­ra­tion imposent d’isoler cha­cune des ter­res rares à par­tir de min­erais où elles sont sys­té­ma­tique­ment toutes mélangées. La pro­duc­tion de cha­cune d’entre elles n’est donc pas dic­tée par leur pro­pre marché, mais par la demande pour les plus recher­chées. C’est pourquoi les ter­res rares les plus abon­dantes peinent à trou­ver leur marché, alors que d’autres sont en forte ten­sion. À cela s’ajoute le mono­pole qua­si-exclusif de la Chine, alors que les besoins mon­di­aux en cer­taines ter­res rares sont de plus en plus importants.

À quoi servent les terres rares ?

Les plus abon­dantes (céri­um et lan­thane) sont prin­ci­pale­ment util­isées dans les catal­y­seurs des pots cat­aly­tiques ou pour le craquage cat­aly­tique du pét­role en essence1. La dis­pari­tion pro­gres­sive de la voiture ther­mique au prof­it de la voiture élec­trique explique la con­trac­tion de leur marché. Les ter­res rares en ten­sion sont celles util­isées pour fab­ri­quer les aimants : néodyme, dys­pro­sium, ter­bium et praséodyme. Leur marché est en pleine explo­sion :  les aimants néodyme-fer-bore sont les plus puis­sants fab­riqués aujourd’hui et sont très util­isés pour fab­ri­quer des moteurs minia­tur­isés puis­sants, dans les voitures élec­triques notam­ment. En rai­son de leurs pro­priétés mag­né­tiques remar­quables, on retrou­ve égale­ment ces aimants dans les éoli­ennes en mer – de 80 kg/MW à 200 kg/MW de ter­res rares en 2015 selon les tech­nolo­gies util­isées2 – ou encore dans la robotique.

Vous travaillez au Centre Interdisciplinaire d’Études pour la Défense et la Sécurité… quels sont les usages militaires des terres rares ?

Là encore, elles sont util­isées sous formes d’alliages mag­né­tiques dans des moteurs de toutes tailles ou dans les dis­ques durs. En rai­son de leurs pro­priétés optiques et élec­tron­iques, elles sont aus­si util­isées dans de nom­breuses appli­ca­tions en optron­ique (obser­va­tion, guidage, com­mu­ni­ca­tion, etc.). Elles sont présentes un peu partout dans les sys­tèmes d’armement : par exem­ple, un avion de com­bat F35 améri­cain con­tient plus de 400 kg de matéri­aux divers con­tenant au moins une terre rare3. Même si les quan­tités con­cernées par l’armement restent faibles en com­para­i­son des marchés civils, cela pose de réelles ques­tions de sou­veraineté en rai­son du mono­pole de la Chine.

Dans quelle mesure la Chine détient-elle le monopole des terres rares ?

La Chine représente env­i­ron 69 % de la pro­duc­tion mon­di­ale de min­erais de ter­res en 20234. Loin der­rière, on trou­ve les États-Unis (12 %), la Bir­manie (11 %) et l’Australie (5 %). Une fois ces min­erais extraits, il est néces­saire de les traiter pour sépar­er, puri­fi­er et raf­fin­er cha­cune des ter­res rares. Or la Chine est le seul pays qui réalise toutes ces étapes, l’Australie et les États-Unis reven­dent une par­tie de leurs min­erais à demi trans­for­més à la Chine pour finalis­er le raf­fi­nage ! La Chine pro­duit ain­si 85 % des ter­res rares légères puri­fiées util­isées au niveau mon­di­al, et 100 % des ter­res rares lourdes.

Source : https://​www​.min​er​al​in​fo​.fr/​f​r​/​e​c​o​m​i​n​e​/​m​a​r​c​h​e​-​d​e​s​-​t​e​r​r​e​s​-​r​a​r​e​s​-​2​0​2​2​-​f​i​l​i​e​r​e​s​-​d​a​p​p​r​o​v​i​s​i​o​n​n​e​m​e​n​t​-​a​i​m​a​n​t​s​-​p​e​r​m​a​nents

La Chine a‑t-elle le monopole sur l’ensemble de la chaîne de valeur des terres rares ?

Oui, aujourd’hui la Chine maîtrise et domine l’ensemble de la chaîne de valeur. Le pays est passé pro­gres­sive­ment de l’extraction à la sépa­ra­tion, en pas­sant par le raf­fi­nage et la métal­lurgie, jusqu’à s’imposer sur la fab­ri­ca­tion des aimants.

Dans les années 1990, le Japon et les États-Unis étaient les prin­ci­paux fab­ri­cants d’aimants. Leur savoir-faire repo­sait une forte com­pé­tence en métal­lurgie et un con­trôle pré­cis de la com­po­si­tion des alliages mag­né­tiques obtenus. Mais aux États-Unis, Mag­nequench – la fil­iale de Gen­er­al Motors en charge de la pro­duc­tion d’aimants – a été rachetée par deux groupes chi­nois en 1997. Au Japon, la Chine s’est d’abord imposée comme four­nisseur de ter­res rares puri­fiées, puis a poussé les entre­pris­es japon­ais­es à délo­calis­er une par­tie de la pro­duc­tion d’aimants pour accéder aux marchés chi­nois, met­tant ain­si la main sur les dernières tech­nolo­gies man­quantes au début des années 20105.

Désor­mais, la Chine ne vend qua­si­ment plus de matières pre­mières : elle les utilise pour fab­ri­quer des pro­duits à plus forte valeur ajoutée comme les aimants ou les moteurs élec­triques. En 2019, le pays assur­ait 92 % de la pro­duc­tion mon­di­ale d’aimants per­ma­nents aux ter­res rares6. Et le pays est aujourd’hui en train de s’imposer en tant que fab­ri­cant de voitures élec­triques – la dernière étape de cette chaîne de valeur – en péné­trant le marché européen.

D’autres pays ne cherchent-ils pas à reprendre la main sur ce marché ?

Il y a quelques décen­nies, la France était l’acteur majeur de la sépa­ra­tion grâce à l’entreprise Rhône-Poulenc (Solvay aujourd’hui). Dès 1992, pour des raisons économiques et régle­men­taires, son usine à La Rochelle a dû se restrein­dre à cer­tains usages bien spé­ci­fiques des ter­res rares. Fin 2022, Solvay a néan­moins annon­cé vouloir relancer des activ­ités de sépa­ra­tions et de purifi­ca­tion d’oxydes de ter­res rares pour les aimants7.

La prin­ci­pale dif­fi­culté reste la posi­tion de la Chine : elle lui per­met si besoin d’augmenter arti­fi­cielle­ment la volatil­ité des prix. La via­bil­ité économique de ce type de pro­jet indus­triel est dif­fi­cile à assur­er, et il est aujourd’hui qua­si­ment impos­si­ble de trou­ver des acteurs privés prêts aux lourds investisse­ments néces­saires à l’ouverture de nou­velles usines. Les États-Unis ont décidé de con­tourn­er ce prob­lème en pas­sant d’importantes com­man­des via le Depart­ment of Ener­gy et le Depart­ment of Defense pour con­stituer des stocks stratégiques. Cela a déjà per­mis de relancer la mine his­torique de Moun­tain Pass en Cal­i­fornie et de financer la future ouver­ture d’une usine de sépa­ra­tion8.

Existe-t-il d’autres solutions pour enrayer le monopole chinois ?

La pre­mière chose à met­tre en œuvre – et la plus effi­cace et rapi­de – est de réduire la con­som­ma­tion. Moins nous con­som­mons, plus nous réduisons notre dépen­dance. L’une des voies envis­age­ables est l’écodesign : il est pos­si­ble de renon­cer aux aimants et aux ter­res rares pour cer­tains usages en accep­tant les pertes de per­for­mance asso­ciées. Ensuite, il est néces­saire de dévelop­per des entre­pris­es à n’importe quelle étape de la chaîne de valeur. Cela crée de la con­cur­rence et per­met de cass­er une sit­u­a­tion de mono­pole. Si la Chine redescend de façon assez forte dans la chaîne de valeur, les marchés seront moins con­trôlés par cet État, c’est l’objet de la lég­is­la­tion européenne sur les matières pre­mières cri­tiques (Crit­i­cal Raw Mate­r­i­al Act) de l’Union européenne, adop­tée en 2024.

Le recyclage n’offre-t-il pas un mode d’approvisionnement alternatif ?

Si, bien sûr, c’est par exem­ple la voie choisie par le Japon suite aux quo­tas d’exportation imposés par la Chine en 2010. Le recy­clage reste néan­moins une activ­ité coû­teuse – énergé­tique­ment et économique­ment – si l’on vise des taux de pureté des ter­res rares sim­i­laires à ceux en sor­tie de mine.

À l’École poly­tech­nique, nous tra­vail­lons sur la mise au point de pro­duits util­isant les matéri­aux recy­clés sans néces­saire­ment impli­quer les niveaux de pureté élevés néces­saires à la fab­ri­ca­tion d’aimants. Nous tra­vail­lons ain­si à l’étude de l’influence des sub­sti­tu­tions ou des impuretés sur les pro­priétés mag­né­tiques des alliages de ter­res rares9. Il est aus­si pos­si­ble de trou­ver des débouchés à plus forte valeur ajoutée aux ter­res rares qui voient leur marché se réduire (céri­um et lan­thane notam­ment), ce qui per­me­t­trait d’augmenter la plus-val­ue des activ­ités de sépa­ra­tion des ter­res rares. L’utilisation de l’intelligence arti­fi­cielle est égale­ment envis­agée comme un accéléra­teur pour ce type d’application. Ces travaux en cours ne sont néan­moins pas encore au stade industriel.

Propos recueillis par Anaïs Marechal
1https://​scr​reen​.eu/​w​p​-​c​o​n​t​e​n​t​/​u​p​l​o​a​d​s​/​2​0​2​3​/​0​8​/​S​C​R​R​E​E​N​2​_​f​a​c​t​s​h​e​e​t​s​_​R​E​E​-​E​U​R​O​S​T​A​T.pdf
2R. Lacal-Arán­tegui. Mate­ri­als use in elec­tric­i­ty gen­er­a­tors in wind tur­bines – state-of-the-art and future spec­i­fi­ca­tion. J. Clean. Prod., 87 (2015), pp. 275–283
3https://​sgp​.fas​.org/​c​r​s​/​n​a​t​s​e​c​/​R​4​1​7​4​4.pdf
4Cordier D. J. (2024) Min­er­al Com­mod­i­ty Sum­maries – Rare earths (pp. 144–145). U.S. Geo­log­i­cal Sur­vey. DOI : 10.3133/mcs2024
5Pois­son R. La Guerre des ter­res rares. L’Actualité chim­ique. 2012 ; 369 : 47–54
6Smith, B. J. et al. (2022) Rare Earth Per­ma­nent Mag­nets – Sup­ply Chain Deep Dive Assess­ment. US Depart­ment of Ener­gy Office of Pol­i­cy DOI : 10.2172/1871577
7https://​www​.solvay​.com/​e​n​/​p​r​e​s​s​-​r​e​l​e​a​s​e​/​s​o​l​v​a​y​-​d​e​v​e​l​o​p​-​m​a​j​o​r​-​h​u​b​-​r​a​r​e​-​e​a​r​t​h​-​m​a​g​n​e​t​s​-​e​urope
8https://​www​.defense​.gov/​N​e​w​s​/​N​e​w​s​-​S​t​o​r​i​e​s​/​A​r​t​i​c​l​e​/​A​r​t​i​c​l​e​/​3​7​0​0​0​5​9​/​d​o​d​-​l​o​o​k​s​-​t​o​-​e​s​t​a​b​l​i​s​h​-​m​i​n​e​-​t​o​-​m​a​g​n​e​t​-​s​u​p​p​l​y​-​c​h​a​i​n​-​f​o​r​-​r​a​r​e​-​e​a​r​t​h​-​m​a​t​e​r​ials/
9J. Boust, et al., Ce and Dy sub­sti­tu­tions in Nd2Fe14B: Site-spe­cif­ic mag­net­ic anisotropy from first prin­ci­ples, Phys. Rev. Mate­ri­als. 6 (2022), 084410, DOI : 10.1103/PhysRevMaterials.6.084410

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