GIEC : quel sera le coût du réchauffement climatique ?
- Au cours de la dernière décennie, les coûts des options d’atténuation du changement climatique ont drastiquement chuté. Par exemple, installer un nouveau panneau solaire coûte environ 10 fois moins qu’il y a dix ans.
- Les modèles qui prennent en compte les dégâts économiques du changement climatique constatent que limiter le réchauffement à hauteur de 2°C sur le 21e siècle promet des avantages économiques mondiaux inférieurs à ceux d’une réduction du réchauffement.
- Les impacts du changement climatique entraînent une augmentation des inégalités et constituent donc une menace pour l’éradication de la pauvreté.
- Les chances d’obtenir des politiques équitables et efficaces sont plus élevées si différents acteurs, tels que les citoyens et les entreprises, s’engagent largement dès le début de la conception des politiques.
Quel coût aura l’atténuation du changement climatique, nécessaire pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris ?
Celine Guivarch. Cela coûtera moins qu’avant. Les politiques et les mesures mises en place ces dernières années ont poussé le déploiement de solutions possibles, ce qui a permis d’en réduire les coûts. Résultat, les faits nous montrent que durant la dernière décennie, les coûts des options d’atténuation du changement climatique ont drastiquement chuté. Par exemple, installer un nouveau panneau solaire coûte environ 10 fois moins qu’il y a dix ans. Maintenant, dans bon nombre de régions du monde, l’énergie solaire est économiquement compétitive avec les énergies fossiles 1. Ensuite viennent les options d’atténuation, qui incluent les transformations des infrastructures, par exemple, pour inciter un changement de la circulation, passant de voitures à des transports publics, des vélos, la marche ou autre. Le rapport met en évidence que les bénéfices économiques des différentes options se cumulent au cours de leur durée de vie, il y a donc un argument économique pour changer 2.
D’autant que la littérature en macroéconomie montre que le coût de l’atténuation est plus faible que le coût de l’inaction, en partie parce que l’inaction signifie supporter les impacts du changement climatique. Le rapport est explicite, « les modèles qui prennent en compte les dégâts économiques du changement climatique constatent que limiter le réchauffement à hauteur de 2 °C sur le 21e siècle a des bénéfices économiques mondiaux supérieurs aux coûts de la réduction des émissions, sauf si : i) les dégâts climatiques se situent dans la partie inférieure des estimations existantes ; ou ii) les dégâts futurs sont actualisés à des taux élevés (confiance moyenne) ».
Les actions d’atténuation apportent également des bénéfices en matière d’amélioration de la santé. Par exemple, en réduisant l’utilisation des énergies fossiles, nous réduisons les émissions de CO2 mais aussi les polluants locaux et les particules causes de pollution de l’air intérieur et extérieur dans les villes. De telles actions vont donc améliorer la qualité de l’air que nous respirons, et cela réduira les impacts sur l’asthme et autres problèmes de santé. La valeur monétaire de ces bénéfices est très élevée, car ils améliorent aussi la santé et le bien-être des personnes.
Cependant, bien que les actions ambitieuses à mettre en place pour la réduction des émissions aient un sens sur le plan économique, la littérature est claire sur ce point : ce ne sera pas si facile. Il y a énormément d’obstacles sur le chemin de l’atténuation : financiers, institutionnels, ou même infrastructurels — comme les systèmes actuels qui se retrouvent bloqués dans l’utilisation d’énergies fossiles. Même quand le « coût-bénéfice » est favorable, un bon nombre de questions se pose toujours. Qui supportera les coûts ? Qui pourra en bénéficier ? Quelle distribution des coûts serait possible ? Comment une transition « juste » est-elle possible à toutes les échelles, autant entre les pays qu’entre communauté au sein même des pays ?
Le bilan montre que si nous continuions à utiliser les infrastructures à combustion fossile déjà existantes, et que nous maintenions les constructions actuelles — en prenant ainsi en compte leurs émissions jusqu’à la fin de leur vie — alors nous aurions épuisé le budget carbone compatible avec notre objectif d’une limitation du réchauffement à 1,5 °C 3.
Nous savons quoi faire, et nous comprenons l’intérêt économique d’actions rapides et ambitieuses, pourtant un manque d’investissement et de financement pour la transition persiste. Pourquoi ?
Le rapport examine les investissements actuels pour la transition à l’échelle mondiale, les compare avec les besoins d’investissement et avec le capital disponible. Il montre que le problème ne provient pas d’un manque de capital, mais plutôt d’une difficulté à orienter les investissements vers des solutions d’atténuation. L’écart entre flux d’investissement et besoins varie d’un facteur de 2 à 6, selon les régions et les secteurs, et que cet écart est plus grand dans les pays en développement et dans le secteur agricole. Afin de réduire cet écart, des politiques sont nécessaires pour donner le signal que nous enclencherons une transition aussi profonde que rapide pour se détacher des énergies fossiles. Ce que la littérature nous indique est qu’il faut un ensemble d’instruments politiques, coordonnés entrer toutes les échelles de gouvernance, de l’échelle territoriale à l’échelle régionale, nationale, européenne et mondiale. Il y a une véritable question de coordination pour que tous les signaux soient alignés.
Cela inclut des éléments fiscaux, mais aussi des instruments de politique de réglementations techniques pour les véhicules, les bâtiments, les biens industriels, ainsi que la planification urbaine pour garantir que des logements abordables soient disponibles pas trop loin des centres d’emploi. L’idée n’étant pas de se concentrer exclusivement sur des politiques centrées sur le climat, mais plutôt de changer les conditions dans lesquelles l’atténuation peut se produire.
Que pouvons-nous dire sur la transition écologique et les inégalités ?
L’un des principaux thèmes du rapport concerne les implications des options d’atténuation sur d’autres dimensions du développement durable : l’éradication de la pauvreté et la réduction des inégalités sont par exemple évaluées systématiquement. Un message très fort du groupe de travail 2 (sur les impacts, la vulnérabilité et l’adaptation) est que les impacts du changement climatique affectent de manière disproportionnée les pays et les populations les plus vulnérables. En conséquence, ils entraîneront une augmentation des inégalités et constituent donc une menace pour l’éradication de la pauvreté. Ainsi, en évitant les impacts, les mesures d’atténuation réduisent les inégalités économiques, ce qui est une conclusion très fiable.
La littérature montre également que l’atténuation peut soit réduire soit accroître les inégalités de revenus et la pauvreté, en fonction des instruments politiques, de leur conception et de leur mise en œuvre. Par exemple, il n’existe pas une seule façon de concevoir une taxe sur le carbone. Selon la manière dont les recettes sont utilisées, l’impact distributif de l’action fiscale peut aller dans les deux sens. Par conséquent, une attention particulière à l’équité et à la justice à tous les niveaux, de la conception à la mise en œuvre, est importante pour l’acceptation sociale des politiques et leur impact distributif. En outre, nous savons que les chances d’obtenir des politiques équitables et efficaces sont plus élevées si différents acteurs, tels que les citoyens, les syndicats et les entreprises, s’engagent largement dès le début de la conception des politiques.
Le capitalisme est-il le problème ? Est-il possible de concevoir une transition nous séparant de l’énergie fossile avec notre système actuel ?
Le rapport aborde en profondeur la question de la demande et de la sobriété. La sobriété signifie politiques, mesures et pratiques quotidiennes qui évitent une demande en énergie, en matériel, en terre et en eau, tout en distribuant le nécessaire au bien-être humain à tous, avec les limites planétaires. Par exemple, si vous évitiez les transports grâce au travail à distance, ou si vous ne chauffiez pas vos bureaux pendant le week-end, ou encore si vous décidiez de chauffer à 19 °C au lieu de 20 °C, alors vous feriez preuve de sobriété.
Dans la littérature, le concept de sobriété est fortement lié au bien-être humain dans les limites de la planète, ainsi qu’à l’éradication de la pauvreté et à la réduction des inégalités. Ce que nous savons, c’est que l’atténuation, y compris l’atténuation du côté de la demande, est compatible avec l’amélioration du bien-être pour tous et l’accès aux besoins fondamentaux.