Deep sea mining for rare earth minerals. Concept Mining Industry, Deep Sea Operations, Rare Earth Minerals, Environment Impact, Future Technology
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Les grands fonds marins refont surface

Exploitation des fonds marins : un nouveau clivage géopolitique ?

Emmanuel Hache, adjoint scientifique et économiste-prospectiviste à IFP Énergies nouvelles et directeur de recherche à l’IRIS, Émilie Normand, ingénieure économiste, chargée de recherche à IFP Énergies nouvelles et Candice Roche, chargée de recherche en géopolitique des métaux et de la transition écologique à l'IFPEN
Le 3 juillet 2024 |
10 min. de lecture
Emmanuel Hache
Emmanuel Hache
adjoint scientifique et économiste-prospectiviste à IFP Énergies nouvelles et directeur de recherche à l’IRIS
Emilie Normand
Émilie Normand
ingénieure économiste, chargée de recherche à IFP Énergies nouvelles
Candice Roche
Candice Roche
chargée de recherche en géopolitique des métaux et de la transition écologique à l'IFPEN
En bref
  • Alors que les métaux sont au cœur des préoccupations des États, les gisements de minerais présents dans la mer attisent la convoitise.
  • Les États côtiers ont des droits sur les ressources situées dans leurs zones économiques exclusives ; au-delà, la mer est une zone commune où le statut de l’exploitation minière reste à définir.
  • Pourtant c’est une zone riche en ressources, particulièrement en amas sulfurés, en encroûtements cobaltifères et en nodules polymétalliques.
  • L'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) négocie un cadre réglementaire pour l'exploitation des ressources sous-marines.
  • Ces négociations font émerger une nouvelle sphère géopolitique qui remet en cause les alliances traditionnelles étatiques et questionne leur place alors que les entreprises exercent une influence croissante.

À l’in­sécu­rité envi­ron­nemen­tale due à la crise cli­ma­tique et l’in­sécu­rité énergé­tique provo­quée par la guerre en Ukraine, s’a­joute une future insécu­rité minérale sus­cep­ti­ble de frein­er les tran­si­tions énergé­tiques et numériques en Europe. Cobalt, cuiv­re, lithi­um, nick­el, ter­res rares, etc. : la con­som­ma­tion de métaux, indis­pens­ables à tous les équipements bas car­bone (solaire, éolien, bat­ter­ies de véhicules élec­triques, hydrogène), devrait sen­si­ble­ment aug­menter d’ici 2040 d’après les pro­jec­tions de l’A­gence inter­na­tionale de l’én­ergie (AIE)1. Désor­mais cri­tiques pour tous les secteurs économiques, les métaux sont au cœur des préoc­cu­pa­tions des États. Celles-ci sont ravivées par la dynamique mon­di­ale de décar­bon­a­tion, la rival­ité sys­témique entre puis­sances et la prise de con­science des lim­ites plané­taires2. Dans ce con­texte, les gise­ments de min­erais présents dans la mer attisent la con­voitise de cer­tains États et d’entreprises. D’après l’article 76 de la Con­ven­tion des Nations unies sur le droit de la mer (1982), les États côtiers dis­posent de droits sou­verains sur les ressources qui se situent à moins de 200 milles nau­tiques de leurs côtes. Au-delà de cette lim­ite, la mer et les fonds marins n’appartiennent à per­son­ne, c’est la « Zone » où les ressources sont abondantes.

Ces gise­ments se présen­tent sous trois formes : les amas sul­furés, les encroûte­ments cobaltifères, et les nod­ules polymé­talliques – de petits galets reposant à même les fonds marins et recher­chés pour leurs hautes teneurs en nick­el, cobalt, cuiv­re et man­ganèse. Une zone attire par­ti­c­ulière­ment par sa con­cen­tra­tion en nod­ules : la zone Clar­i­on-Clip­per­ton (CCZ), située au milieu de l’Océan Paci­fique et représen­tant approx­i­ma­tive­ment 4,5 mil­lions de km² (soit la taille de l’Union européenne) (cf fig­ure 1). Alors que l’Autorité inter­na­tionale des fonds marins (AIFM) se réu­nit à par­tir du 15 juil­let prochain3, s’interroger sur la ques­tion de l’exploitation des fonds marins prend tout son sens.

Fig­ure 1 : Carte des trois prin­ci­paux types de gise­ments sous-marins4.

Actuelle­ment, des cam­pagnes d’exploration sous-marines sont en cours, mais aucune extrac­tion com­mer­ciale n’est à l’ordre du jour. L’exploitation minière en eaux pro­fondes se heurte en effet à plusieurs obsta­cles de taille :

  • Elle est tech­nique­ment dif­fi­cile et coû­teuse (1 à 5 mil­lions de dol­lars pour les seuls véhicules d’extraction) sans compter des coûts d’exploitation et de restau­ra­tion des abysses élevés et incertains.
  • Elle pour­rait engen­dr­er des impacts écologiques impor­tants (dis­pari­tion de la bio­di­ver­sité, per­tur­ba­tions majeures des écosys­tèmes, pol­lu­tions…) qui sont dif­fi­cile­ment mesurables à l’heure actuelle.
  • L’essentiel du poten­tiel minier se trou­ve au-delà des lim­ites des juri­dic­tions nationales, dans ce que la Con­ven­tion des Nations unies sur le droit de la mer5 (CNUDM) appelle « la Zone », et les États peinent à s’accorder sur un cadre régle­men­taire unifié.

La Zone est admin­istrée par l’Autorité inter­na­tionale des fonds marins (AIFM)6, entité onusi­enne définie par la CNUDM, créée par l’Accord de 1994 et ayant pour man­dat exclusif d’organiser et de con­trôler les activ­ités dans la Zone pour le béné­fice de l’humanité. C’est donc à l’AIFM de fix­er un cadre à l’exploration et l’exploitation des ressources minières sous-marines. Ain­si, l’or­gan­i­sa­tion dirige depuis 2014 des négo­ci­a­tions pour éla­bor­er un code minier inter­na­tion­al. Toute­fois, la tâche s’annonce dif­fi­cile : alors que la République de Nau­ru presse l’organe onusien dans son tra­vail depuis 2021 et que le Con­seil et l’Assemblée générale de l’AIFM doivent se réu­nir cet été, ils ont déjà annon­cé que finalis­er une telle régle­men­ta­tion n’était pas envis­age­able avant 20257. L’élaboration de ce code minier cristallise ain­si un renou­veau des rela­tions interé­ta­tiques et fait émerg­er un nou­veau champ géopoli­tique à part entière, doté d’enjeux, d’institutions et de lignes de frac­tures propres.

Les fonds marins à la croisée des géopolitiques traditionnelles

Les enjeux d’exploitation des ressources minières en eaux pro­fondes sont à la croisée de plusieurs champs géopoli­tiques traditionnels :

  • La géopoli­tique de la haute mer d’abord, puisque c’est cette zone qui con­cen­tre les dis­cus­sions. Lib­erté de cir­cu­la­tion, déf­i­ni­tion des zones économiques exclu­sives, partage des ressources halieu­tiques, posi­tion­nement stratégique de défense, de sur­veil­lance et d’intervention : la haute mer est le ter­rain d’affrontement d’intérêts stratégiques8 des États, notam­ment côtiers, qui ten­tent de cir­con­scrire le périmètre de cette « Zone » d’incertitude. Les ressources sous-marines sont ain­si perçues comme un nou­veau front d’affirmation de souveraineté.
  • La géopoli­tique minière, car la plu­part des pays miniers d’envergure ont ain­si un avis tranché sur l’exploitation minière en eaux pro­fondes. Ses par­ti­sans invo­quent la réduc­tion de l’impact envi­ron­nemen­tal de l’extraction ter­restre et la préven­tion des rup­tures d’approvisionnement à venir. La con­cur­rence de ces ressources minières est prise au sérieux par les pays miniers tra­di­tion­nels, que ce soit pour en lim­iter la portée en prô­nant un mora­toire comme le Chili ou pour ten­ter de s’ériger en super­puis­sance minière comme la Chine. De même, ces gise­ments poten­tiels fig­urent déjà dans les poli­tiques de sécuri­sa­tion d’approvisionnement de pays comme le Japon.
  • La géopoli­tique cli­ma­tique au tra­vers de la mon­tée en puis­sance récente de l’océan qui s’impose comme un sujet à part entière traité au sein d’arènes dédiées9 et faisant l’objet de textes ambitieux comme le Traité sur la haute mer10 récem­ment adop­té. À tra­vers ce prisme, les ressources sous-marines sont sujettes à la même ten­sion que les négo­ci­a­tions cli­ma­tiques en général : préserv­er un écosys­tème clé tout en per­me­t­tant un développe­ment de tous les pays.
  • La géopoli­tique des com­muns, enfin. Erigés en « pat­ri­moine com­mun de l’humanité », les grands fonds marins se heur­tent aux mêmes prob­lé­ma­tiques de partage équitable et raison­né que toutes les res nul­lius. Un par­al­lèle peut être fait avec l’Antarctique sanc­tu­ar­isé en 1959 con­tre toute exploita­tion par l’Antarctic Treaty Sys­tem. Les par­ti­sans d’une inter­dic­tion de l’exploitation minière en eaux pro­fondes défend­ent une posi­tion com­pa­ra­ble, tan­dis que d’autres États revendiquent leur droit à l’appropriation.

Les négo­ci­a­tions sur un pos­si­ble code minier de la haute mer font ain­si inter­venir ces dif­férents prismes d’analyse et émerg­er une nou­velle sphère géopoli­tique avec ses acteurs, ses dynamiques de négo­ci­a­tion et son cal­en­dri­er pro­pre. L’AIFM11 est l’acteur cen­tral de cette sphère, chargé à la fois d’encadrer l’industrie minière et de pro­téger les fonds marins. C’est dans son orbite que se con­stituent les straté­gies d’influence sur l’exploitation minière en eaux pro­fondes. L’AIFM com­prend 167 États mem­bres et l’Union européenne (UE) qui n’ont pas tous le même poids dans l’organisation. Tous ne con­tribuent pas au bud­get de l’organisation, 34 États ont une mis­sion per­ma­nente auprès de l’AIFM, 21 pos­sè­dent des con­trats d’exploration dans la Zone, 36 siè­gent en tant qu’États au Con­seil de l’AIFM et 41 ont un expert au sein de la Com­mis­sion légale et technique.

Des acteurs en tension entre exploitation et protection des fonds marins

L’AIFM est érigée comme entité omnipo­tente, investie à la fois de mis­sions de pro­tec­tion de l’environnement marin, mais égale­ment de régu­la­tion des activ­ités dans la Zone et de partage équitable des revenus financiers et économiques entre les États12. Ces mis­sions con­tra­dic­toires ren­dent le posi­tion­nement de l’AIFM déli­cat et la pla­cent par­fois en porte-à-faux avec d’autres struc­tures onusi­ennes comme l’UNEP13 qui alerte sur les incer­ti­tudes et les risques envi­ron­nemen­taux, soci­aux et économiques poten­tiels de l’exploitation des grands fonds marins14 là où l’AIFM doit rédi­ger un code minier encad­rant sa pratique.

L’AIFM est dénon­cée pour son manque d’impartialité entre ces mis­sions. Ain­si, son mode de finance­ment ne per­met pas à l’organisation d’envisager la fin de l’octroi de licences si elle veut assur­er sa péren­nité. Touchant 500 000 dol­lars pour chaque licence d’exploration délivrée ain­si qu’une rede­vance annuelle de 47 000 dol­lars par con­trac­tant, l’AIFM dépend large­ment des revenus issus des licences qu’elle délivre15 pour son pro­pre finance­ment. Son mode de fonc­tion­nement est égale­ment plus favor­able à sa mis­sion de régu­la­trice que de pro­tec­trice. L’organisation est cri­tiquée pour son manque de trans­parence et sa prise en compte insuff­isante des avis sci­en­tifiques, mais surtout, la « règle des deux ans »16 activée par Nau­ru en 2021 et le veto de la Chine17 sur la mise à l’ordre du jour d’une dis­cus­sion sur l’interdiction d’octroyer des licences d’exploitation tant qu’une régle­men­ta­tion n’a pas été adop­tée font crain­dre un muselle­ment facil­ité de l’opposition à l’extraction minière des grands fonds marins au sein de l’AIFM.

Les fonds marins appa­rais­sent comme une nou­velle sphère géopoli­tique, avec ses logiques et ses lignes de frac­ture propres

En dix ans de négo­ci­a­tions sur le code minier, la ligne de frac­ture a bougé : des modal­ités de régu­la­tion de l’exploitation minière en eaux pro­fondes, le débat porte désor­mais sur l’opportunité même de min­er ces ressources. Deux camps sont dis­cern­ables : d’une part, les pays mobil­isés en faveur d’une accéléra­tion du proces­sus d’autorisation (fast track) de l’exploitation comme la Chine ou Nau­ru et, d’autre part, les pays se prononçant en faveur d’un mora­toire de 10 à 15 ans comme le Cana­da ou le Pérou, d’une « pause de pré­cau­tion » comme le Brésil ou l’Irlande ou d’une inter­dic­tion comme la France.

Le mou­ve­ment de sou­tien d’un mora­toire sur l’exploitation minière en eaux pro­fondes est rel­a­tive­ment récent et grandit rapi­de­ment : il a vu le jour avec la créa­tion de l’Alliance of Coun­tries Call­ing for a Deep-Sea Min­ing Mora­to­ri­um à l’initiative des Fid­ji, des Palaos et des Samoa en 2022. Il compte à ce jour 27 États et con­naît un dynamisme crois­sant. Plusieurs pays sont ain­si très mobil­isés sur le sujet et veu­lent s’imposer comme un fer de lance de la préser­va­tion des grands fonds marins.  La France a par exem­ple récem­ment signé un accord avec la Grèce18 ral­liant celle-ci au mou­ve­ment et elle souhaite faire de son statut de co-organ­isatrice (avec le Cos­ta Rica) de la Con­férence des Nations Unies sur l’Océan de juin 2025 à Nice, l’aboutissement de « l’année de la mer ». La rel­a­tive struc­tura­tion et la médi­ati­sa­tion du mou­ve­ment de sou­tien au mora­toire ne doit toute­fois pas faire oubli­er qu’une majorité de pays n’a pas défi­ni de posi­tion claire sur le sujet et que les dis­cus­sions sur celui-ci évolu­ent rapidement.

Le forage de la Zone : une nouvelle ligne de fracture géopolitique

L’exploitation minière en eaux pro­fondes incar­ne une nou­velle ligne de frac­ture au sein d’alliances tra­di­tion­nelles, que l’on regarde les alliances économiques (G7, BRICS+, UE), géo­graphiques (CELAC, Union africaine, AOSIS) ou stratégiques (OPEP, MSP, etc.). Cela com­plex­i­fie les rela­tions inter­na­tionales en oblig­eant les États à for­mer de nou­velles coali­tions plus ponctuelles pour défendre leurs positions.

Les États mobilisent qua­tre types de nar­rat­ifs, qui se con­fron­tent dans la sphère médi­a­tique pour jus­ti­fi­er ou rejeter l’exploitation minière des fonds marins19. Les deux pre­miers dis­cours soulig­nent les gains poten­tiels à l’exploitation : a) l’accès à des métaux néces­saires à la tran­si­tion écologique en réduisant les pres­sions envi­ron­nemen­tales ter­restres et b) des prof­its créés dans la Zone qui seront répar­tis entre les pays en développe­ment, devenant un out­il de jus­tice redis­trib­u­tive. Les deux nar­rat­ifs suiv­ants insis­tent au con­traire c) sur la mécon­nais­sance que nous avons de ces fonds marins et des ser­vices écosys­témiques qu’ils ren­dent à la planète et d) plaident pour une poli­tique de pro­tec­tion stricte, en priv­ilé­giant le recy­clage des métaux plutôt qu’un nou­veau front extrac­t­if. Alors que ces argu­men­taires s’affrontent, on observe en par­ti­c­uli­er trois lignes de frac­tures au sein de blocs alliés qui illus­trent ces nou­velles ten­sions : par­mi les petits États insu­laires, chez les pays occi­den­taux et au sein de ce qui est con­sid­éré comme le Sud Global.

Le pre­mier groupe, « Alliance des petits États insu­laires » (AOSIS), com­posé de 44 États men­acés par le change­ment cli­ma­tique, avait réus­si à faire adopter 1,5 °C comme objec­tif de réchauf­fe­ment avec le slo­gan « 1.5 to sur­vive » grâce à leur coali­tion lors des négo­ci­a­tions inter­na­tionales. Cepen­dant, ils sont aujourd’hui divisés sur l’ex­ploita­tion minière des abysses, entre le poten­tiel économique des ressources et les risques pour la bio­di­ver­sité marine. Cer­tains, comme Nau­ru et Ton­ga, veu­lent exploiter les ressources marines pour financer leur développe­ment. En menaçant de déclencher la règle des deux ans, Nau­ru cherche même à press­er l’adoption d’un code minier marin par l’AIFM. D’autres, comme le Van­u­atu, les Palaos et Fid­ji, sou­ti­en­nent un mora­toire, voire une inter­dic­tion totale de l’exploitation. Le Van­u­atu et d’autres îles du groupe « Fer de lance mélanésien »20 ont adop­té un mémoran­dum21 en août 2023 pour refuser les activ­ités minières dans leurs eaux et appel­lent à pro­téger les fonds marins, sig­nal du décalage avec leurs anciens partenaires.

Du côté des pays occi­den­taux, la divi­sion est mar­quée entre les par­ti­sans de l’ex­ploita­tion des fonds marins (États-Unis, Norvège, Japon, Corée du Sud…) et ceux prô­nant une pause, voire une inter­dic­tion totale (Alle­magne, Cana­da, Fin­lande, France…). Les pre­miers soulig­nent l’im­por­tance stratégique d’ac­céder à des métaux pour la tran­si­tion énergé­tique et la sécu­rité nationale, tan­dis que les sec­onds font val­oir l’in­cer­ti­tude sci­en­tifique sur les impacts envi­ron­nemen­taux. Les États-Unis, qui ne sont ni sig­nataires de la CNUDM ni mem­bres de l’AIFM, peu­vent dif­fi­cile­ment influ­encer l’élab­o­ra­tion des règles minières marines ; c’est pourquoi une réso­lu­tion bipar­ti­sane de novem­bre 2023 sou­tient une rat­i­fi­ca­tion du traité22 au nom de la sécuri­sa­tion des appro­vi­sion­nements en métaux cri­tiques, notam­ment vis-à-vis de la Chine. En revanche, le Cana­da et la France défend­ent respec­tive­ment un mora­toire et une inter­dic­tion totale de l’ex­ploita­tion des fonds marins. Cette sit­u­a­tion illus­tre la divi­sion des alliés occi­den­taux : mal­gré des préoc­cu­pa­tions com­munes sur l’accès aux métaux, ils se déchirent sur la val­ori­sa­tion des ressources sous-marines.

Enfin, le « Sud glob­al », groupe hétérogène non-aligné sur les pays occi­den­taux, présente des diver­gences pro­fondes sur l’ex­ploita­tion des fonds marins. La Chine et la Russie sont des fer­vents sou­tiens de l’exploitation : ayant déjà des con­trats d’exploration sur tous les types de gise­ments, elles jouiraient d’une avance tech­nologique en cas d’ap­pro­ba­tion par l’AIFM. En revanche, le Brésil s’est opposé en 2023 aux pro­jets d’ex­ploita­tion minière23, arguant du manque de con­nais­sances suff­isantes et appelant à une pause de dix ans dans l’ex­plo­ration. Le Chili, par­ti­san du mora­toire au côté du Cos­ta Rica, craint quant à lui une con­cur­rence pour ses réserves de cuiv­re qui représen­tent aujourd’hui 20 % des réserves mon­di­ales ter­restres. Les pays africains quant à eux n’ont pas de posi­tion claire : mal­gré des cri­tiques, ils se sont exprimés con­join­te­ment pour deman­der un sys­tème de com­pen­sa­tion finan­cière24 en cas d’exploitation pour pal­li­er les pertes de leur pro­pre secteur minier. Pas d’opposition formelle donc, mais une exi­gence de dédom­mage­ment pour leur pro­pre secteur minier. Ain­si, les moti­va­tions de part et d’autre de la ligne de cli­vage sont divers­es : accès à de nou­velles ressources, supéri­or­ité tech­nologique, source de ren­seigne­ments pour les par­ti­sans con­tre risque pour la bio­di­ver­sité marine, pri­or­ité à la pro­tec­tion et peur d’une com­péti­tion économique pour les détracteurs. L’enjeu d’ouverture d’un nou­veau front extrac­t­if crée des frac­tures sail­lantes au sein d’alliances tra­di­tion­nelles et boule­verse les coali­tions habituelles.

Pour con­clure, les fonds marins appa­rais­sent comme une nou­velle sphère géopoli­tique, avec ses logiques et ses lignes de frac­ture pro­pres. Car­ac­téris­tique de la géopoli­tique mod­erne, celle-ci n’échappe pas à une remise en cause de la place des États. Les entre­pris­es ont ain­si un rôle clé tant pour pouss­er à l’exploitation des fonds marins qui leur béné­ficiera directe­ment, comme The Met­als Com­pa­ny25, que pour lim­iter l’intérêt économique pour ces nou­velles ressources en s’opposant à leur util­i­sa­tion, comme l’ont fait 49 entre­pris­es inter­na­tionales sig­nataires d’une déc­la­ra­tion en faveur d’un mora­toire. En out­re, le rôle proac­t­if d’ONG sous l’égide de la Deep Sea Con­ser­va­tion Coali­tion, la mobil­i­sa­tion des com­mu­nautés sci­en­tifiques et celle de la société civile ont été à l’origine du retourne­ment rapi­de de la posi­tion de cer­tains États en faveur d’un mora­toire sur l’exploitation minière des fonds marins, à com­mencer par la France. Reste à savoir si les négo­ci­a­tions à venir dans le cadre de l’AIFM cet été sauront refléter ce pan­el de positions.

1https://​www​.iea​.org/​r​e​p​o​r​t​s​/​g​l​o​b​a​l​-​c​r​i​t​i​c​a​l​-​m​i​n​e​r​a​l​s​-​o​u​t​l​o​o​k​-​2​0​2​4​/​o​u​t​l​o​o​k​-​f​o​r​-​k​e​y​-​m​i​n​erals
2https://​www​.nature​.com/​a​r​t​i​c​l​e​s​/​4​6​1472a
3https://​www​.isa​.org​.jm/​s​e​s​s​i​o​n​s​/​2​9​t​h​-​s​e​s​s​i​o​n​-​2024/
4Kathryn Miller et al., ‘An Overview of Seabed Min­ing Includ­ing the Cur­rent State of Devel­op­ment, Envi­ron­men­tal Impacts, and Knowl­edge Gaps’, Fron­tiers in Marine Sci­ence, 4 (2018), p. 418, doi:10.3389/fmars.2017.00418.
5https://​www​.itlos​.org/​f​r​/​m​a​i​n​/​l​e​-​t​r​i​b​u​n​a​l​/​t​r​a​n​s​l​a​t​e​-​t​o​-​f​r​e​n​c​h​-​t​h​e​-​t​r​i​b​u​n​a​l​/​c​nudm/
6https://​www​.isa​.org​.jm/​w​p​-​c​o​n​t​e​n​t​/​u​p​l​o​a​d​s​/​2​0​2​3​/​0​7​/​A​I​F​M​_​r​a​p​p​o​r​t​_​a​n​n​u​e​l​_​d​u​_​S​G​_​2​0​2​3​_​C​h​a​p​t​e​r​1.pdf
7https://​www​.isa​.org​.jm/​n​e​w​s​/​i​s​a​-​c​o​u​n​c​i​l​-​c​l​o​s​e​s​-​p​a​r​t​-​i​i​-​o​f​-​i​t​s​-​2​8​t​h​-​s​e​s​sion/
8https://​geo​con​flu​ences​.ens​-lyon​.fr/​g​l​o​s​s​a​i​r​e​/​m​o​n​t​e​g​o-bay
9Con­férences des Nations Unies sur l’Océan depuis 2017, les « Our Ocean Con­fer­ence » (OOC) depuis 2014, One Ocean Sum­mit en 2022.
10Con­férence inter­gou­verne­men­tale sur la bio­di­ver­sité marine des zones situées au-delà de la juri­dic­tion nationale (Bio­di­ver­si­ty Beyond Nation­al Juri­dic­tion, BBNJ).
11https://​www​.isa​.org​.jm/​w​p​-​c​o​n​t​e​n​t​/​u​p​l​o​a​d​s​/​2​0​2​3​/​0​7​/​A​I​F​M​_​r​a​p​p​o​r​t​_​a​n​n​u​e​l​_​d​u​_​S​G​_​2​0​2​3​_​C​h​a​p​t​e​r​1.pdf
12Mis­sions définies par les neuf “direc­tions stratégiques” du Plan Stratégique 2019–2023 de l’AIFM. Le Plan Stratégique 2024–2028, en cours de négo­ci­a­tion, garde ces mêmes neuf direc­tions.
13Pro­gramme des Nations unies pour l’en­vi­ron­nement, https://​www​.unep​.org/​w​h​o​-​w​e​-​a​r​e​/​a​b​o​ut-us.
14“Deep-Sea Min­ing. The envi­ron­men­tal impli­ca­tions of deep-sea min­ing need to be com­pre­hen­sive­ly assessed”, UNEP, 2024.
15https://​www​.pass​blue​.com/​2​0​2​1​/​1​1​/​0​8​/​t​h​e​-​o​b​s​c​u​r​e​-​o​r​g​a​n​i​z​a​t​i​o​n​-​p​o​w​e​r​i​n​g​-​a​-​r​a​c​e​-​t​o​-​m​i​n​e​-​t​h​e​-​b​o​t​t​o​m​-​o​f​-​t​h​e​-​seas/
16La « règle des deux ans » activée par Nau­ru en 2021 faisant référence au para­graphe 15 de la sec­tion 1 de l’Annexe de l’Accord relatif à la par­tie XI de la CNUDM, stip­ule que si un pays noti­fie à l’AIFM qu’il souhaite com­mencer l’exploitation minière en eaux pro­fondes, celle-ci dis­pose d’un délai de deux ans pour adopter une régle­men­ta­tion com­plète. Or son acti­va­tion par Nau­ru en 2021 et le dépasse­ment du délai de deux ans font crain­dre une util­i­sa­tion de cette faille juridique pour débuter des activ­ités minières sans cadre régle­men­taire.
17https://www.bloomberg.com/news/articles/2023–07-31/in-the-race-to-mine-the-seabed-china-takes-a-hard-line?leadSource=uverify%20wall
18https://​mer​.gouv​.fr/en
19Axel Hall­gren, Anders Hans­son, « Con­flict­ing Nar­ra­tives of Deep Sea Min­ing », Sus­tain­abil­i­ty, 2021, 13(9).
20Alliance de cinq organ­i­sa­tions et pays mélanésiens visant à pro­mou­voir la lib­erté des ter­ri­toires mélanésiens et à ren­forcer leur liens cul­turels, poli­tiques, soci­aux et économiques, https://​msgsec​.info/.
21https://​msgsec​.info/​w​p​-​c​o​n​t​e​n​t​/​u​p​l​o​a​d​s​/​d​o​c​u​m​e​n​t​s​o​f​c​o​o​p​e​r​a​t​i​o​n​/​2​0​2​3​-​A​u​g​-​2​4​-​U​D​A​U​N​E​-​D​E​C​L​A​R​A​T​I​O​N​-​o​n​-​C​l​i​m​a​t​e​-​C​h​a​n​g​e​-​b​y​-​M​e​m​b​e​r​s​-​o​f​-​M​S​G.pdf
22https://​for​eign​pol​i​cy​.com/​2​0​2​4​/​0​3​/​2​9​/​u​s​-​d​e​e​p​-​s​e​a​-​m​i​n​i​n​g​-​c​r​i​t​i​c​a​l​-​m​i​n​e​r​a​l​s​-​c​h​i​n​a​-​u​n​clos/
23https://​www​.isa​.org​.jm/​w​p​-​c​o​n​t​e​n​t​/​u​p​l​o​a​d​s​/​2​0​2​3​/​0​7​/​B​r​a​z​i​l.pdf
24https://www.reuters.com/business/sustainable-business/african-nations-criticise-push-fast-track-deep-sea-mining-talks-2021–07-27/
25The Met­als Com­pa­ny, ex Deep­Green Met­als, est une entre­prise cana­di­enne d’exploration minière sous-marine cotée en bourse. Elle détient actuelle­ment une licence d’exploration pour les nod­ules polymé­talliques et est spon­sorisée par trois États insu­laires : Nau­ru, les Îles Kiri­bati et les Ton­ga.

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