Adaptation climatique : pourquoi a‑t-on besoin d’investissements privés
- Les effets du changement climatique s’amplifient, il est essentiel d'intensifier les mesures d'adaptation pour limiter les dégâts et d'exploiter les opportunités potentielles.
- La COP28 a marqué un changement significatif dans l'orientation du financement du climat, en particulier dans le domaine des mesures d'Adaptation.
- Les financements de l’Adaptation par les pays développés doivent nécessairement doubler d’ici 2025.
- Diverses solutions ont été proposées, telles qu’un financement mixte, des garanties et des co-financements pour mobiliser davantage de capitaux privés.
Lors de la COP28, un agenda critique et de plus en plus pressant a été mis sous les projecteurs : le financement du climat et les besoins financiers croissants pour les mesures d’Adaptation. La lettre de la présidence de la COP28 aux parties l’indique clairement. L’accent y est mis à la fois sur le respect des anciennes promesses et sur la mise en place d’un cadre pour un accord sur le financement. « Nous demandons instamment aux pays développés de veiller à ce que l’objectif de doubler le financement de l’Adaptation d’ici 2025 soit en bonne voie, comme convenu lors de la COP26 (…) De plus, nous avons reçu un fort soutien à l’idée que le cadre de l’AGC doive conduire à une action collective plus profonde sur le financement de l’Adaptation »1.
La conférence s’est ouverte sur l’adoption du fond « loss and damage » (perte et dommage), suivie d’un financement initial annoncé par plusieurs pays, dont l’Allemagne, la France et les Émirats arabes unis. Cela témoigne de l’importance croissante accordée à la mobilisation de capitaux en faveur des pays les plus touchés et d’un consensus grandissant sur les défis auxquels sont confrontées les économies émergentes2. En effet, bien que les effets du changement climatique soient visibles dans le monde entier, les pays émergents sont en première ligne de la crise. Ils sont les plus sévèrement touchés par l’accélération des catastrophes naturelles, des inondations et des sécheresses.
Si l’on constate une augmentation notable du financement global de la lutte contre le dérèglement climatique, l’accent mis par ces fonds sur les stratégies d’adaptation reste limité3. Entre 2016 et 2021, seuls 25 % des financements climatiques mobilisés pour les pays en développement ont ciblé l’adaptation, et en 2021, le financement de l’adaptation a même baissé de 4 milliards de dollars4. Alors que les effets du changement climatique s’accélèrent et s’aggravent, il est essentiel d’intensifier les mesures d’adaptation afin de limiter les dégâts et d’exploiter les opportunités potentielles. Finalement, alors que le déficit de financement de l’Adaptation s’accroît, il est peu probable que l’augmentation des fonds publics internationaux suffise à le combler.
Investissements privés dans l’Adaptation
L’Adaptation décrit le processus d’ajustement aux effets actuels et futurs du changement climatique, afin de modérer les dommages, de les minimiser ou de tirer parti des opportunités qui peuvent se présenter5. Les mesures d’Adaptation sont variées, allant de la diversification des cultures par les agriculteurs au développement d’infrastructures résistantes au climat. Comme l’a reconnu le maire d’Istanbul, Ekrem İmamoğlu, lors de la conférence de la BERD (Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement) intitulée « Green Cities : Scaling-up Finance for Sustainable Urbanisation » qui s’est tenue le 6 décembre lors de la COP28 : « Il est essentiel de donner la priorité aux projets d’Adaptation et il y a un besoin urgent de soutien financier ». Traditionnellement considérée comme une protection des sociétés contre les effets néfastes du changement climatique, l’action d’Adaptation était considérée comme une responsabilité gouvernementale reposant sur des investissements publics. Plus l’Adaptation est laissée de côté, plus les pertes et les dommages sont importants : c’est le cercle vicieux de vulnérabilité climatique et économique. Et même si l’Adaptation a généralement été considérée comme moins importante que l’Atténuation, cette fois-ci, « L’Adaptation a eu son heure de gloire à la COP28 », comme l’a déclaré Tara L. Gueling du Lightsmith Group.
La mobilisation du financement privé pour les investissements publics a été précédemment considérée dans le contexte de la dette publique sur les marchés des capitaux. Cependant, l’année dernière, avec les défis de la pandémie de COVID-19 et la guerre en Ukraine, la capacité d’emprunt des pays en développement s’est détériorée, tout comme leur capacité d’investissement public national dans l’Adaptation. Ainsi, au fil des ans, le financement de l’Adaptation a été principalement stimulé par une augmentation du financement public multilatéral pour le climat, les prêts étant considérés comme l’instrument le plus fréquemment utilisé.
Cependant, lors de la COP28, la nécessité d’impliquer d’autres acteurs a été explicitement mentionnée, car le déficit de financement de l’Adaptation s’accroît de manière significative. Le dernier rapport sur le déficit d’Adaptation estimait qu’au cours de cette décennie, les coûts atteindraient 215 à 387 milliards de dollars par an pour les pays en développement6. Par conséquent, plusieurs intervenants et conférences ont plaidé en faveur d’une plus grande implication du secteur privé pour intensifier les efforts de lutte et d’Adaptation à la crise climatique.
Les investissements dans l’atténuation du changement climatique, tels que les infrastructures d’énergie renouvelable, ont bénéficié d’un soutien beaucoup plus important que les investissements dans l’Adaptation de la part du secteur privé au cours des années précédentes.
Les investissements d’atténuation du changement climatique, tels que les infrastructures d’énergie renouvelable, ont reçu beaucoup plus de soutien que les investissements d’Adaptation de la part du secteur privé ces précédentes années. Comme l’a indiqué Suzanne Gaboury de la Banque Asiatique de Développement, lors de l’événement organisé par l’OCDE le 3 décembre dans le cadre de la COP28, « Seuls 2 % des financements pour l’Adaptation provenaient du secteur privé et les obstacles ont été très complexes pour eux. En ce qui concerne le modèle de revenus, l’Adaptation est considérée comme un coût supplémentaire, alors que l’Atténuation est perçue comme une opportunité. L’Adaptation est très subjective par rapport à l’Atténuation, ce qui peut retarder l’investissement potentiel. Il existe des opportunités, mais les outils appropriés font défaut et il n’y a pas de normalisation. Il serait très important d’accroître les approches de cadres normalisés. »
Par ailleurs, comme l’ajoute Amar Bhattacharya de la Brookings Institution, le principal défi de l’Adaptation est qu’elle « se concentre sur des projets à petite échelle et très spécifiques au contexte. Et cela ne fonctionne pas très bien pour les investisseurs. Il est nécessaire de mieux faire correspondre les caractéristiques des projets d’Adaptation aux attentes des investisseurs. Elle est également difficile à mettre en œuvre parce qu’elle n’est pas très génératrice de revenus. La plupart des projets d’Adaptation entraînent des économies plutôt que des revenus. Il est donc nécessaire de rendre les projets d’Adaptation crédibles du point de vue des investisseurs en s’appuyant sur des structures d’agrégation et des structures de renforcement du crédit. »
Augmenter les investissements dans l’Adaptation
Quelques domaines d’action visant à augmenter les sources de financement actuelles et à débloquer des fonds supplémentaires pour l’Adaptation ont été discutés lors de la COP28, notamment en ce qui concerne le secteur privé. Les principaux domaines d’action mis en avant sont le soutien aux pays en développement pour renforcer leurs capacités institutionnelles, leurs politiques et leurs marchés. Le rôle stratégique que le financement du développement, et plus particulièrement les instruments de financement mixtes, doivent jouer pour mobiliser des fonds privés en faveur de l’Adaptation a également été évoqué.
Divers facteurs sont nécessaires pour réduire les risques d’investissement perçus par les investisseurs, tels que la stabilité économique ou l’État de droit. Pour l’Adaptation ‚il est essentiel d’accroître la disponibilité des données relatives au climat afin d’allouer efficacement les investissements ayant un impact sur l’Adaptation. C’est ce qu’a souligné Debbie Palmer, directrice du financement climatique au sein du gouvernement britannique : « L’un des principaux obstacles aux investissements dans les économies émergentes est le manque de données, ce qui affecte la capacité des investisseurs à évaluer avec précision les risques et à estimer le rendement. Les marchés publics ont une occasion unique de contribuer à renforcer la confiance et de corriger les idées fausses sur les risques du marché. »
L’amélioration des données peut donc contribuer à réduire les préjugés et à accroître la transparence, et donc à catalyser les investissements privés dans les efforts d’adaptation. Les asymétries d’information et les lacunes en matière de connaissances freinent grandement les investisseurs privés. C’est un obstacle qu’il est essentiel de résoudre7
Aussi, les acteurs du développement international peuvent jouer un rôle essentiel en débloquant des fonds privés pour l’Adaptation. C’est particulièrement le cas pour les projets qui devraient générer des revenus stables, mais qui ne sont pas encore commercialement viables – et pour lesquels les financiers du développement peuvent aider à surmonter les obstacles initiaux. Le financement mixte a joué un rôle central lors de la COP28 et est apparu comme un moyen innovant d’améliorer les rendements et de réduire les risques encourus par les investisseurs privés. Le financement mixte est défini par l’OCDE comme « l’utilisation stratégique du financement du développement pour la mobilisation de fonds supplémentaires en faveur du développement durable dans les pays en développement. »
Le recours au financement du développement peut attirer stratégiquement les investisseurs privés en mettant en évidence la viabilité des investissements d’Adaptation et en développant leur confiance vis-à-vis d’un nouveau modèle d’entreprise ou d’un nouveau type d’investisseur8. Le Fonds d’Action pour le climat dans les marchés émergents (EMCAF) illustre cette initiative grâce au partenariat entre Allianz Global Investors et la Banque Européenne d’Investissement. Ces initiatives permettent un financement par actions à un stade précoce pour des projets durables dans les marchés émergents, en mettant fortement l’accent sur l’Adaptation9. Comme l’a souligné Milena Messori, chef de division à la Banque Européenne d’Investissement, « L’Adaptation au climat est financièrement viable, et nous devons atténuer les risques pour attirer le secteur privé. En l’occurrence, nous utilisons des fonds publics pour amortir les premières pertes potentielles. Il est important de noter qu’il ne s’agit pas seulement du risque lui-même, mais de la perception du risque, qui est beaucoup plus importante. Nous pouvons réduire les risques d’investissement en donnant l’assurance que les initiatives sont solides et qu’elles auront un impact ainsi que des retombées positives. »
Les fournisseurs internationaux ont un rôle clé à jouer dans la mobilisation des fonds privés. Comme le souligne Jennifer Morgan, de l’Office Fédéral Allemand, « Les banques multilatérales de développement doivent accroître l’utilisation des garanties et introduire différents outils avec des visions à court et à long terme. » De même, Jamal Saghir, Professeur à l’université McGill, ajoute que « Si nous n’améliorons pas le capital des concessions, le secteur privé ne se manifestera pas ». De plus, il existe des instruments novateurs, tels que la conversion de la dette en faveur de la nature, pour encourager les pays à se concentrer sur les mesures d’Adaptation.
Lors de la COP28, GAIA, un financement mixte axé sur le changement climatique et dirigé par MUFG et FinDev Canada, l’institution financière de développement bilatéral du Canada, a été reconnu comme une plateforme innovante de premier plan pour mobiliser la participation du secteur privé à grande échelle. Lori Kerr de FinDev explique que « GAIA est une plateforme de 1,5 milliard de dollars axée sur 25 marchés émergents d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine. Il est important de noter que 70 % du total des investissements de son portefeuille seront consacrés à des projets d’adaptation dans les pays les plus vulnérables au climat dans le monde. Nous fournissons des prêts à long terme provenant de sources qui n’étaient pas disponibles auparavant. Je suis enthousiasmé par le rôle que peuvent jouer les capitaux privés – l’argent est là, et je suis impatient de savoir comment débloquer ces capitaux. »
Cette initiative illustre la nécessité de disposer de davantage de patient capital10 pour répondre de manière adéquate aux investissements à long terme concernant les projets d’Adaptation. Certains intervenants ont toutefois précisé comment ils percevaient l’accent mis sur « l’innovation ». Pour Martin Ewald, directeur général du Fonds EMCAF : « Ce discours sur l’innovation, je ne suis pas sûr qu’il soit le bon, car nous devons nous appuyer sur la confiance pour mobiliser des capitaux privés. Pour moi, l’innovation réside dans l’application, dans la manière dont nous définissons et mettons l’accent sur l’Adaptation. »
Soutien aux projets d’Adaptation en cours
Au fil des conférences et des conversations, Mimi Alemayehou, leader dans le domaine du financement du développement, souligne la mention récurrente du « manque de projets rentable ». Il est, en effet, nécessaire d’aider les économies émergentes à identifier et à développer des projets d’Adaptation susceptibles d’attirer et de satisfaire les exigences des investisseurs internationaux du secteur privé. Des organisations innovantes, telles qu’Allied Climate Partners, sont apparues lors de diverses conférences sur la mobilisation de capitaux privés dans les pays émergents et les véhicules innovants, afin de présenter leurs initiatives. « Dans les économies émergentes, ce sont les 5 premiers dollars qui débloquent les 95 autres. Cependant, ce capital de départ est le plus difficile à réunir, et c’est l’investissement que nous visons à entreprendre pour déverrouiller et réduire les risques. Nous créons des pipelines que d’autres investisseurs peuvent suivre », déclare Ahmed Saeed, directeur général d’ACP. De même, Astrid Manroth, directrice du Fonds Mondial pour les Infrastructures, souligne comment le GIF, une plateforme de collaboration mondiale du G20, soutient les gouvernements nationaux et les municipalités en leur fournissant les ressources et l’expertise nécessaires pour mettre en place des projets d’infrastructure susceptibles d’être financés. « Nous soutenons les projets pour les aider à passer à l’échelle supérieure. »
Dans les économies émergentes, ce sont les 5 premiers dollars qui débloquent les 95 autres. Cependant, ce capital de départ est le plus difficile à réunir
Ces initiatives se multiplient et sont essentielles pour attirer au mieux les financements privés. Il est toutefois important de se rappeler « qu’aucun projet n’est à l’évidence rentable. C’est un processus qui implique d’identifier les besoins pour le transformer de manière adéquate et le structurer de manière qu’il devienne finançable. Ce n’est pas seulement une question d’argent, mais aussi une question d’expertise, de capital humain », déclare Imad N. Fakhoury, directeur du groupe de financement des infrastructures à la Banque Mondiale. En fin de compte, il est important de renforcer les capacités des pays eux-mêmes et de transférer l’expertise nécessaire pour développer la préparation des projets.
Passage à l’Adaptation en cours de route
En conclusion, la COP28 a marqué un changement significatif dans l’orientation du financement du climat, en particulier dans le domaine des mesures d’Adaptation. La conférence a appelé à une participation accrue du secteur privé et à une collaboration renforcée pour accélérer la mobilisation du financement privé de l’Adaptation. Les pays en développement sont restés au centre de l’attention, car les effets du climat s’y feront sentir plus fortement, et des ressources considérables sont nécessaires pour mettre en œuvre des stratégies d’Adaptation.
Traditionnellement éclipsé par les efforts d’atténuation, ce pivot vers les capitaux privés pour l’Adaptation climatique a mis en évidence le soutien nécessaire des fournisseurs internationaux et des institutions de développement pour réduire les risques liés aux opportunités d’investissement et enfin, catalyser efficacement les capitaux privés. Des approches innovantes telles que le financement mixte, les garanties et le cofinancement ont été présentées comme des solutions importantes pour la mobilisation de capitaux privés, ainsi que le développement de projets « rentables » afin d’attirer les investissements privés. Ces stratégies, associées à une meilleure disponibilité des données, à des environnements macroéconomiques améliorés et à des politiques adaptées, sont essentielles pour sensibiliser les investisseurs et changer la perception selon laquelle l’Adaptation est difficile à soutenir par un financement commercial.
Globalement, l’Adaptation peut être un objectif d’investissement privé viable et, bien que les efforts collectifs aient été mis en évidence lors de la COP28, ils doivent encore être renforcés pour combler l’important déficit de financement dans les pays en développement11.