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Quels sont les risques de l’espace pour les humains ?

Pierre Henriquet
Pierre Henriquet
docteur en physique nucléaire et chroniqueur chez Polytechnique Insights
En bref
  • Les humains ne sont pas naturellement équipés pour vivre dans l’espace : de nombreuses précautions doivent être mises en place pour l’explorer.
  • Les améliorations techniques et technologiques permettent d’éviter les désagréments causés par les anciens équipements spatiaux.
  • Le corps humain subit néanmoins de nombreux changements : congestion de la tête, perte du goût, perte de masse musculaire ou même fragilisation des os.
  • Être exposé aux rayons cosmiques peut causer des changements allant de la cataracte à l’augmentation du risque de cancer, en passant par la stérilité.
  • Beaucoup de travail reste encore à faire pour créer un environnement spatial viable pour les humains sur le long terme.

Ce n’est une sur­prise pour per­son­ne, les humains ne sont pas équipés naturelle­ment pour vivre dans l’espace. L’explorer demande une grande quan­tité d’adaptations tech­niques, des années d’entraînement, sans compter un moral et un physique d’acier. Le pre­mier envoi d’un humain dans l’espace a été effec­tué le 12 avril 1961, lorsque Youri Gagarine fit son – seul – tour de la Terre dans la cap­sule sovié­tique Vostok.

Très ponctuelle au début, la présence humaine dans l’espace est per­ma­nente depuis deux décen­nies grâce (surtout) à la célèbre Sta­tion Spa­tiale Inter­na­tionale où se relayent con­tin­uelle­ment des astro­nautes de dif­férents pays pour tra­vailler dans, mais aus­si à l’extérieur, de la station.

On par­le sou­vent du milieu spa­tial comme étant très dan­gereux, mais quels sont les risques de s’aventurer dans ce milieu extrême ? Com­ment les réduit-on au max­i­mum ? L’accident spa­tial est-il envis­age­able ? Et quelle influ­ence, finale­ment, a l’espace sur un être humain ?

Une histoire mouvementée

Le prin­ci­pal prob­lème dans l’espace tient au fait qu’il n’y a pas qu’un dan­ger auquel faire atten­tion mais une mul­ti­tude de fac­teurs qui, s’ils ne sont pas cor­recte­ment pris en compte, peu­vent tous men­er à des sit­u­a­tions cri­tiques. Et nous l’avons appris dès les tout débuts de l’ère spatiale.

Un des pre­miers inci­dents est sur­venu à peine 4 ans après le pre­mier vol de Gagarine (qui était resté dans l’habitacle pres­surisé de son vais­seau tout le long de son voy­age), lorsque son homo­logue Alex­eï Leonov ten­ta la pre­mière sor­tie extravéhic­u­laire en scaphan­dre. Après 10 min­utes en-dehors du vais­seau, il décide de ren­tr­er mais s’aperçoit… que la pres­sion d’air à l’intérieur de son scaphan­dre l’a telle­ment fait gon­fler qu’il ne ren­tre plus dans le sas. Il lui fau­dra pren­dre le risque de faire s’échapper l’air de sa com­bi­nai­son, réduisant de la pres­sion à 1/3 de pres­sion atmo­sphérique (au risque d’une embolie gazeuse) pour pou­voir enfin réin­té­gr­er la sécu­rité de son vaisseau.

Aujourd’hui, il n’y a plus de risque qu’un tel évène­ment arrive, d’abord parce que les com­bi­naisons spa­tiales sont bien moins flex­i­bles et élas­tiques que celle de Leonov, mais aus­si parce que les scaphan­dres mod­ernes fonc­tion­nent sous une atmo­sphère d’oxygène pur, ce qui per­met de soumet­tre l’intérieur à une pres­sion bien moin­dre que celle que Leonov a connue.

20 juin 2021 – Thomas Pes­quet effectue une sor­tie extravéhic­u­laire pour installer de nou­veaux pan­neaux solaires sur l’ISS. Crédit : NASA.

Mais un scaphan­dre spa­tial (appelé EMU « Extrave­hic­u­lar Mobil­i­ty Unit » pour le mod­èle améri­cain et « Orlan » pour le mod­èle russe) ne sert pas qu’à garder une atmo­sphère res­pirable et une pres­sion atmo­sphérique sup­port­able pour l’astronaute. Il per­met aus­si de se pro­téger d’une autre con­trainte envi­ron­nemen­tale extrême en milieu spa­tial : les températures.

En effet, dans le vide, sans air tiède pour « brass­er » la tem­péra­ture autour de l’astronaute, les écarts de tem­péra­ture entre la face éclairée et la face som­bre sont gigan­tesques. Les par­ties éclairées, soumis­es directe­ment au ray­on­nement du Soleil, peu­vent mon­ter à 120 °C, alors que la tem­péra­ture des par­ties à l’ombre peut chuter jusqu’à ‑100 °C.

C’est pourquoi des cir­cuits de refroidisse­ment par cir­cu­la­tion d’eau sont inté­grés à une des couch­es du scaphan­dre, pour redis­tribuer la chaleur des par­ties chaudes aux par­ties froides et main­tenir une tem­péra­ture intérieure sup­port­able pour l’astronaute. Et tout va bien… tant que ce cir­cuit de refroidisse­ment n’a pas de fuite.

Le 16 juil­let 2011, alors qu’il est en-dehors de la Sta­tion Spa­tiale, l’astronaute ital­ien Luca Par­mi­tano de l’Agence Spa­tiale Européenne sent de l’eau à l’arrière de son cou. En impe­san­teur, l’eau a un com­porte­ment par­ti­c­uli­er : elle se met en boule et flotte devant les astro­nautes amusés. Mais si elle touche la peau d’un humain, elle y reste col­lée, main­tenue par une force appelée « ten­sion de sur­face »… ce qui n’est pas grave lorsqu’on dis­pose d’un chif­fon pour l’éponger, mais qui peut l’être beau­coup plus lorsqu’on est seul dans son scaphan­dre, inca­pable de touch­er son pro­pre vis­age, et que l’eau s’accumule encore et encore, menaçant de recou­vrir pro­gres­sive­ment les yeux, les nar­ines ou la visière du scaphan­dre.

Heureuse­ment pour Luca, la sor­tie spa­tiale est immé­di­ate­ment avortée et, aidé de son parte­naire, l’astronaute Christo­pher Cas­sidy, il parvient à ren­tr­er dans la Sta­tion les yeux fer­més, le micro puis les écou­teurs pro­gres­sive­ment éteints par la pro­gres­sion de l’eau. Une fois la pres­sion rétablie dans le sas, l’équipage à bord entre en urgence, dévisse le casque et éponge enfin l’eau qui, après exa­m­en, venait bien du cir­cuit de refroidissement.

Influence(s) sur le corps humain

Le sim­ple fait d’être en sécu­rité dans l’ISS n’empêche pas le corps humain de subir un cer­tain nom­bre de change­ments, à toutes les échelles (corps, organes, cel­lules, génétique).

Les désagré­ments com­men­cent en général lorsque l’astronaute arrive à bord. Habitué à pom­per le sang vers le haut du corps pour con­tr­er la grav­ité, le cœur con­tin­ue son tra­vail même lorsque l’humain en ques­tion est en impe­san­teur et ne ressent plus son pro­pre poids. Résul­tat, une tête rouge et gon­flée, car­ac­téris­tique de ces états de microgravité.

Le vis­age de Thomas Pes­quet change sen­si­ble­ment entre la pho­to offi­cielle au sol (à gauche) et son séjour en micro­grav­ité à bord de l’ISS (à droite). Crédit : ESA.

Cette con­ges­tion de la tête et, entre autres, des muqueuses nasales, gon­flées elles aus­si de sang, impacte directe­ment le goût de la nour­ri­t­ure con­som­mée sur place. Dans une telle sit­u­a­tion, l’air cir­cule mal dans le nez. L’odorat étant une par­tie con­séquente de la sen­sa­tion du goût de ali­ments, ils per­dent, de fait, une bonne part de leur saveur (cette perte sera com­pen­sée en par­tie par l’envoi de plats plus épicés que la moyenne).

La perte de masse mus­cu­laire, si elle n’est pas com­pen­sée par 2 heures de sport par jour, peut avoir de graves conséquences.

Mais l’impact sur le corps humain peut être plus prob­lé­ma­tique. En impe­san­teur, une sim­ple poussée con­tre un mur suf­fit à vous propulser de l’autre côté de la Sta­tion spa­tiale. De fait, on se sert bien moins de sa struc­ture mus­cu­laire que sur Terre. Il en résulte une perte de masse qui, si elle n’est pas com­pen­sée (ou au moins ralen­tie) par 2 heures de séances de sport par jour, peut avoir de graves con­séquences lors du retour sur Terre.

En par­al­lèle de cette perte mus­cu­laire, les os devi­en­nent aus­si plus frag­iles et cas­sants. Cette patholo­gie, générale­ment réservée aux per­son­nes âgées sur Terre, est appelée ostéo­porose.
Même si cette décal­ci­fi­ca­tion osseuse est réversible une fois revenu au sol, une étude1 menée sur 14 hommes et 3 femmes avant et après leur séjour dans l’espace mon­trait que même après 1 an de réé­d­u­ca­tion, la résorp­tion de la struc­ture du tib­ia des astro­nautes était encore incom­plète. Et bien sûr, plus le séjour dans l’espace est long, plus le retour à la nor­mal est long.

Quels sont les effets de l’irradiation spatiale ?

Les effets médi­caux sur le corps humain lors d’un séjour pro­longé en impe­san­teur sont nom­breux (sen­sa­tion de ver­tige à cause de déséquili­bres dans l’oreille interne, change­ment de pres­sion ocu­laire pou­vant men­er à des décolle­ments de rétine, réten­tion uri­naire, cal­culs rénaux…), mais il reste un dernier dan­ger à ne pas sous-estimer : l’effet des radiations.

Dans l’espace, les rayons cos­miques for­ment une pluie de par­tic­ules dites « ion­isantes » : une expo­si­tion pro­longée à ces rayons peut causer des change­ments macro­scopiques (brûlures, cataracte) et micro­scopiques (altéra­tion géné­tiques, stéril­ité ou aug­men­ta­tion des risques de dévelop­per un can­cer). Ces rayons cos­miques sont essen­tielle­ment com­posés de pro­tons, d’électrons et de noy­aux d’atomes, propul­sés dans l’espace par le Soleil (pour les rayons cos­miques de basse énergie) et d’autres phénomènes beau­coup plus vio­lents comme des explo­sions d’étoiles mas­sives ou des trous noirs avalant de la matière (à l’origine des rayons cos­miques de haute énergie).

Des recherch­es inten­sives sont actuelle­ment menées afin de pro­téger les astro­nautes de l’irradiation spatiale.

Sur Terre, nous sommes bien pro­tégés de ces rayons cos­miques grâce a) à la mag­né­tosphère ter­restre qui dévie une par­tie sub­stantielle de ce flux de par­tic­ules, et b) grâce à notre atmo­sphère qui arrête physique­ment le peu qui reste. Dans l’espace, on ne peut plus compter sur la pro­tec­tion de l’atmosphère (qui se trou­ve à plus basse alti­tude), et si la mag­né­tosphère joue encore un rôle pour l’ISS qui orbite seule­ment à 450 km d’altitude, il n’en sera pas de même lorsque les humains s’aventureront plus loin dans l’Univers, sur la Lune prochaine­ment, et sur Mars à plus long terme.

C’est pourquoi des recherch­es inten­sives sont actuelle­ment menées, à la fois sur les moyens de pro­téger les astro­nautes de cette irra­di­a­tion spa­tiale, mais aus­si sur les out­ils pour mesur­er cette dose de ray­on­nement reçue quo­ti­di­en­nement, ou encore sur les effets biologiques de ces radiations.

À ce pro­pos, l’une des « appré­ci­a­tions les plus com­plètes que nous ayons jamais eue de la réponse du corps humain à un vol dans l’e­space » vient d’une remar­quable étude2 réal­isée en 2015 sur 2 frères jumeaux (Mark et Scott Kel­ly) dont l’un est resté dans l’espace 340 jours pen­dant que l’autre restait sur Terre. Il a alors été pos­si­ble de suiv­re ces deux hommes géné­tique­ment iden­tiques et d’observer pré­cisé­ment les change­ments opérés par le milieu spa­tial à dif­férents niveaux (biochim­ique, immu­ni­taire, géné­tique, phys­i­ologique etc…).

Étude réal­isée sur les 2 astro­nautes jumeaux Scott & Mark Kel­ly pen­dant 25 mois, dont 12 en orbite autour de la Terre pour Scott. Crédit : Gar­rett-Bak­le­man et al.

En con­clu­sion, le séjour spa­tial altère notable­ment les fonc­tions du corps humain, et si une grande majorité est restau­rée une fois revenu sur le planch­er des vach­es, beau­coup de tra­vail reste encore à faire pour créer un envi­ron­nement spa­tial viable pour les humains sur le long terme.

1« Incom­plete recov­ery of bone strength and tra­bec­u­lar microar­chi­tec­ture at the dis­tal tib­ia 1 year after return from long dura­tion space­flight » – Sci­en­tif­ic Reports vol­ume 12, Arti­cle num­ber: 9446 (2022) – https://www.nature.com/articles/s41598-022–13461‑1
2« The NASA Twins Study: A mul­ti­di­men­sion­al analy­sis of a year-long human space­flight” – SCIENCE – 12 Apr 2019 Vol 364, Issue 6436 – https://​www​.sci​ence​.org/​d​o​i​/​1​0​.​1​1​2​6​/​s​c​i​e​n​c​e​.​a​a​u8650

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