Pendant des décennies, le domaine du spatial s’est développé en s’appuyant sur de grandes infrastructures telles que les agences spatiales (la NASA américaine, l’ESA européenne, Roscosmos russe…) et les grands groupes de l’industrie aéronautique (Boeing, Lockheed Martin, Airbus, Dassault…). Mais les temps changent. Aujourd’hui, de nouveaux modèles économiques émergent, prônant l’agilité, l’innovation et une plus grande prise de risque (technologie et économique). C’est ainsi que de jeunes entreprises privées tentent de se faire leur place dans ce domaine très compétitif qu’est le spatial.
Quels changements ont permis leur émergence ? Quelle est cette nouvelle dynamique ? Pour quels usages et quels marchés ? Regardons de plus près ce qu’on appelle aujourd’hui le « New Space ».
L’espace, plus accessible que jamais
Ces deux dernières décennies ont vu plusieurs changements rendre plus facile (et plus économique) l’accès et l’utilisation de l’espace. Les technologies, tout d’abord, ont considérablement évolué. Elles permettent aujourd’hui de compresser dans un volume équivalent à quelques boîtes de chaussures le matériel qui aurait été embarqué auparavant dans un satellite du volume d’une voiture. Miniaturisation des composants électroniques, nouveaux matériaux, algorithmes d’intelligence artificielle embarqués : les nouveaux satellites sont petits, flexibles et bien moins chers que leurs prédécesseurs.
Des « microsatellites » dont le poids dépasse à peine les 100 kg, nous sommes passés aujourd’hui aux nanosatellites (à peu près 10 kg). Ces satellites version nano sont aujourd’hui surtout utilisés par les universités pour des projets de type éducatifs et pédagogiques ou des organismes de recherche afin de mener des expériences spatiales à coût réduit (à peu près 100 000 € l’unité). La sonde DART qui s’est récemment crashée sur l’astéroïde Dimorphos pour tester la possibilité de dévier un astéroïde par « impact cinétique » transportait un nanosatellite appelé LICIA (Light Italian Cubesatfor Imaging of Asteroids) qui a permis de filmer en temps réel l’impact et de renvoyer immédiatement les données sur Terre.
Mais les économies ne se font pas que sur la masse des charges utiles. Une entreprise ayant besoin d’envoyer en orbite quelques nanosatellites pour son fonctionnement a aujourd’hui un choix bien plus important dans les lanceurs qui mettront leur matériel en orbite. À côté des piliers traditionnels du spatial (Ariane européenne, Soyouz russe, Long March chinoise), de nouvelles fusées sont développées avec cette idée centrale de rentabilité économique.
Citons, par exemple, les célèbres Falcon9 de SpaceX et leur 1er étage réutilisable, capables de revenir automatiquement atterrir sur leur base de départ. Après un contrôle technique minutieux, les voilà prêtes à décoller à nouveau. Certaines en sont déjà à leur quinzième vol d’affilée sans défaillance. Pour un prix avoisinant les 65 millions de dollars, il est ainsi possible de s’offrir les services de cet outil de mise en orbite. L’utilisation de ce lanceur est très variée : envoi de cargo de ravitaillement (Missions Dragon) ou d’astronautes (capsule Crew Dragon) sur la Station Spatiale Internationale, de satellites de télécommunication (Asiasat, ABS-2A…), de satellites d’études scientifiques (DSCOVR, TESS) ou de dizaines de milliers de microsatellites Starlink, produits par SpaceX, et destinés à fournir une couverture Internet planétaire.
Un autre concept vient de Nouvelle-Zélande. Conçu par la société Rocket Lab, le lanceur Electron a récemment, après avoir placé avec succès 34 satellites en orbite, été récupéré au crochet par un hélicoptère alors qu’il redescendait vers le sol sous parachute. Une autre manière de décliner la notion de réutilisabilité. Ce lanceur, moins puissant que la Falcon 9, se spécialise dans le lancement de nanosatellites destinés à l’imagerie de la Terre (DOVE de Planet labs) ou la surveillance maritime (Bro-One de la startup française Unseenlabs). Citons l’envoi récent autour de notre satellite naturel du satellite CAPSTONE, destiné à tester la stabilité de l’orbite où sera construite la future station lunaire Gateway.
Inutile de construire une fusée capable d’aller jusqu’à la Lune si l’on veut juste placer ses charges utiles en orbite basse.
Inutile de construire une fusée capable d’aller jusqu’à la Lune si l’on veut juste placer ses charges utiles en orbite basse, à quelques centaines de kilomètres au-dessus de la surface terrestre. Car c’est effectivement à cette altitude que se trouve le plus gros du marché. C’est ainsi que plusieurs startups travaillent sur l’idée de « microlanceurs », des fusées miniatures ayant juste la capacité d’atteindre l’orbite basse. Citons par exemple la société française Venture Orbital System et son microlanceur Zéphyr (17 mètres de long) dont une partie de la propulsion est, par souci d’économie, construite par impression 3D industrielle. Son vol inaugural est prévu pour 2024.
De nouvelles idées pour exploiter tout le potentiel du spatial
L’une des grandes nouveautés du New Space est aussi son caractère disruptif, permettant de trouver de nouvelles utilisations des technologies du spatial. Et dans ce domaine, ne serait-ce qu’en France, les idées foisonnent.
Le domaine du tourisme spatial, par exemple, pâtit d’une image mitigée, à cause des conséquences environnementales des vols vers l’espace. Si certains lanceurs comme le New Shepard de la société Blue Origin détenue par le milliardaire Jeff Bezos peuvent se vanter de l’utilisation de carburants (oxygène et hydrogène liquide) qui ne produisent que de l’eau après combustion, d’autres comme la SpaceShip (de la société VirginGalactic de Richard Branson) ou le célèbre lanceur russe Soyouz (qui a déjà envoyé de riches touristes à bord de la Station Spatiale Internationale) utilisent des carburants qui émettent d’autre composés carbonés.
La proposition de la startup française Zephalto est donc de développer un ballon stratosphérique capable de proposer à 6 voyageurs et 2 pilotes un voyage « bas carbone » dans l’espace. Premier vol prévu : 2024.
Parfois, l’aspect innovant ne consiste pas à construire de nouveaux satellites mais à mieux utiliser l’immense quantité de données générées par tous les satellites déjà en place. Ainsi, la startup Kayrros, par exemple, utilise les données des satellites d’observation de la Terre du programme européen COPERNICUS pour détecter automatiquement les grosses fuites de méthane industrielles, suivre la déforestation, ou encore évaluer précisément le contenu carbone séquestré dans la végétation.
Revenons sur Terre. Dans le domaine de l’agriculture, la jeune pousse Agreenculture propose une solution de machines agricoles autonomes guidées par satellites avec une précision au sol inférieure au centimètre, ce qui permet aux robots de mener à bien les tâches de désherbage et d’entretien programmés.
Et si, enfin, vous avez besoin de mettre en orbite vos satellites pour mesurer les radiations spatiales, assurer une couverture de télécommunication ciblée ou synchroniser des réseaux électriques terrestres, la société U‑Space propose à ses clients de les aider à concevoir et à construire le (ou les) nanosatellite(s) correspondant(s) à leurs besoins. Une fois que ces derniers seront construits, les clients pourront choisir la startup Exotrail et son « space van » pour embarquer plusieurs de ces nanosatellites et, une fois que le lanceur Falcon9 de SpaceX l’aura libéré dans l’espace, le laisser larguer précisément chaque charge utile sur sa propre orbite opérationnelle.
Nouvel Éden ou Far West débridé
C’est aux États-Unis que s’est développé le New Space, avec l’émergence de startups innovantes soutenues par des millionnaires du numérique qui n’hésitent plus à investir massivement dans ce nouvel accès à l’espace à prix réduit.
Car le numérique passe aujourd’hui par l’espace. Géopositionnement, synchronisation des réseaux, télécommunications, internet planétaire, ces nouveaux marchés s’ouvrent à qui veut les prendre, et la compétition est féroce. Aujourd’hui, l’Europe tente de reconquérir ce terrain. Certes, les entreprises américaines ont plus de facilité à lever d’énormes sommes, mais elles dépensent aussi beaucoup dans ce processus, avec une efficacité, in fine, qui n’est pas drastiquement supérieure à la démarche européenne, qui mise plus sur la sobriété et l’efficacité.
Une chose est sûre, le secteur des jeunes entreprises positionnées sur le spatial (que ce soit en termes de technologies innovantes ou de services utilisant des données spatiales) est en plein essor en France. Aujourd’hui, c’est plusieurs jeunes pousses par mois qui voient le jour, et ce rythme s’accélère chaque année.
Aujourd’hui, c’est plusieurs jeunes pousses par mois qui voient le jour, et ce rythme s’accélère chaque année.
Et bien sûr, cette évolution croissante ne va pas sans provoquer des inquiétudes légitimes. Quid du cadre législatif dans lequel se développe cette nouvelle économie ? En orbite basse, un satellite ne reste jamais au-dessus d’un même territoire mais circule librement autour du monde. Ce survol d’un nombre de plus en plus grand d’yeux et de détecteurs privés au-dessus de territoires étrangers ne va pas sans poser un certain nombre de problèmes stratégiques et géopolitiques.
Et le dernier (et non le moindre) problème est, bien sûr, l’augmentation exponentielle des satellites en orbite basse et celle du risque de collision dans l’espace, menaçant de projeter, si un tel accident arrivait à l’avenir, des milliers de débris autour de la Terre à plusieurs dizaines de milliers de kilomètre/heure (débris risquant eux-mêmes de provoquer des dégâts sur d’autres satellites orbitant à la même altitude). Le problème n’est pas tant les satellites individuels que les constellations de satellites, ensembles de milliers, parfois dizaines de milliers de microsatellites couvrant presque toute la surface terrestre, comme le projet d’internet planétaire Starlink de SpaceX, actuellement en cours de déploiement, et dont le nombre de satellites total est estimé, s’il parvient à son terme, à 42 000.
Certes, des entreprises du New Space se spécialisent justement dans la détection et/ou le suivi en temps réel de ces centaines de milliers d’objets et de débris en orbite, comme la startup français Spaceable, mais cela suffira-t-il à en garantir la sécurité ? Seul l’avenir nous le dira.