Pourquoi les séismes réécrivent-ils l’histoire de Mars ?
- Les premiers signaux sismiques mesurés sur la planète Mars ont été rapportés par les scientifiques qui suivent la mission InSight de la NASA, lancée en 2018.
- Les chercheurs ont découvert que la moitié des grandes secousses martiennes détectées sont liées à la présence passée de volcans en éruption dans la région de Cerberus Fossae.
- Cette découverte contredit l’idée selon laquelle l'activité sismique sur Mars serait due uniquement au refroidissement de la planète et à la fissuration de sa croûte dans différentes directions.
- En outre, le manteau martien ne présente pas les mêmes subdivisions que celles du manteau inférieur de la Terre mais plutôt une sorte d’océan de magma à sa base.
- Les impacts de météorites ont révélé la présence de poches de glace sous la surface de Mars, permettant une meilleure compréhension de la planète pour de futures missions.
La sismologie terrestre fournit des informations importantes sur l’intérieur de notre planète, sa formation et son évolution. Il en va de même pour la sismologie extraterrestre. Les tout premiers signaux sismiques mesurés sur la planète Mars ont été rapportés par les scientifiques qui suivent la mission InSight (Interior Exploration using Seismic Investigations, Geodesy and Heat Transport) de la NASA, lancée en 2018. Après quatre ans d’opération sur la planète rouge, les chercheurs y ont détecté environ 1 300 événements sismiques, dont l’analyse révolutionnera notre compréhension de celle-ci.
Mars n’est pas le premier endroit extraterrestre où les scientifiques ont détecté une activité sismique. Cinq sismomètres ont fonctionné sur la Lune entre 1969 et 1977 et ont mesuré une dizaine de milliers de « tremblements de lune ». Comme la Lune, Mars ne possède pas de plaques tectoniques et devrait donc être beaucoup plus calme que la Terre à cet égard.
Une activité sismique due en grande partie aux volcans
Sur les 1 300 événements sismiques détectés sur Mars, une bonne dizaine ont été provoqués par des impacts de météorites, explique Philippe Lognonné, professeur à l’Université Paris-Cité et à l’Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP) et qui dirige l’équipe ayant construit SEIS (Seismic Experiment for Interior Structure of Mars), le sismomètre principal d’InSight. Sur la totalité des séismes, au moins 50 sont relativement importants, d’une magnitude supérieure à 2,5 sur l’échelle de Richter, le plus important mesuré ayant atteint une magnitude de 4,7. Il y a aussi près d’un millier de plus petits séismes, d’une magnitude plus faible, entre 1 à 2.
SEIS, une technologie révolutionnaire ?
SEIS est le capteur principal de la mission InSight, qui vise à déployer la première station géophysique martienne. SEIS est équipée d’un instrument à très large bande (VBB), comparable à ceux utilisés par le réseau sismique mondial de la Terre, développé par l’IPGP avec le Centre National d’Études Spatiales (CNES), maître d’œuvre de SEIS, réalisé par ailleurs en collaboration internationale avec la Suisse, le Royaume Uni, les États-Unis et l’Allemagne. Les éléments de charge utile supplémentaires comprenaient un système de suivi de haute précision pour la géodésie, une expérience de flux thermique, un magnétomètre à trois axes et un ensemble de capteurs de vent (TWINS [Temperature and Wind for INSight]) et de pression, ainsi qu’un bras robotique et des caméras nécessaires à l’utilisation de SEIS au sol. Lancé le 5 mai 2018, InSight s’est posé avec succès sur Elysium Planitia le 26 novembre 2018 et a déployé son sismomètre peu de temps après. InSight (et SEIS) a mis fin à ses opérations peu après le 15 décembre 2022 en raison de l’accumulation de poussières sur les panneaux solaires.
Avant InSight, on pensait que ce type d’activité sismique était en majeure partie lié au refroidissement en cours à l’intérieur de la planète, qui entraîne des contractions de part et d’autre, et provoque une accumulation de points de tension, libérés par des ruptures de la croûte, générant des séismes. Finalement, InSight a montré que seule une petite partie des séismes s’expliquait de cette manière. Les chercheurs d’InSight ont en effet découvert que la moitié des grandes secousses martiennes détectées provenaient toutes d’une région appelée Cerberus Fossae. « Nous savons que le volcanisme a été actif entre 500 000 ans et 1 million d’années dans cette région, explique Philippe Lognonné. Grâce à nos mesures, nous savons aussi que ces secousses y sont quasi permanentes : il ne se passe pas un mois sans qu’il y ait un petit séisme. »
« Ces secousses sont étroitement liées à cette région, ce qui implique que les volcans qui y sont entrés en éruption dans le passé ne sont probablement pas éteints, mais simplement endormis. C’est la première découverte majeure que nous avons faite et, pour être honnête, personne dans l’équipe ne s’attendait à ce résultat. Jusqu’à présent, nous pensions que l’activité sismique sur Mars était due uniquement au refroidissement de la planète et à la fissuration de sa croûte dans différentes directions. Il est stupéfiant de penser que Mars est une planète qui possède encore une tectonique volcanique associée à des volcans qui pourraient très bien redevenir actifs à l’avenir. »
D’autres découvertes majeures : un manteau en fusion et des couches de glace sous la surface
La deuxième découverte majeure d’InSight est que le manteau martien ne présente pas les mêmes subdivisions que celles du manteau inférieur de la Terre. « En d’autres termes, et même si l’ensemble du manteau martien contient plus ou moins les mêmes types de roches et de minéraux que le manteau supérieur de la Terre, Mars ne possède pas de manteau inférieur, mais plutôt une sorte d’océan de magma à sa base. »
Bien que ce résultat soit moins surprenant, puisqu’il s’agit d’un phénomène considéré comme plausible, il n’avait jamais été découvert dans une autre planète tellurique. Cette découverte inattendue, montre qu’à la base du manteau de Mars, le liquide n’est pas le même que celui du noyau, mais un manteau en fusion.
« Là encore, peu de membres de l’équipe s’y attendaient, constate Philippe Lognonné. Nous réalisons maintenant que la structure actuelle de Mars est très différente de celle de la Terre. Sur Terre, vous avez d’abord une croûte, puis un manteau solide divisé en deux parties. À la base du manteau solide, il y a un noyau liquide de fer et d’éléments légers, et en dessous, un noyau solide de fer. Sur Mars, ce n’est pas du tout ça : on a une croûte, un manteau solide, mais à la base du manteau solide, on a un manteau en fusion et qui recouvre un noyau métallique lui aussi en fusion et bien plus riche en éléments légers. Enfin, nous avons eu d’assez belles surprises concernant les impacts de météorites, explique-t-il. Par exemple, un cratère de 150 mètres de diamètre a non seulement généré de superbes ondes sismiques, mais a également révélé la présence de poches de glace sous la surface. Cette découverte pourrait avoir des implications pour les futures missions habitées vers Mars, car nous savons désormais que la glace souterraine peut se trouver à certains endroits. »
L’instrument SEIS d’InSight recueille des informations sur la croûte martienne en détectant les ondes sismiques provenant de sources telles que les secousses et les impacts de météorites qui se répercutent sur l’ensemble de la planète. Lorsque ces ondes se déplacent à l’intérieur de Mars, elles changent de vitesse et de direction aux frontières entre les différents matériaux de la croûte. Cela signifie que, lorsqu’elles sont mesurées par SEIS, les ondes sismiques provenant de la même source peuvent être détectées à des moments différents, en fonction des chemins qu’elles ont empruntés pour atteindre la sonde.
La vitesse à laquelle les ondes sismiques traversent des roches de différentes densités varie en fonction de leur composition, de l’espace interstitiel et de ce qui remplit ce même espace – gaz, eau ou glace. En analysant les différents temps d’arrivée des ondes sismiques provenant des mêmes sources et atteignant la sonde, les chercheurs peuvent déterminer la composition de l’intérieur de la planète.
« Nous utilisons les ondes sismiques comme une sorte de lumière pour éclairer l’intérieur de la planète, explique Philippe Lognonné. En analysant les données mesurées par les sismomètres, on peut ensuite imager l’intérieur, déterminer l’épaisseur des principales parties de la planète, la croûte, le manteau et le noyau, observer ce qui est liquide, où et quand il y a de l’eau. Ce sont les grands domaines de la sismologie et je pense qu’avec InSight, nous avons fait des découvertes de premier ordre dans ces domaines. On ne peut pas dire qu’InSight ait bouleversé la sismologie en termes de techniques d’analyse des données, mais ce capteur a certainement été révolutionnaire dans le sens où il a fourni de nouvelles données sur une planète où nous n’étions jamais allés auparavant », conclut-il.
Isabelle Dumé
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