Accueil / Chroniques / Pourquoi les séismes réécrivent-ils l’histoire de Mars ?
Mars, the red planet with detailed surface features and craters in deep space. Blue Earth planet in outer space. mars and earth, concept
π Espace π Science et technologies

Pourquoi les séismes réécrivent-ils l’histoire de Mars ?

Philippe Logogné
Philippe Lognonné
professeur à l’Université Paris Cité et à l'Institut de physique du globe de Paris
En bref
  • Les premiers signaux sismiques mesurés sur la planète Mars ont été rapportés par les scientifiques qui suivent la mission InSight de la NASA, lancée en 2018.
  • Les chercheurs ont découvert que la moitié des grandes secousses martiennes détectées sont liées à la présence passée de volcans en éruption dans la région de Cerberus Fossae.
  • Cette découverte contredit l’idée selon laquelle l'activité sismique sur Mars serait due uniquement au refroidissement de la planète et à la fissuration de sa croûte dans différentes directions.
  • En outre, le manteau martien ne présente pas les mêmes subdivisions que celles du manteau inférieur de la Terre mais plutôt une sorte d’océan de magma à sa base.
  • Les impacts de météorites ont révélé la présence de poches de glace sous la surface de Mars, permettant une meilleure compréhension de la planète pour de futures missions.

La sis­molo­gie ter­restre four­nit des infor­ma­tions impor­tantes sur l’in­térieur de notre planète, sa for­ma­tion et son évo­lu­tion. Il en va de même pour la sis­molo­gie extrater­restre. Les tout pre­miers sig­naux sis­miques mesurés sur la planète Mars ont été rap­portés par les sci­en­tifiques qui suiv­ent la mis­sion InSight (Inte­ri­or Explo­ration using Seis­mic Inves­ti­ga­tions, Geo­desy and Heat Trans­port) de la NASA, lancée en 2018. Après qua­tre ans d’opéra­tion sur la planète rouge, les chercheurs y ont détec­té env­i­ron 1 300 événe­ments sis­miques, dont l’analyse révo­lu­tion­nera notre com­préhen­sion de celle-ci.

Mars n’est pas le pre­mier endroit extrater­restre où les sci­en­tifiques ont détec­té une activ­ité sis­mique. Cinq sis­momètres ont fonc­tion­né sur la Lune entre 1969 et 1977 et ont mesuré une dizaine de mil­liers de « trem­ble­ments de lune ». Comme la Lune, Mars ne pos­sède pas de plaques tec­toniques et devrait donc être beau­coup plus calme que la Terre à cet égard.

Une activité sismique due en grande partie aux volcans

Sur les 1 300 événe­ments sis­miques détec­tés sur Mars, une bonne dizaine ont été provo­qués par des impacts de météorites, explique Philippe Lognon­né, pro­fesseur à l’Université Paris-Cité et à l’In­sti­tut de Physique du Globe de Paris (IPGP) et qui dirige l’équipe ayant con­stru­it SEIS (Seis­mic Exper­i­ment for Inte­ri­or Struc­ture of Mars), le sis­momètre prin­ci­pal d’In­Sight. Sur la total­ité des séismes, au moins 50 sont rel­a­tive­ment impor­tants, d’une mag­ni­tude supérieure à 2,5 sur l’échelle de Richter, le plus impor­tant mesuré ayant atteint une mag­ni­tude de 4,7. Il y a aus­si près d’un mil­li­er de plus petits séismes, d’une mag­ni­tude plus faible, entre 1 à 2.

SEIS, une tech­nolo­gie révolutionnaire ? 

SEIS est le cap­teur prin­ci­pal de la mis­sion InSight, qui vise à déploy­er la pre­mière sta­tion géo­physique mar­ti­enne. SEIS est équipée d’un instru­ment à très large bande (VBB), com­pa­ra­ble à ceux util­isés par le réseau sis­mique mon­di­al de la Terre, dévelop­pé par l’IPGP avec le Cen­tre Nation­al d’Études Spa­tiales (CNES), maître d’œuvre de SEIS, réal­isé par ailleurs en col­lab­o­ra­tion inter­na­tionale avec la Suisse, le Roy­aume Uni, les États-Unis et l’Allemagne. Les élé­ments de charge utile sup­plé­men­taires com­pre­naient un sys­tème de suivi de haute pré­ci­sion pour la géodésie, une expéri­ence de flux ther­mique, un mag­né­tomètre à trois axes et un ensem­ble de cap­teurs de vent (TWINS [Tem­per­a­ture and Wind for INSight]) et de pres­sion, ain­si qu’un bras robo­t­ique et des caméras néces­saires à l’u­til­i­sa­tion de SEIS au sol. Lancé le 5 mai 2018, InSight s’est posé avec suc­cès sur Ely­si­um Plani­tia le 26 novem­bre 2018 et a déployé son sis­momètre peu de temps après. InSight (et SEIS) a mis fin à ses opéra­tions peu après le 15 décem­bre 2022 en rai­son de l’ac­cu­mu­la­tion de pous­sières sur les pan­neaux solaires.

Avant InSight, on pen­sait que ce type d’ac­tiv­ité sis­mique était en majeure par­tie lié au refroidisse­ment en cours à l’in­térieur de la planète, qui entraîne des con­trac­tions de part et d’autre, et provoque une accu­mu­la­tion de points de ten­sion, libérés par des rup­tures de la croûte, générant des séismes. Finale­ment, InSight a mon­tré que seule une petite par­tie des séismes s’expliquait de cette manière.  Les chercheurs d’In­Sight ont en effet décou­vert que la moitié des grandes sec­ouss­es mar­ti­ennes détec­tées prove­naient toutes d’une région appelée Cer­berus Fos­sae. « Nous savons que le vol­can­isme a été act­if entre 500 000 ans et 1 mil­lion d’an­nées dans cette région, explique Philippe Lognon­né. Grâce à nos mesures, nous savons aus­si que ces sec­ouss­es y sont qua­si per­ma­nentes : il ne se passe pas un mois sans qu’il y ait un petit séisme. »

« Ces sec­ouss­es sont étroite­ment liées à cette région, ce qui implique que les vol­cans qui y sont entrés en érup­tion dans le passé ne sont prob­a­ble­ment pas éteints, mais sim­ple­ment endormis. C’est la pre­mière décou­verte majeure que nous avons faite et, pour être hon­nête, per­son­ne dans l’équipe ne s’at­tendait à ce résul­tat. Jusqu’à présent, nous pen­sions que l’ac­tiv­ité sis­mique sur Mars était due unique­ment au refroidisse­ment de la planète et à la fis­sur­a­tion de sa croûte dans dif­férentes direc­tions. Il est stupé­fi­ant de penser que Mars est une planète qui pos­sède encore une tec­tonique vol­canique asso­ciée à des vol­cans qui pour­raient très bien rede­venir act­ifs à l’avenir. »

D’autres découvertes majeures : un manteau en fusion et des couches de glace sous la surface

La deux­ième décou­verte majeure d’In­Sight est que le man­teau mar­tien ne présente pas les mêmes sub­di­vi­sions que celles du man­teau inférieur de la Terre. « En d’autres ter­mes, et même si l’ensem­ble du man­teau mar­tien con­tient plus ou moins les mêmes types de roches et de minéraux que le man­teau supérieur de la Terre, Mars ne pos­sède pas de man­teau inférieur, mais plutôt une sorte d’océan de mag­ma à sa base. »

Bien que ce résul­tat soit moins sur­prenant, puisqu’il s’ag­it d’un phénomène con­sid­éré comme plau­si­ble, il n’avait jamais été décou­vert dans une autre planète tel­lurique. Cette décou­verte inat­ten­due, mon­tre qu’à la base du man­teau de Mars, le liq­uide n’est pas le même que celui du noy­au, mais un man­teau en fusion.

Crédits : NASA/J­PL-Cal­tech. Dans l’or­dre : Terre, Mars, Lune. 

« Là encore, peu de mem­bres de l’équipe s’y attendaient, con­state Philippe Lognon­né. Nous réal­isons main­tenant que la struc­ture actuelle de Mars est très dif­férente de celle de la Terre. Sur Terre, vous avez d’abord une croûte, puis un man­teau solide divisé en deux par­ties. À la base du man­teau solide, il y a un noy­au liq­uide de fer et d’éléments légers, et en dessous, un noy­au solide de fer. Sur Mars, ce n’est pas du tout ça : on a une croûte, un man­teau solide, mais à la base du man­teau solide, on a un man­teau en fusion et qui recou­vre un noy­au métallique lui aus­si en fusion et bien plus riche en élé­ments légers. Enfin, nous avons eu d’assez belles sur­pris­es con­cer­nant les impacts de météorites, explique-t-il. Par exem­ple, un cratère de 150 mètres de diamètre a non seule­ment généré de superbes ondes sis­miques, mais a égale­ment révélé la présence de poches de glace sous la sur­face. Cette décou­verte pour­rait avoir des impli­ca­tions pour les futures mis­sions habitées vers Mars, car nous savons désor­mais que la glace souter­raine peut se trou­ver à cer­tains endroits. »

L’in­stru­ment SEIS d’In­Sight recueille des infor­ma­tions sur la croûte mar­ti­enne en détec­tant les ondes sis­miques provenant de sources telles que les sec­ouss­es et les impacts de météorites qui se réper­cu­tent sur l’ensem­ble de la planète. Lorsque ces ondes se dépla­cent à l’in­térieur de Mars, elles changent de vitesse et de direc­tion aux fron­tières entre les dif­férents matéri­aux de la croûte. Cela sig­ni­fie que, lorsqu’elles sont mesurées par SEIS, les ondes sis­miques provenant de la même source peu­vent être détec­tées à des moments dif­férents, en fonc­tion des chemins qu’elles ont emprun­tés pour attein­dre la sonde.

La vitesse à laque­lle les ondes sis­miques tra­versent des roches de dif­férentes den­sités varie en fonc­tion de leur com­po­si­tion, de l’e­space inter­sti­tiel et de ce qui rem­plit ce même espace – gaz, eau ou glace. En analysant les dif­férents temps d’ar­rivée des ondes sis­miques provenant des mêmes sources et atteignant la sonde, les chercheurs peu­vent déter­min­er la com­po­si­tion de l’in­térieur de la planète.

« Nous util­isons les ondes sis­miques comme une sorte de lumière pour éclair­er l’in­térieur de la planète, explique Philippe Lognon­né. En analysant les don­nées mesurées par les sis­momètres, on peut ensuite imager l’in­térieur, déter­min­er l’é­pais­seur des prin­ci­pales par­ties de la planète, la croûte, le man­teau et le noy­au, observ­er ce qui est liq­uide, où et quand il y a de l’eau. Ce sont les grands domaines de la sis­molo­gie et je pense qu’avec InSight, nous avons fait des décou­vertes de pre­mier ordre dans ces domaines. On ne peut pas dire qu’In­Sight ait boulever­sé la sis­molo­gie en ter­mes de tech­niques d’analyse des don­nées, mais ce cap­teur a cer­taine­ment été révo­lu­tion­naire dans le sens où il a fourni de nou­velles don­nées sur une planète où nous n’é­tions jamais allés aupar­a­vant »,  con­clut-il.

Isabelle Dumé

Bib­li­ogra­phie :

P. Lognon­né, W.B. Banerdt, J. Clin­ton, R.F. Gar­cia, D. Gia­r­di­ni, B. Knap­mey­er-Endrun, M. Pan­ning, W.T. Pike, Mars Seis­mol­o­gy, Annu­al Review of Earth and Plan­e­tary Sci­ences 2023 51:1, 643–670, https://doi.org/10.1146/annurev-earth-031621–073318

Lognon­né, P., Schim­mel, M., Stutz­mann, E., Davis, P., Dril­leau, M., Sain­ton, G., et al. (2023). Detec­tion of Mars nor­mal modes from S1222a event and seis­mic hum. Geo­phys­i­cal Research Let­ters, 50, e2023GL103205. https://​doi​.org/​1​0​.​1​0​2​9​/​2​0​2​3​G​L​1​03205

Lognon­né, P., W.B. Banerdt,  W.T.Pike, D.Giardini, U.Christensen, R.F.Garcia,et al., Con­straints on the shal­low elas­tic and anelas­tic struc­ture of Mars from InSight seis­mic data, Nature Geo­science, 13, 213–220, doi: 10.1038/s41561-020‑0536‑y

Lognon­né, P., W.B.Banerdt, D.Giardini, W.T.Pike, U.Christensen, P.Laudet, et al, SEIS: Insight’s Seis­mic Exper­i­ment for Inter­nal Struc­ture of Mars, Space Sci Rev, 215, 12, doi: 10.1007/s11214-018‑0574‑6

Samuel, H., M. Dril­leau, A. Riv­ol­di­ni, Z. Xu, Q. Huang, R. F. Gar­cia, V. Lekic, J.C.E Irv­ing, J. Badro, P. H. Lognon­né, J. A. D. Con­nol­ly, T. Kawa­mu­ra, T. Gud­ko­va and W. B. Banerdt (2023). Geo­phys­i­cal evi­dence for an enriched molten sil­i­cate lay­er above Mars’s core, Nature, 622, 712–717, doi: 10.1038/s41586-023–06601‑8

Verdier, N., V. Ansan, P. Delage, K. S. Ali, E. Beu­cler, C. Char­alam­bous, E. Con­stant, A. Spi­ga, M. Golombek, E. Marteau, R. Lapeyre, E. Gaudin, C. Yana, K. Hurst, P. Lognon­né, and B. W. Banerdt (2023). Using wind dis­per­sion effects dur­ing the InSight teth­er bur­ial activ­i­ties to bet­ter con­strain the regolith grain size dis­tri­b­u­tion. Jour­nal of Geo­phys­i­cal Research: Plan­ets, 128, e2022JE007707. https://​doi​.org/​1​0​.​1​0​2​9​/​2​0​2​2​J​E​0​07707

Xu, Z., Bro­quet, A., Fuji, N., Kawa­mu­ra, T., Lognon­né, P., Mon­tag­n­er, J.-P., et al. (2023). Inves­ti­ga­tion of Mar­t­ian region­al crustal struc­ture near the dichoto­my using S1222a sur­face-wave group veloc­i­ties. Geo­phys­i­cal Research Let­ters, 50, e2023GL103136. https://​doi​.org/​1​0​.​1​0​2​9​/​2​0​2​3​G​L​1​03136

Le monde expliqué par la science. Une fois par semaine, dans votre boîte mail.

Recevoir la newsletter