L’une des applications principales des plasmas – qui sont des gaz ionisés – est la gravure des semi-conducteurs en microélectronique. Grâce à leurs travaux expérimentaux, théoriques et de simulations, Pascal Chabert et son équipe ont découvert que cet état de la matière, et en particulier les plasmas froids (qui ont un faible degré d’ionisation), peuvent être utilisés pour la propulsion de satellites.
Plus de vitesse, moins de carburant
« Nous avons réalisé qu’il y avait de fortes similitudes entre ce que nous cherchons à faire pour propulser un satellite – c’est-à-dire créer des ions et les accélérer – et la gravure des semi-conducteurs en microélectronique. », explique Pascal Chabert. « Au lieu d’accélérer les ions contre une surface, comme c’est le cas pour la gravure, nous pouvons les accélérer dans l’espace pour la propulsion spatiale. »
Plus on accélère les ions à grande vitesse, mieux c’est, puisqu’on consomme moins de carburant.
« Plus on accélère les ions à grande vitesse, mieux c’est, puisqu’on consomme moins de carburant. », ajoute-t-il. Pour les applications de propulsion, il faut d’abord ioniser un gaz pour obtenir des ions positifs, puis accélérer ces ions. Cependant, il faut également une cathode d’électrons pour neutraliser le flux positif qui sort du satellite, afin de ne pas avoir un excès de charge positive. « En micro-électronique, nous sommes confrontés au même problème : une charge à neutraliser. », explique Pascal Chabert. « Ce sont les électrons qui chargent la surface lors de l’accélération des ions, ce qui génère des défauts dans la définition des motifs car la trajectoire des ions est perturbée. »
Le projet PEGASES
Pour surmonter ce problème de neutralisation dans les propulseurs, les chercheurs du LPP, inspirés par les techniques utilisées en gravure, ont proposé d’essayer de créer un plasma qui contiendrait à la fois des ions positifs et des ions négatifs, et d’accélérer ces deux types d’ions alternativement dans l’espace. Ainsi, il ne serait plus nécessaire d’avoir une cathode émettrice d’électrons pour neutraliser le flux d’ions positifs.
Ce projet a été baptisé PEGASES (Plasma Propulsion with Electronegative GASES), dont le premier prototype a vu le jour fin 2007 au LPP. « Ce concept nous a amenés à réfléchir aux meilleurs carburants possibles pour PEGASES. », explique Pascal Chabert. « Il nous fallait un carburant capable de fabriquer des ions positifs et des ions négatifs et il s’avère que l’iode (I2) est le meilleur candidat. Nous pouvons dissocier la molécule, et ce faisant, générer des ions plus (+) et des ions moins (-). »
Un pionnier dans l’étude des plasmas
« Le concept PEGASES n’a pas suscité une grande attention de la part de la communauté scientifique à l’époque, mais le projet n’a pas été vain puisqu’il a permis, entre autres, d’identifier l’iode comme le gaz idéal à partir duquel créer le plasma de propulsion (au lieu du xénon habituellement utilisé) », ajoute le professeur. « Une post-doctorante, Ane Aanesland, qui est venue travailler dans notre laboratoire a par ailleurs fondé en 2017 la start-up ThrustMe, qui commercialise des systèmes de propulsions à iode pour alimenter de petits satellites. »
Le laboratoire de Pascal Chabert est devenu un pionnier dans l’étude des plasmas d’iode pour la propulsion, à travers le concept d’accélération alternative des ions. La réputation de l’équipe a été renforcée par les recherches menées dans le cadre d’une chaire ANR industrielle portée par Anne Bourdon avec Safran Énergie sur les outils de simulation et les propulseurs plasma « à effet Hall » que la société développe.
La propulsion électrique consiste à ioniser un gaz et l’accélérer au sein d’un champ électrique, dans une machine qui a la taille d’une théière.
« L’idée de base de la propulsion électrique consiste à ioniser un gaz et l’accélérer au sein d’un champ électrique, dans une machine qui a la taille d’une théière. », explique Pascal Chabert. « Les puissances électriques varient de 1 à 10 kW afin de produire des poussées qui sont très faibles – de l’ordre de mN, c’est-à-dire moins que lorsque je souffle sur une bougie. C’est très faible, mais pour un satellite en orbite sans friction, c’est suffisant pour lui faire corriger son orbite ou la changer. »
Le principal avantage de la propulsion ionique par rapport à la propulsion chimique (qui est utilisée pour propulser les fusées et, jusqu’à récemment, était également utilisée à bord des satellites) est que la vitesse d’éjection du carburant est beaucoup plus grande. La consommation de carburant est donc beaucoup plus faible.
La propulsion chimique vs. la propulsion électrique
La propulsion de tout engin spatial repose sur l’obtention d’une force (« la poussée ») en accélérant et en éjectant une masse. Dans le cas des fusées chimiques, cette poussée est obtenue en éjectant rapidement de grandes masses de matière, ce qui leur permet d’échapper à l’attraction gravitationnelle de la Terre et d’atteindre l’espace. Cependant, les fusées chimiques sont très coûteuses en raison de l’énergie littéralement astronomique qu’elles consomment. Elles ne sont donc pas idéales pour les longues missions interplanétaires ou pour maintenir un satellite en orbite.
La vitesse d’éjection de la propulsion électrique est d’environ 30–50 km/s avec une charge de carburant embarqué 10 fois inférieure à la charge de la méthode chimique. En revanche, la poussée est relativement faible et ne peut donc pas être utilisée pour quitter la Terre. L’accélération fournie est néanmoins suffisante pour les missions interplanétaires.