L’utilisation du nucléaire dans l’exploration lointaine de l’espace
- Alimenter les objets spatiaux en énergie peut se faire de deux manières : en trouvant une source d’énergie dans l’espace, ou en emmenant l’énergie depuis la Terre.
- Les deux sources d’énergie actuellement utilisées dans le spatial sont l’énergie solaire et le nucléaire.
- Le Générateur Thermoélectrique à Radioisotope (RGT), utilisant des matériaux radioactifs, fournit aujourd’hui l’énergie de beaucoup de sondes spatiales.
- Mais l’énergie solaire n’est pas toujours garantie, notamment en fonction des paramètres de la mission et de l’environnement du matériel scientifique.
- À l’avenir, le nucléaire pourrait être utilisé pour la propulsion spatiale, se rajoutant ainsi à la propulsion chimique et la propulsion électrique.
Il existe peu d’environnements aussi hostiles que l’espace, et y faire survivre des humains est (et a toujours été) une gageure. Mais que les vols d’exploration soient habités ou non, l’un des problèmes majeurs reste toujours de trouver comment alimenter en énergie le vaisseau ou la sonde spatiale. Là-haut, le mot « vide » n’a jamais aussi bien porté son nom, et pour poursuivre des activités spatiales – alimenter les engins en électricité, les propulser ou communiquer –, il faut soit trouver une source d’énergie sur place, soit l’emmener avec soi depuis la Terre.
Ce sont ces deux possibilités qui aboutissent aux deux sources d’énergie actuellement utilisées dans le spatial : l’énergie solaire, permettant de convertir sur place une partie de la lumière du Soleil en électricité grâce à des panneaux photovoltaïques ; mais aussi l’utilisation de réactions nucléaires pour alimenter et, à l’avenir, propulser les engins dont les conditions d’utilisation ne permettent pas (ou mal) d’utiliser l’énergie solaire.
Plus de 50 ans de nucléaire dans l’espace et ailleurs
Sur Terre aussi se trouvent des lieux si loin de la civilisation, et aux environnements si extrêmes, qu’il est très compliqué d’y acheminer une source d’énergie stable et fiable. Fairway Rock, par exemple, est une minuscule île de moins d’1 km² située dans l’environnement glacial du détroit de Béring, au large de l’Alaska, entre les États-Unis et la Russie. C’est sur ce minuscule rocher, près du cercle polaire arctique, que la Navy américaine y a installé pour la première fois en 1966 un Générateur Thermoélectrique à Radioisotope (RTG) pour fournir en électricité ses installations de « surveillance environnementale ».
Ce dispositif est aujourd’hui la clé de la fourniture en énergie de beaucoup de sondes d’exploration spatiale, dont les plus célèbres sont les sondes Pioneer et Voyager (qui sont actuellement en train de quitter le Système solaire) ou la sonde Cassini-Huygens qui a exploré Saturne et ses lunes entre 2004 et 2017.
Bien que les RTG utilisent des matériaux radioactifs comme le Plutonium 238 ou l’Américium 241, ils ne sont pas considérés comme des « réacteurs nucléaires » au sens où l’on ne provoque pas de réaction de fission nucléaire entretenues, comme dans les centrales nucléaires classiques. À la place, on utilise la chauffe naturelle d’un bloc de matériau radioactif. Et c’est cette chaleur, induite par la radioactivité, qui va être convertie en électricité à l’aide de thermocouples.
Même si l’efficacité de cette conversion est assez faible (de l’ordre de 10 %), elle a l’avantage de produire de l’électricité de manière stable et continue pendant des dizaines d’années. Les matériaux radioactifs sont caractérisés par leur « demi-vie », qui donne le temps au bout duquel leur radioactivité (et donc leur production en énergie) a diminué de moitié. Pour le Plutonium 238 (le plus largement utilisé dans les RTG actuels), sa demi-vie est de ~88 ans, ce qui assure une fourniture en énergie suffisante pour les missions spatiales dont les durées s’étendent typiquement sur une ou deux décennies.
Électricité spatiale : solaire ou nucléaire ?
Mais la durée pendant laquelle le système fournit de l’électricité n’est pas le seul intérêt de cette technologie. En effet, le Soleil, lui, émet de la lumière en continu, permettant virtuellement à une mission de se poursuivre éternellement tant qu’elle est éclairée par la lumière. Mais c’est justement là que le bât blesse. En fonction des paramètres de la mission et de l’environnement du matériel scientifique, la fourniture en énergie solaire n’est pas toujours garantie.
Les rovers utilisés pour explorer la surface de Mars doivent faire avec les conditions météorologiques locales.
Sur Mars, par exemple, les rovers utilisés pour explorer la surface doivent faire avec les conditions météorologiques locales. La planète rouge possède en effet une atmosphère qui, si elle est bien moins dense que l’atmosphère terrestre (la pression y est ~200 fois plus faible), n’empêche pas des vents parfois très rapides de soulever la fine poussière ocre qui parsème sa surface. Elle se redéposera ensuite sur les panneaux solaires des robots humains, occultant parfois presque totalement la lumière du Soleil disponible.
En décembre 2022, la mission Insight d’étude de la structure interne de Mars s’est terminée après 4 ans d’activité, ses panneaux solaires étant presque totalement recouverts de poussière. C’est la raison pour laquelle les rovers Curiosity et Perseverance, envoyés sur Mars respectivement en 2012 et en 2021, sont équipés d’un RTG. Outre la production d’électricité, il permet aussi de réchauffer certaines parties sensibles de l’électronique qui s’accommodent mal des températures moyennes martiennes, tournant aux alentours de ‑60 °C.
Mais même sur des environnements sans atmosphère (et donc sans dépose de poussière), des RTG peuvent s’avérer nécessaires.
Lors des missions Apollo sur la Lune, des RTG ont été utilisés pour fournir en énergie les instrumentations scientifiques déposées près des modules d’atterrissage. La raison : certains de ces équipements étaient destinés à être utilisés en continu pendant plus de 10 ans. Or, sur la Lune, un jour est beaucoup plus long que sur Terre. Une journée (entre le lever et le coucher du soleil) dure près de deux semaines terrestres. Quant à la nuit lunaire, elle dure aussi longtemps. Des dispositifs solaires n’auraient donc pas pu alimenter en électricité les instruments pendant deux semaines, tous les mois : d’où l’utilité des RTG.
Enfin, même dans l’espace, là où le Soleil brille en continu, il est nécessaire de bien réfléchir au type de technologie que l’on va utiliser pour fournir de l’électricité aux sondes d’exploration. En effet, comme toute source de lumière, plus on s’éloigne du Soleil, moins il nous éclaire. Et cette diminution de luminosité est très rapide. Elle décroît comme le carré de la distance. Si l’on s’éloigne 3 fois plus, on reçoit 9 fois moins de lumière. Lorsqu’on s’éloigne 10 fois plus, on reçoit 10² = 100 fois moins de lumière.
En pratique, pour toutes les missions qui s’éloignent au-delà de l’orbite de Jupiter, la quantité de lumière reçue est si faible que l’utilisation de panneaux solaires n’est plus efficace. Une nouvelle fois, c’est la technologie des RTG qui pallie ce problème, comme, par exemple, pour la mission Cassini-Huygens d’exploration de Saturne et de ses lunes ou la célèbre mission New Horizons qui a, pour la première fois dans l’histoire de l’astronautique, permis d’obtenir des images résolues de la surface de Pluton après 10 ans de voyage dans le Système solaire.
Propulsion nucléaire
Un autre domaine du spatial devrait, dans la décennie qui vient, voir arriver de nouvelles technologies basées sur le nucléaire : la propulsion spatiale. Dans ce domaine, le principe est toujours le même : projeter le plus vite possible la plus grande quantité possible de matière d’un côté pour générer une force qui propulse le vaisseau dans la direction opposée. C’est le célèbre principe d’Action-Réaction. Actuellement, ce principe se décline, grossièrement, en deux technologies : la propulsion chimique et la propulsion électrique (ionique), avec pour chacune des avantages et des inconvénients.
La propulsion chimique conventionnelle utilise des ergols dont la combustion projette de grandes quantités de gaz chauds, responsables d’une poussée très importante, mais très limitée dans le temps (de l’ordre de la dizaine de minutes au maximum). De plus, elle nécessite d’embarquer d’énormes quantités de carburant qui alourdissent elles-mêmes le vaisseau, nécessitant d’utiliser plus de carburant… pour propulser ce carburant.
À l’inverse, la propulsion ionique consiste à accélérer un gaz ionisé entres des grilles électriquement chargées. La vitesse de sortie des particules ne dépend plus d’une réaction chimique particulière mais de l’intensité du champ électrique que l’on crée.
La vitesse des particules est potentiellement beaucoup plus élevée, ce qui permet de réduire drastiquement la quantité de carburant utilisée. Un moteur ionique utilise une centaine de grammes de carburant par jour, là où la fusée Ariane consomme plusieurs centaines de tonnes d’ergols par seconde. Cette propulsion ionique est plus efficace et peut être utilisée de manière continue pendant plusieurs semaines, ou plusieurs mois, d’affilée.
L’inconvénient : elle génère une poussée extrêmement faible (quelques newtons au maximum), ce qui impose de grandes contraintes sur les types d’appareils sur lesquels elle peut être utilisée. La propulsion nucléaire thermique, quant à elle, consiste à utiliser un fluide propulsif (de l’hydrogène, par exemple) et le réchauffer en le faisant passer dans le cœur d’un réacteur nucléaire. Il peut ensuite être expulsé à grande vitesse, en grande quantités, pour propulser le vaisseau. En termes d’efficacité, la propulsion nucléaire se situe entre la propulsion chimique et la propulsion ionique, permettant, en théorie, une vitesse d’éjection des gaz très importante, tout en supportant des temps de poussée très longs.
En 2021, la NASA sélectionnait 3 conglomérats d’entreprises pour réaliser des études de concept de réacteurs à propulsion nucléaire thermique (BWX Technologies/Lockheed Martin d’une part, General Atomics Electromagnetic Systems/X‑energy/Aerojet Rocketdyne d’autre part et enfin Ultra Safe Nuclear Technologies/Blue Origin/General Electric Hitachi Nuclear Energy/General Electric Research/Framatome/Materion). Les travaux sont en cours.
Fin janvier 2023, Bill Nelson, actuel administrateur de la NASA, annonçait une collaboration avec la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) pour « développer et démontrer une technologie de propulsion nucléaire thermique avancée dès 2027 ». L’Europe, quant à elle, a produit en 2013 un rapport intitulé « Mégahit » qui proposait une feuille de route pour le développement de systèmes nucléaires spatiaux. Elle n’a toutefois abouti à aucune publication depuis.
L’un des problèmes principaux dans le développement de ces technologies spatiales basées sur le nucléaire est bien entendu l’aspect sécurité et sociétal. Il est relativement facile aujourd’hui de construire des RTG dont les petits palets radioactifs sont protégés par des couches successives assurant un bon transfert thermique tout en résistant au mieux à des évènements comme la destruction du lanceur au décollage ou à une rentrée atmosphérique incontrôlée (c’est arrivé en avril 1970 lorsque la mission Apollo 13 est revenue sur Terre en urgence suite à l’explosion d’une partie du vaisseau. Après avoir résisté sans rupture à la chaleur de la rentrée atmosphérique, le RTG chargé d’alimenter les instruments sur la Lune a plongé dans l’océan Pacifique au-dessus de la fosse des Tonga, profonde de 10 km).
Par contre, il est difficile, en l’état du développement des futurs moteurs à propulsion nucléaire, d’établir comment ce genre d’engins bien plus gros et complexes pourraient assurer un même niveau de sécurité. C’est pourtant une étape cruciale qu’il faudra bien passer si l’on veut développer ce genre de nouvelle technologie de propulsion spatiale et atteindre la planète Mars en bien moins de temps qu’on ne le fait aujourd’hui.