Quel passionné d’astronomie n’a jamais rêvé de contempler la surface de Mars du haut d’Olympus Mons, la plus haute montagne du Système solaire ? Qui n’aurait pas envie d’admirer au moins une fois les couchers de soleil bleus de la Planète Rouge ?
Si le voyage entre la Terre et Mars ne consiste parfois qu’à tourner une page de roman de science-fiction, il en va autrement dans la vie réelle. Complexe, dangereux, utopique, suicidaire… les qualificatifs ne manquent pas aujourd’hui pour qualifier les publicités de certaines entreprises privées qui promettent le premier homme (ou la première femme) sur Mars d’ici la fin de la décennie.
Quels sont les freins à l’exploration (osera-t-on dire, la colonisation ?) de Mars ? Pourquoi ne sommes-nous pas déjà en train de réserver notre terrain habitable près des pentes de Valles Marineris ? Faisons un petit tour d’horizon…
« L’important, ce n’est pas la destination, c’est le voyage » qu’ils disaient…
Malheureusement, les problèmes ne commenceront pas une fois arrivés sur Mars, mais bien avant. Actuellement, l’humains n’est jamais allé plus loin que l’orbite lunaire, à 3 ou 4 jours de voyage de notre planète. Et même dans ces cas-là, s’il y a le moindre souci à bord, ou si plus aucune commande ne répond, on s’arrange toujours pour que les lois immuables de la mécanique spatiale ramènent le vaisseau tout seul vers la Terre. C’est ce qui s’est passé le 14 avril 1970 lorsqu’un réservoir d’oxygène liquide a explosé dans le module de service d’Apollo 13, mettant fin à la mission. Après 3 jours de survie dans un vaisseau éventré, les astronautes ont pourtant pu retourner sains et saufs sur Terre.
Malheureusement, un scénario comme celui-ci est inenvisageable lors d’un transfert entre Mars et la Terre. Ce voyage durerait entre 6 et 9 mois, pendant lequel le vaisseau deviendrait un véritable monde autonome, capable de fournir eau, oxygène et nourriture à un équipage soumis, en plus, à un environnement bien plus hostile que tout ce qui n’a jamais été simulé ou expérimenté.
Se protéger, se nourrir, s’abreuver
Outre les communications qui vont s’allonger au fur et à mesure que la distance entre le vaisseau et le centre de contrôle augmente, passant finalement à plus de 10 minutes entre l’émission et la réception d’un message, l’un des problèmes principaux concerne les rayons cosmiques, ce flux de particules énergétiques (protons, électrons, noyaux d’atomes lourds) qui baignent l’espace interplanétaire en irradiant tous les objets qui s’y trouvent. Certes, il existe des environnements spatiaux qui, aujourd’hui, permettent aux humains de s’entraîner aux longs séjours dans l’espace, comme la Station Spatiale Internationale (ISS), mais la situation n’est pas la même. En effet, l’ISS tourne à 400 km d’altitude, et dans ces conditions, elle bénéficie largement de l’effet de bouclier protecteur du champ magnétique terrestre (la magnétosphère), qui ralentit et dévie une fraction des rayons cosmiques.
Et la radioprotection n’est qu’un des très nombreux problèmes qu’il faudra résoudre avant d’envoyer des humains vers Mars. Pour l’eau, beaucoup de travail a été mené à bord de l’ISS et il existe actuellement un système très efficace qui recycle les urines et récupère même la vapeur d’eau émise par la respiration et la transpiration pour les filtrer et en faire de l’eau potable. Mais même malgré ça, des pertes sont inévitables, et les cargos qui partent tous les mois pour l’ISS amènent toujours un peu d’eau pour faire le plein.
En ce qui concerne la nourriture, le problème est loin d’être résolu. Impossible, par exemple, d’emmener 12 à 18 mois de provisions dans une remorque derrière le vaisseau (en supposant qu’on n’abandonne pas l’équipage sans possibilité de retour, auquel cas, en effet, la quantité à emmener pourra être divisée par deux).
Il existe toutefois, toujours dans l’ISS, certaines recherches pour trouver des solutions. Depuis 2019, l’expérience BioNutrients‑1 (puis 2) étudient le fonctionnement de certaines levures et bactéries génétiquement modifiées pour produire des anti-oxydants, de la vitamine A ou des protéines permettant de maintenir la masse musculaire des astronautes. Avec les progrès de l’édition génétique, il n’est pas irréaliste d’imaginer, à terme, des micro-organismes capables, par exemple, de décomposer les selles humaines en molécules simples, et d’autres programmés pour utiliser cette soupe élémentaire et produire protéines, graisses, fibres et autres glucides consommables – et pouvoir recycler, cette fois-ci, une partie des matières solides humaines.
Quels effets sur le corps humain ?
Un autre problème très connu du milieu spatial sur le corps humain est la décalcification des os. Ce phénomène peut être ralenti par une alimentation adaptée et une pratique sportive quotidienne, mais cette perte est inévitable (1 % de masse d’os perdue par mois). Là encore, une solution pourrait venir des biotechnologies. L’idée est d’utiliser les légumes produits à l’intérieur du vaisseau de la manière la plus efficace et polyvalente possible. Outre le fait de produire un peu d’oxygène en consommant du CO2 et de servir à l’alimentation humaine, on envisage aussi de s’en servir comme… pharmacie.
Dans l’espace, les astronautes perdent 1 % de masse d’os par mois.
En 2022 paraissait une étude de l’Université de Californie sur la croissance, dans l’espace, d’une laitue génétiquement modifiée qui produit un peu d’hormone parathyroïdienne humaine qui, entre autres, aide à stimuler la croissance osseuse. Une consommation quotidienne de cette laitue pourrait ainsi, à terme, aider les astronautes à maintenir leur densité osseuse lors de longs voyages dans l’espace. On peut alors imaginer disposer, à l’intérieur du vaisseau, d’une pharmacopée végétale programmable, éditée au besoin, sans avoir à emmener une pharmacie entière au décollage.
Enfin, le facteur humain est, lui aussi, un paramètre très sensible qui ne garantit pas forcément le succès d’une hypothétique mission vers Mars. Beaucoup de recherches sont menées actuellement sur la capacité d’un groupe restreint de pseudo-astronautes à rester seuls, vivant en promiscuité 24h/24 sans possibilité d’y changer quoi que ce soit. Mais ces études ont, elles aussi, leurs limites, car elles se déroulent dans des milieux certes isolés, mais qui restent sur Terre. La conscience que plus aucun retour n’est possible et que toute l’humanité se trouve définitivement derrière vous est impossible à simuler.
Peu de scientifiques pensent que Mars restera à tout jamais inaccessible. Mais ça ne rend pas ce voyage prêt pour demain. Si d’intenses travaux sont actuellement faits pour préparer l’humanité aux premiers voyages interplanétaires, l’état actuel des connaissances et des technologies pour réaliser ce voyage ne permettent certainement pas de l’envisager pour un futur proche.