Propulsion photonique : voyager dans le Système solaire à la voile
- Pour le moment, la propulsion spatiale nécessite toujours un réservoir de carburant à chauffer et à éjecter vers l'arrière pour faire avancer le vaisseau spatial.
- Mais dans la recherche d'une nouvelle méthode de propulsion spatiale, une voile poussée par la lumière a été théorisée.
- C'est cette idée de poussée faible mais continue qui a conduit plusieurs groupes de recherche à tester des prototypes de plus en plus sophistiqués ces dernières années.
- Les voiles elles-mêmes font l'objet d'intenses recherches pour optimiser la façon dont elles interagissent avec la lumière. La NASA, par exemple, développe une voile solaire dite « diffractive ».
- Il est prévu de construire un réseau de faisceaux laser de 100 GW sur la Terre, afin d'accélérer progressivement les petites voiles jusqu'à 20 % de la vitesse de la lumière, ce qui leur permettrait de quitter le Système solaire d'ici 2030 et de dépasser Proxima du Centaure vers 2060.
Malgré les extraordinaires avancées technologiques dans le domaine spatial, force est de constater que le principe de propulsion des vaisseaux spatiaux n’a pas beaucoup évolué. Ce principe, c’est l’action-réaction : plus on projette vite une grosse quantité de matière dans un sens, plus la force créée en retour nous permet d’avancer, dans l’autre sens.
C’est grâce à cela que l’on faisait déjà tourner une petite machine à vapeur au Ier siècle ap. J.-C., et c’est le même principe qui régit le décollage du lanceur Ariane 5 ou le déplacement de la sonde japonaise Hayabusa 2 autour de son astéroïde Ruygu. Mais alors… tant qu’à s’inspirer de techniques ancestrales pour se déplacer dans l’espace, pourquoi ne pas utiliser le moyen qui a permis de tout temps à l’humanité de piloter et propulser ses bateaux pour découvrir de nouveaux continents : la voile ?
Dans l’espace, personne ne vous entendra crier…
Cette phrase désormais célèbre de la pop-culture, qui a accompagné la série de films de science-fiction « Alien », révèle un aspect fondamental de l’espace : l’air y est absent. Pour que le son se propage, il faut un milieu matériel (gaz, liquide ou solide), d’où l’impossibilité d’appeler au secours dans le vide spatial. Et par conséquent, s’il n’y a pas d’air, il n’y a pas de vent non plus. Nos plus beaux bâtiments de la Marine à voile seraient donc bien peu avisés d’essayer de se déplacer en dehors de l’atmosphère terrestre. Mais heureusement, cela ne sonne pas le glas de nos projets de voiliers spatiaux. En effet, ce qu’on appelle bien improprement « vide spatial »… n’est pas parfaitement vide.
Si, effectivement, la quantité de matière y est réduite à quelques atomes par centimètre cube, l’espace est, en revanche, empli de photons, c’est-à-dire de particules de lumière. Au niveau de l’orbite terrestre, chaque mètre carré de surface reçoit, de la part du Soleil, environ 1021 (1000 milliards de milliards de) photons chaque seconde. Or, lorsqu’un photon rebondit sur une surface, il lui transfère une quantité infime d’énergie sous forme de recul. Cet effet de pression de la lumière sur la matière est observé depuis des siècles.
En 1619, le grand astronome Johannes Kepler supposait déjà que l’orientation de la queue des comètes était due à l’effet de « souffle » de la lumière du Soleil. Les premières explications mathématiques viendront du célèbre physicien James Maxwell en 1873, et les premières mesures de cet infime effet de recul de la lumière sur une paroi ont été faites quelques années plus tard, au tout début du XXe siècle.
Donc, en théorie, il est possible de construire une voile poussée… par la lumière. Mais cette poussée est-elle suffisante ? Quelle devrait être la taille d’une voile spatiale pour capter assez de photons et ainsi bouger sous l’unique effet de la lumière solaire ?
Possible, prometteur, mais compliqué
Les calculs montrent que pour accélérer 1 kg de matière et faire augmenter sa vitesse de 1 m/s toutes les secondes, il faut, au niveau de l’orbite terrestre, une voile d’environ 100 000 m², c’est-à-dire une voile carrée d’environ 330 mètres de côté. Il faut donc une surface très grande pour une accélération encore très faible. À cette étape, il serait tentant de déclarer cette méthode inefficace, de jeter à la poubelle le papier sur lequel on a fait ces calculs et de passer à un autre sujet de recherche. Mais ce serait passer à côté d’une information capitale que l’on n’a pas envisagée jusqu’ici : cette source d’énergie est gratuite et perpétuelle !
En effet, le Soleil brille depuis presque 5 milliards d’années, et continuera de le faire tout aussi longtemps. Contrairement aux autres modes de propulsion spatiaux, qui nécessitent toujours un réservoir de carburant à chauffer et éjecter vers l’arrière pour pousser l’engin vers l’avant, ici, aucun réservoir n’est nécessaire. Aucune panne n’est à craindre ! Et si le début du voyage de notre voile solaire était assez modeste, n’oublions pas que l’accélération serait constante, et pourrait être maintenue pendant des années, des décennies !
En poursuivant les calculs commencés plus haut, on montre qu’au bout de 100 jours de fonctionnement, dans des conditions réalistes, une voile solaire pourrait atteindre 14 000 km/h. Trois ans plus tard, sa vitesse atteindrait 240 000 km/h : de quoi atteindre Pluton, l’un des corps les plus lointains du Système solaire, en 5 ans seulement. À titre de comparaison, il a fallu presque 10 ans à la sonde New Horizons pour faire le même voyage.
De la théorie à la pratique
C’est cette idée d’une poussée faible mais continue qui a poussé plusieurs groupes de recherche à tester des prototypes de plus en plus perfectionnés depuis quelques années. La 1ère voile solaire a été développée par l’organisation à but non lucratif « The Planetary Society ». La charge utile était composée d’un corps central de 100 kg entouré par 8 petites voiles solaires de 30 mètres chacune. En 2001, un premier lancement du prototype se termine par un échec. Le prototype est reconstruit et lancé, en 2005, par un ancien missile balistique intercontinental depuis un sous-marin russe. Là encore, la communication est rapidement coupée et plus personne n’entendra parler de cet engin-là non plus.
Ces débuts difficiles ne découragent pas les chercheurs et physiciens. En 2010, l’Agence d’exploration aérospatiale japonaise (JAXA) envoie en orbite la voile solaire IKAROS, de 14 mètres de côté. Cette fois-ci, le succès est au rendez-vous. Au bout d’un mois, la vitesse de l’engin de 315 kg (dont 15 kg de voile) a augmenté d’environ 10 m/s. L’agence japonaise valide ainsi le principe de voile solaire et confirme qu’il est possible de déployer et diriger un tel engin dans l’espace. Suivront enfin LightSail 1 et LightSail 2, construits par The Planetary Society et envoyés dans l’espace respectivement en 2015 et 2019, qui confirment la possibilité d’attacher une voile solaire à un satellite pour modifier son orbite.
Perspectives et futur
L’un des défauts des premières voiles solaires était qu’elles ne pouvaient mettre en mouvement que de petites charges utiles situées au centre de la voile. Les premiers prototypes étaient trop lourds pour être accélérés sensiblement. Aujourd’hui, l’essor des nouvelles technologies, l’utilisation de nouveaux matériaux et de l’électronique miniaturisé permettent de construire des nanosatellites de quelques kilogrammes à peine. Leurs performances promettent d’être bientôt aussi bonnes que les énormes satellites actuels de plusieurs centaines de kilogrammes, grâce, entre autres, à l’utilisation d’algorithmes d’intelligence artificielle embarqués. Ces concentrés de technologies sont particulièrement adaptés pour équiper les voiles solaires de prochaine génération, actuellement déjà en préparation.
Les voiles elles-mêmes sont sujettes à d’intenses recherches pour optimiser la manière dont elles interagissent avec la lumière. La NASA développe, par exemple, une voile solaire dite « diffractive ». Ce projet, Diffractive Solar Sailing, utilise de petits réseaux optiques intégrés dans les films minces de la voile pour utiliser plus efficacement la lumière du Soleil, sans sacrifier la maniabilité de l’engin.
Rappelons enfin que le paysage spatial est le lieu d’intenses et profondes modifications depuis quelques années. L’évolution des techniques et la baisse du coût d’accès à l’espace permettent aujourd’hui à de jeunes startups de tester et commercialiser des procédés et services innovants liés à l’espace. On appelle cette nouvelle dynamique le « New Space ».
L’une de ces startups françaises, Gama Space, a récemment levé 2 millions de dollars auprès du CNES (Centre National d’Études Spatiales) pour développer une petite voile solaire de 72 m², 50 fois plus mince qu’un cheveu, qui devrait servir, dans un premier temps, de propulseur pour un petit satellite de 11 kg lancé en octobre 2022. Bien sûr, l’objectif n’est pas de se limiter à l’orbite terrestre, et Thibaud Elzière, son fondateur, pense déjà à un moyen de diriger de futures sondes d’exploration dans tout le Système solaire…
Vers l’infini et au-delà !
La dernière limitation inhérente à la technique des voiles solaires est, bien sûr, la quantité de photons qui « poussent » le vaisseau. Et plus cette voile est loin du Soleil, plus cette quantité diminue rapidement, jusqu’à n’avoir quasiment plus d’effet sur l’engin.
Pour résoudre ce problème et envisager l’exploration spatiale en dehors de notre Système solaire, le projet StarShot prévoit de construire un millier de petites voiles solaires ne pesant, chacune, pas plus d’un gramme. Et pour pouvoir rejoindre en un temps raisonnable Proxima du Centaure, l’étoile la plus proche du Soleil, il est prévu de construire sur Terre un réseau de faisceaux laser de 100 Gigawatts, accélérant progressivement ces petites voiles à 20 % de la vitesse de la lumière, ce qui leur permettrait de quitter le Système solaire d’ici 2030 et de survoler Proxima Centauri vers 2060.
Aurons-nous, d’ici la fin du siècle, des images détaillées d’un autre Soleil et des planètes qui l’entourent ? Cela ne tient qu’à quelques photons et un peu d’ingéniosité humaine…