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3D Render of garbage in planet Earth orbit
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La prolifération des débris spatiaux dans l’orbite de la Terre

Christophe Bonnal
Christophe Bonnal
chercheur, expert en débris spatiaux à la direction des lanceurs du CNES
En bref
  • On compte aujourd’hui 36 000 objets de plus de 10 cm dans l’espace, dont 30 000 catalogués et 6 000 non référencés.
  • La masse d’objets en orbite dans l’espace est de 13 486 tonnes, ce qui est un peu plus que le poids de la tour Eiffel.
  • Dans la zone la plus encombrée, la génération de débris par collision est supérieure à la part de destruction naturelle par retombée dans l’atmosphère.
  • Dans la zone de l’orbite à 80 km où l’on envoyait souvent les satellites d’observation, on peut toujours en envoyer, mais leur chance de destruction prématurée est de 10 %.
  • Le nombre de débris spatiaux pourrait doubler en moins de 50 ans, il s’agit donc de retirer dix gros débris chaque année avant leur fragmentation et respecter la réglementation internationale en vigueur.

En 2021, on comptait 24 000 objets en orbite de plus de 10 cm dans l’espace. Où en est-on aujourd’hui ?

Christophe Bon­nal. Nous sommes à 12 000 de plus. On compte aujourd’hui 36 000 objets de taille supérieure à 10 cm, dont 30 000 que l’on con­naît bien. Ce sont des objets dits « cat­a­logués », iden­ti­fiés par un nom ou un numéro, dont on con­naît la tra­jec­toire. Les 6 000 restants sont des objets mil­i­taires non référencés, ou des objets que l’on a du mal à suiv­re en continu.

Atten­tion, ces « objets spa­ti­aux » peu­vent être des morceaux de satel­lites morts ou ce que l’on appelle des « résidus d’opérations » comme des san­gles, des capots… Comme un opéra­teur n’est pas tenu de déclar­er si son satel­lite est vivant ou non, dif­fi­cile de dis­tinguer les objets fonc­tion­nels des débris spa­ti­aux, mais il existe des esti­ma­tions. On compte par exem­ple 10 500 satel­lites act­ifs en orbite.

À partir de quand un « objet spatial » devient un débris ?

C’est dif­fi­cile à dire. La déf­i­ni­tion d’un débris est « un objet spa­tial non fonc­tion­nel d’origine humaine (…) ». Mais qu’est-ce qui est « non fonc­tion­nel » ? Quand Peter Beck, de la start-up cal­i­forni­enne Rock­et Lab, a envoyé dans l’espace une boule à facettes géante d’un mètre de diamètre, la com­mu­nauté sci­en­tifique a dénon­cé l’inutilité du pro­jet. Sa réponse ? La boule dis­co avait une fonc­tion pub­lic­i­taire, donc ne pou­vait pas être caté­gorisée comme un débris… Au-delà de cette anec­dote, le débat reste très intense, notam­ment avec les pays les plus pol­lueurs. Aujourd’hui, 96 % des débris orbitaux sont la respon­s­abil­ité du trio États-Unis, Russie, Chine, à hau­teur d’un tiers chacun.

Source : Visu­al­i­sa­tion 3D des débris en orbite par la NASA en 2022 (NASA ODPO)1.
Source : Visu­al­i­sa­tion 3D des débris en orbite par la NASA en 2022 (NASA ODPO)2.

Les objets spatiaux finissent par retomber naturellement dans l’atmosphère : cela ne suffit pas à désengorger l’espace ?

En 2023, il y a eu 2 800 arrivées en orbite pour 2 000 sor­ties. Ces désor­bi­ta­tions se font selon deux modal­ités : les retraits act­ifs, notam­ment quand il y a des humains dans une cap­sule ; et les désor­bi­ta­tions naturelles liées à la pres­sion dynamique de l’atmosphère. Plus l’objet est haut, plus il descend lente­ment : dix ans pour un satel­lite à 400 km d’altitude, deux siè­cles pour ceux à 800 km et mille ans pour les objets à 1 000 km.

Ensuite, la masse d’objets en orbite est de 13 486 tonnes, ce qui est un peu plus que le poids de la tour Eif­fel qui en fait 10 000. L’estimation clas­sique est de compter env­i­ron 4 000 tonnes d’étages de fusées inutiles et approx­i­ma­tive­ment 8 000 tonnes de satel­lites, dont la moitié serait non fonc­tion­nelle. La zone la plus encom­brée se situe en orbite basse entre 750 et 1 000 km. On par­le alors d’objets dits LEO pour low Earth orbit. Dans cette zone, la généra­tion de débris par col­li­sion est supérieure à la part de destruc­tion naturelle par retombée dans l’atmosphère. Cela provoque une réac­tion en chaîne que l’on appelle le syn­drome de Kessler.

Y a‑t-il des orbites où le syndrome de Kessler est trop important et condamne les possibilités d’y lancer des satellites ?

Pas vrai­ment, mais il y a l’exemple de l’orbite à 800 km où l’on envoy­ait préféren­tielle­ment les satel­lites d’observation. À cette alti­tude, il y a mille fois plus de débris que de satel­lites act­ifs. Cette zone « pour­rie », très pol­luée n’est pas inter­dite, et l’on peut tou­jours y envoy­er des satel­lites, mais leur prob­a­bil­ité de destruc­tion pré­maturée par col­li­sion est de 10 % aujourd’hui. Mais la sit­u­a­tion se dégrade…

Source : Masse des objets en orbite (NASA ODPO).

Dans son dernier rap­port de jan­vi­er 20253, l’IADC (Inter-Agency Space Debris Coor­di­na­tion Com­mit­tee), soit l’agence qui regroupe les treize agences spa­tiales majeures du monde4, con­clut que « la pop­u­la­tion des débris spa­ti­aux pour­rait dou­bler en moins de 50 ans ». Elle a égale­ment pub­lié une note approu­vée à l’unanimité, que l’on pour­rait résumer ain­si : « Mit­i­ga­tion will not be enough. We need reme­di­a­tion. » Autrement dit : au-delà de la diminu­tion naturelle des objets spa­ti­aux, nous devons met­tre en place des tech­niques de réha­bil­i­ta­tion de l’espace.

En 2021, vous nous parliez notamment des lasers : est-ce toujours d’actualité ?

C’est une tech­nique val­able que l’on peut utilis­er pour retir­er les petits débris par exem­ple, mais il y a un mil­lion de débris de 1 cm, donc on n’a pas fini ! De plus, on par­le ici de gros lasers con­sid­érés comme de l’armement : cela fait vite peur.

Pour sta­bilis­er l’environnement, il faudrait retir­er dix gros débris chaque année avant qu’ils ne se frag­mentent, tout en respec­tant scrupuleuse­ment la régle­men­ta­tion inter­na­tionale en vigueur. La liste des 50 plus gros débris à aller chercher en pri­or­ité a d’ailleurs été pub­liée en 20215. La solu­tion serait donc un chas­seur avec un bras robo­t­ique ou un filet pour cap­tur­er et faire descen­dre le débris jusqu’à sa désor­bi­ta­tion dans le Paci­fique. Mais il y a un vrai frein : si on est tech­nique­ment capa­ble de « tuer » nos pro­pres débris, on serait alors capa­ble d’agir sur des objets spa­ti­aux étrangers… et là il y a une vraie notion de guerre de l’espace qui explique le pro­fond manque d’enthousiasme des financeurs. Surtout que les esti­ma­tions actuelles pour un bras robo­t­ique éboueur en orbite sont autour de 20 mil­lions d’euros, donc plusieurs fois le prix de l’objet spa­tial neuf.

Une question qui émerge est celle de la pollution engendrée par la désorbitation dans les hautes couches de l’atmosphère. Que sait-on aujourd’hui de l’effet de ces désintégrations ?

C’est un des sujets sur lequel je tra­vaille, le Design for non-Demise, ou com­ment con­stru­ire des objets spa­ti­aux qui ne fondent pas du tout à l’entrée dans l’atmosphère. Aujourd’hui, seule 20 % de la masse d’un objet désor­bité se retrou­ve à la sur­face du globe, notam­ment à cause de matéri­aux comme le titane, l’acier inoxyd­able ou le car­bone. Reste le prob­lème des 80 % de la masse restante qui a brulé dans l’atmosphère, libérant des aérosols comme l’alumine [N.D.L.R. : oxyde d’aluminium] ou la suie, qui touchent directe­ment la couche d’ozone. En réal­ité, on ignore encore les con­séquences de ces rejets. Avec l’arrivée des con­stel­la­tions de satel­lites comme Star­link et la mul­ti­pli­ca­tion des opéra­tions spa­tiales, ces pol­lu­tions promet­tent hélas d’être exponentielles.

Propos recueillis par Sophie Podevin

Pour aller plus loin :

1https://​orbitalde​bris​.jsc​.nasa​.gov/​m​o​d​e​ling/[
2https://​orbitalde​bris​.jsc​.nasa​.gov/​m​o​d​e​ling/[
3Rap­port télécharge­able ici : https://​www​.iadc​-home​.org/​d​o​c​u​m​e​n​t​s​_​p​u​b​l​i​c​/​v​i​e​w​/​i​d​/​319#u
4Ital­ie (ASI), France (CNES), Chine (CNSA), Cana­da (CSA), Alle­magne (DLR), Europe (ESA), Inde (ISRO), Japon (JAXA), Corée (KARI), État-Unis (NASA), Russe (Roscos­mos), Ukraine (SSAU), Roy­aume-Unis (UK Space Agency)
5La liste des 50 plus gros débris : https://​www​.sci​encedi​rect​.com/​s​c​i​e​n​c​e​/​a​r​t​i​c​l​e​/​a​b​s​/​p​i​i​/​S​0​0​9​4​5​7​6​5​2​1​0​00217

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