Face cachée de la Lune : les premiers échantillons arrivent sur Terre
- La sonde chinoise Chang'E 6, lancée le 3 mai 2024, a ramené sur Terre les premiers échantillons de la face cachée de la Lune.
- Elle transportait DORN, premier instrument français actif sur la surface de la Lune ; sa mission était de mesurer le radon (gaz radioactif produit en continu dans le régolithe).
- L’un des objectifs de Chang’E est de comprendre la différence d’activité volcanique sur la face visible de la Lune (plus importante) et sa face cachée.
- Dans une région de la face cachée, il y aurait eu au moins deux évènements volcaniques, survenus à des âges différents de ceux sur la face visible.
- Des analyses affineront des observations réalisées par télédétection, qui ont montré les spécificités géophysiques, de composition chimique et minéralogique de la face cachée.
La sonde chinoise Chang’E 6, lancée le 3 mai 20241, a ramené sur Terre les premiers échantillons de la face cachée de la Lune. La mission transportait plusieurs charges utiles internationales, dont l’instrument français DORN2 (Detection of Outgassing RadoN). Il s’agit du premier instrument français actif déployé à la surface de la Lune et sa mission était de mesurer le radon, un gaz radioactif produit en continu dans le régolithe, dans le but d’étudier l’origine et la dynamique de la fine atmosphère (appelée exosphère) qui entoure notre satellite. Il avait aussi pour objectif de mieux comprendre les variations spatiales et temporelles de ce gaz, qui avaient été détectées depuis l’orbite par les missions Apollo 15–16, Lunar Prospector et Kaguya-SELENE, et qui suggéraient la présence d’une activité de dégazage très localisée, possiblement corrélée à certains évènements sismiques.
DORN a été conçu et construit à l’IRAP3, l’Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie, et est un projet géré par le Centre national d’études spatiales (CNES) en collaboration avec le CNRS, l’Université Toulouse III – Paul Sabatier, et l’Institut de géologie et de géophysique de l’Académie des sciences de Chine (IGG-CAS). Cet instrument est la première collaboration entre la France et la Chine dans le domaine de l’exploration planétaire. Ses découvertes nous aideront à mieux comprendre la migration des gaz à la surface de la Lune (corps sans atmosphère qui nous est le plus accessible) et plus généralement, les interactions et échanges entre surfaces planétaires et leur environnement spatial.
Une asymétrie entre la face visible et la face cachée de la Lune
Les échantillons de la nouvelle mission, qui a duré 54 jours, sont très différents de ceux collectés par les missions précédentes, qui provenaient tous de la face visible de la Lune. Chang’E s’est posée le 2 juin 2024 sur un site présélectionné (le cratère Apollo) à l’intérieur d’un très large bassin d’impact de 2 400 km de diamètre, dénommé le South Pole-Aitken (SPA), qui a peut-être exposé en surface des roches du manteau lunaire. Le site choisi est recouvert de coulées de lave (basaltes) refroidies, de teinte sombre, qui ressemblent aux mers lunaires que l’on retrouve principalement sur la face visible de la Lune (elles aussi d’origine volcanique), mais qui sont très peu présentes sur sa face cachée.

L’un des objectifs de la récupération d’échantillons de cette région est de comprendre l’asymétrie entre les faces visibles et cachées de la Lune, et notamment de comprendre pourquoi l’activité volcanique y a été différente. Les échantillons – plus de 2 kg de régolithe et de roches lunaires – ont été obtenus à l’aide d’une foreuse et d’un bras robotisé5. Ce chargement a ensuite décollé de la surface lunaire, s’est amarré et a été transféré à la capsule de rentrée restée en orbite, avant de retourner sur Terre.
« DORN a enregistré près de 110 heures de données en orbite et 20 heures de données pendant les opérations de surface », explique Pierre-Yves Meslin, responsable scientifique de la mission DORN à l’IRAP. Lui et son équipe travaillent actuellement à l’analyse de ces données.
Des hypothèses sur l’activité volcanique de la face cachée de la Lune
Du côté des scientifiques chinois, les premières analyses des échantillons réalisées en laboratoire par datation radiométrique, basée sur des mesures d’isotopes du plomb, du rubidium et du strontium, indiquent la présence de fragments de roches basaltiques datant d’il y a 4,2 et 2,8 milliards d’années, et révélant donc l’existence d’au moins deux évènements volcaniques dans cette région.
L’activité volcanique qui a eu lieu sur la face cachée semble ainsi s’être produite à des âges différents du volcanisme caractéristique de la face visible, qui date principalement d’il y a plus de 3 milliards d’années, d’après les estimations basées sur l’analyse des échantillons lunaires ramenés par les missions américaines « Apollo » et soviétiques « Luna ». Ces nouvelles découvertes ont été publiées par Zexian Cui et ses collègues de l’Institut de géochimie de Guangzhou de l’Académie chinoise des sciences dans la revue Science6 ; et par l’équipe de Qian Zhang de l’Institut de Géologie et de Géophysique de Beijing dans la revue Nature7. Cette dernière étude date certains échantillons à 4,2 milliards d’années.
Les chercheurs pensent que la fine croûte située sous le bassin SPA a pu permettre au volcanisme de persister dans cette région. Ils ont en effet pu montrer que ce n’était probablement pas la teneur en éléments radioactifs (uranium, thorium, potassium-40), fortement enrichis dans certaines plaines volcaniques de la face visible, qui a dû être responsable de ce volcanisme. Mais la relative rareté des traces de volcanisme sur la face cachée reste à expliquer.

Les échantillons non basaltiques également collectés permettront, eux, de mieux comprendre la formation de la croûte lunaire primaire (hauts plateaux clairs caractéristiques de la face cachée de la Lune), l’effet des processus d’impact sur cette croûte, et peut-être d’accéder à la composition du manteau lunaire, possiblement exposé dans le bassin SPA.
« Ces analyses permettront d’affiner des observations antérieures réalisées par télédétection qui ont montré que la face cachée de la Lune est différente, en termes de géophysique (différences d’épaisseur de la croûte, par exemple) et de composition chimique et minéralogique des roches, de celle de la face visible », explique Pierre-Yves Meslin. Par exemple, les quantités de potassium, de terres rares et de phosphore (connus ensembles sous le nom de KREEP) diffèrent d’un côté à l’autre de la Lune.
L’impact géant qui a créé le bassin de SPA pourrait en être la cause, puisqu’il était suffisamment puissant pour redistribuer les matériaux lunaires. Par exemple, il aurait pu transporter des matériaux riches en KREEP vers le côté visible de la Lune, laissant le manteau du côté caché appauvri en KREEP.