Comment les humains vivront-ils sur la Lune ?
- Le programme de retour sur la Lune de 2024-2025 s’inscrit dans la durée : l’objectif est de créer une station spatiale et une base lunaires habitables à long terme.
- Pour ce faire, les humains doivent s’adapter aux contraintes du milieu lunaire : gravité 6x plus faible, températures extrêmes, météoroïdes impromptus…
- L’innovation robotique, technologique et industrielle est donc cruciale pour assurer l’installation humaine sur la Lune.
- Ce programme requiert de grandes quantités d’énergie, qui pourraient être assurées par des systèmes d’alimentation à fission nucléaire.
- Les humains retournent aussi sur la Lune pour miner des ressources comme l’oxygène, le silicium, l’aluminium, le fer ou l’hélium-3.
16 novembre 2022. L’immense lanceur SLS décolle du complexe de lancement 39 du Centre Spatial Kennedy, en Floride avec comme mission d’envoyer autour de la Lune le nouveau vaisseau spatial Orion, développé par l’Agence spatiale américaine (module habitable) et l’Agence spatiale européenne (module de service).
Cette mission, nommée Artemis I, a été un franc succès mais n’a constitué que la première étape pour préparer le retour des humains vers la Lune en 2024 (survol par le vaisseau Orion habité, cette fois-ci) et 2025 (où un homme et une femme devraient fouler à nouveau le sol lunaire).
Mais, contrairement au programme Apollo des années 70, ce nouveau programme de retour habité sur la Lune s’inscrit dans la durée. En effet, sont déjà prévues la mise en orbite prochaine d’une station spatiale lunaire similaire à la Station Spatiale Internationale (plusieurs modules sont déjà construits) et l’installation progressive, au sol, d’une base lunaire, d’abord visitée ponctuellement par les astronautes mais dont l’objectif à terme est d’être habitée en permanence.
Pour mettre en œuvre cet ambitieux programme, il est nécessaire de s’adapter au milieu hostile de la Lune et de développer des installations capables de maintenir une zone habitable dans ce qui est l’un des environnements les plus extrêmes que l’humains ait jamais connu. Parlons aujourd’hui des défis technologiques et industriels qui se profilent sur la Lune pour ces prochaines décennies.
Un environnement hostile à apprivoiser
Pour maintenir un habitat stable et sûr, il faut commencer par analyser l’environnement dans lequel on veut s’installer et connaître les contraintes qu’il va faire peser sur les constructions et les personnes. Comme la Lune est plus petite que la Terre, sa masse est plus faible. La gravité lunaire est ainsi 6 fois plus faible que la gravité terrestre : tous les calculs d’architecture, de structures et de résistance des matériaux sont alors à revoir en profondeur.
De plus, la Lune a une rotation très lente. Là-bas, une journée dure environ 2 semaines terrestres, tout comme la nuit. Et sans atmosphère pour homogénéiser les températures entre le côté éclairé et le côté sombre, les températures varient de 120 °C le jour jusqu’à ‑250 °C la nuit ! Sans compter que sur la Lune, les météoroïdes arrivent intacts et à pleine vitesse jusqu’au sol.
Enfin, il faut prendre en compte l’irradiation permanente de la surface lunaire par les rayons cosmiques, ce flux de particules dont une dose excessive peut provoquer brûlures, stérilité ou apparition de cancers.
Plusieurs options ont été étudiées pour contrer ces effets. Il a par exemple été envisagé d’utiliser d’anciens tunnels de lave, présents juste en-dessous de la surface de la Lune, pour y bâtir un environnement protégé, à l’abri des conditions extérieures (voir illustration ci-dessous). Mais le programme Artemis prévoit aujourd’hui de s’établir près du pôle Sud lunaire, où il n’y a pour l’instant pas de traces de ces vastes tunnels souterrains.
Une nouvelle industrie spatiale en devenir
Les projets de base lunaire envisagent des activités de surface, nécessitant donc de prendre en compte ces conditions lunaires particulières. En 2016, l’Agence spatiale européenne présentait notamment son concept de « Moon village ». L’idée était de lancer en surface des modules gonflables que des robots viendraient recouvrir d’une épaisse couche de béton développé sur place à partir du régolithe lunaire.
Les structures gonflables ne sont pas nouvelles dans le secteur spatial. Un module gonflable appelé BEAM (Bigelow Expandable Activity Module) a même été testé et installé sur la Station spatiale internationale en 2016. La startup française Spartan Space développe à ce titre une solution d’habitat gonflable et mobile pouvant servir de camp de base temporaire lors d’expéditions loin de la base principale.
Le village lunaire européen repose aussi sur l’utilisation massive de robots-imprimantes 3D capables de récolter le régolithe lunaire, puis de le mélanger à diverses colles avant de projeter la pâte résultante sur les modules gonflables pour construire la couche protectrice qui doit garantir la sécurité des astronautes.
L’industrie robotique aura un rôle important à jouer sur la Lune.
Car l’industrie robotique aura un rôle très important à jouer sur la Lune. Dans un endroit où le moindre pas représente un risque mortel, il est probable que les robots seront utilisés pour quantité d’activités de surface. Mais il reste beaucoup de problèmes à régler avant de pouvoir déployer des flottilles de robots lunaires agiles et efficaces.
Entre la poussière de Lune, électrostatique et très abrasive, qui s’insère dans tous les rouages et colle à toutes les surfaces ; et l’impossibilité d’utiliser des lubrifiants classiques qui, dans le vide de l’espace, sèchent ou s’évaporent, il reste beaucoup de progrès à faire et d’innovations à trouver.
Autre point fondamental : l’alimentation en énergie. En s’installant près des pôles, l’avantage pour le projet Artemis est d’avoir un Soleil toujours présent, au ras de l’horizon, ce qui permettrait de déployer de grandes quantités de panneaux solaires sur les flancs exposés des cratères. Mais au fur et à mesure que cette base se développera, il faudra certainement compléter cet apport d’électricité par de petites centrales nucléaires compactes. En juin 2022, la NASA et le Department of Energy (DoE) sélectionnaient justement 3 propositions de systèmes d’alimentation à fission nucléaire : cette dernière pourrait être prête à être lancée d’ici la fin de la décennie pour une démonstration sur la Lune.
Mais qu’est-ce qui pourrait consommer autant d’énergie ?
Les activités de minage, par exemple, qui sont l’une des raisons du retour des humains sur la Lune. La ressource principale est l’eau, bien sûr, qu’on retrouve en grandes quantités sous forme de glace au fond des cratères des pôles lunaires. Cette eau servira aussi bien à l’alimentation et à l’agriculture locale qu’à la fabrication de carburant (sous forme d’oxygène et d’hydrogène liquide) pour les fusées qui redécolleront depuis la Lune.
Mais le sol lunaire est potentiellement riche en autres ressources immédiatement intéressantes pour l’industrie minière, comme l’oxygène et le silicium, présents en grandes quantités, mais aussi différents métaux comme l’aluminium ou le fer. À plus long terme, l’industrie minière lunaire pourrait s’intéresser à l’hélium 3, nécessaire pour les futures technologies de réacteurs à fusion thermonucléaires.
Si les humains veulent rester sur notre satellite pendant de longues durées, d’autres technologies et d’autres industries devront être développées pour s’adapter au milieu lunaire.
Médecine, agriculture et biotechnologies seront cruciales pour l’avenir, mais tout cela viendra dans un second temps, une fois qu’il aura été prouvé que la présence humaine dans ce milieu extraterrestre est réellement possible.
Alors, se développera peut-être une dernière industrie, poids-lourd qui occupe près de 7 % du PIB mondial : le tourisme. Que ce soit en survol, en orbite ou au sol, de courte ou de longue durée, la Lune pourrait devenir la destination incontournable du siècle prochain…