Chercher l’absence plutôt que la présence de certains composés chimiques dans l’atmosphère des exoplanètes (planètes en orbite autour d’étoiles autres que le Soleil) pourrait-il être notre meilleure chance de trouver de l’eau liquide – et ainsi peut-être même de la vie – sur ces mondes lointains ?
C’est ce que proposent des chercheurs du MIT et de l’Université de Birmingham, qui ont montré que si l’atmosphère d’une planète extrasolaire terrestre (rocheuse) contient beaucoup moins de dioxyde de carbone (CO2) que celle d’autres planètes du même système solaire, cela pourrait indiquer la présence d’eau liquide à la surface de cette planète. Une telle « signature » chimique devrait être facilement détectable avec le télescope spatial James Webb (JWST) de la NASA, ce qui n’a pas été le cas avec les observatoires et les télescopes jusqu’à présent.
À ce jour, les astronomes ont découvert plus de 5 000 planètes en dehors de notre système solaire. Autre prouesse : depuis plus de vingt ans, ils sont en mesure d’évaluer si une planète se trouve dans une zone « habitable ». Mais ils ne peuvent pas encore déterminer si elle serait réellement capable d’abriter la vie.
Dans notre système solaire, les chercheurs détectent la présence d’océans liquides, par exemple, en recherchant des « éclats » de lumière solaire réfléchis par les surfaces liquides. C’est ainsi qu’ils sont parvenus, par exemple, à observer de grands lacs sur Titan, la plus grande lune de Saturne. Il sera toutefois difficile de faire de même pour les exoplanètes, même avec des télescopes avancés comme le JWST.
Des systèmes solaires comme le nôtre ?
Une équipe dirigée par Julien de Wit du MIT (États-Unis) et Amaury Triaud de l’Université de Birmingham (Royaume-Uni), vient d’appliquer aux exoplanètes ce que nous savons des niveaux du CO2 dans l’atmosphère des planètes terrestres de notre propre système solaire. Sur Terre, la majeure partie du CO2 de notre atmosphère a été dissoute dans les océans et s’est progressivement enfouie dans la croûte terrestre (sur de très longues périodes géologiques). Notre planète est donc très différente de Vénus, dont l’atmosphère contient plus de 95 % de CO2. La Terre contient autant de CO2 que Vénus, mais ce CO2 n’est pas « visible », ce qui montre à quel point le processus de stockage du CO2 dans la croûte terrestre a été efficace.
« Nous proposons qu’un processus similaire sur les exoplanètes permette aux astronomes de déduire la présence d’eau liquide sur celles-ci, explique Amaury Triaud. De telles planètes seraient plus pauvres en CO2 atmosphérique que leurs voisines non-habitables ».
La stratégie proposée par les chercheurs serait la plus efficace pour les systèmes solaires comme le nôtre, c’est-à-dire ceux dans lesquels plusieurs planètes terrestres, toutes à peu près de la même taille, orbitent relativement près les unes des autres autour de leur étoile hôte. C’est le cas de TRAPPIST‑1, un système de sept planètes, situé à 40 années-lumière de la Terre – ce qui est relativement proche en termes astronomiques.
Tout d’abord, ils confirmeraient que les planètes possèdent bien une atmosphère. Pour ce faire, les experts rechercheraient la présence de CO2 à l’aide du JWST, le seul télescope actuellement capable de mesurer le contenu chimique de l’atmosphère des exoplanètes rocheuses. Le CO2 absorbe fortement la lumière dans la partie infrarouge du spectre électromagnétique et pourrait donc être facilement détecté par le télescope. Ils compareraient ensuite la teneur en CO2 des différentes planètes du système pour déterminer si l’une d’entre elles contient beaucoup moins de CO2 que les autres. Des observations ultérieures permettraient de confirmer l’ampleur de ce déficit, mais aussi de savoir si ce dernier est dû à la biologie (biomasse enfouissant le carbone) ou à la géologie (le CO2 se dissolvant dans l’eau).
Des conditions similaires à celles de la Terre sur des mondes lointains ?
Alors que nous découvrons de plus en plus d’exoplanètes, il n’est pas seulement important de savoir si leur taille et leur masse sont similaires à celles de la Terre. Nous aimerions également savoir si les conditions qui règnent à leur surface sont également similaires. « En mesurant des quantités réduites de CO2 sur les planètes voisines d’un système extrasolaire, nous saurions avec plus de certitude si ces planètes ont des conditions de surface similaires à celles de la Terre, avant commencer la recherche de preuves d’activité biologique proprement dit », explique Amaury Triaud.
« Le Graal de la science des exoplanètes est de trouver des mondes habitables autres que la Terre et des signes de vie, ajoute Julien de Wit. À cette fin, nous nous sommes traditionnellement concentrés sur la recherche d’un signal supplémentaire provenant d’une planète donnée : un reflet venant des océans ou la signature d’absorption d’un gaz spécifique (l’oxygène par exemple). Mais toutes ces caractéristiques sont restées jusqu’à présent hors de portée des observatoires, même les plus récents. »
« Nous insistons ici sur le fait qu’il ne s’agit pas seulement de rechercher ce qui a été ajouté par la vie ou la présence d’eau, mais aussi (et peut-être surtout) ce qui a été enlevé par la vie ou la présence d’eau, ajoute-t-il. Ce n’est qu’en examinant ‘l’espace négatif’ (l’appauvrissement) créé par l’un ou l’autre que nous pouvons permettre la recherche d’habitats et de vie avec la technologie actuelle (c’est-à-dire dans les quelques années à venir pour un système comme TRAPPIST‑1). C’est dire la puissance de ce simple changement de définition/perspective ».
Les chercheurs affirment qu’ils vont également continuer à rechercher des mondes tempérés rocheux autres que ceux de TRAPPIST‑1 vers lesquels ils pourraient diriger le JWST. « Pour cela, nos télescopes au Chili, aux îles Canaries et au Mexique, un réseau appelé SPECULOOS, sont essentiels. En fait, ces télescopes commencent déjà à trouver de nouvelles exoplanètes rocheuses », révèlent-ils.
Propos recueillis par Isabelle Dumé
Références :
Atmospheric carbon depletion as a tracer of water oceans and biomass on temperate terrestrial exoplanets, Nature Astonomy 8 17–29 (2024)