« Chercher la vie sur Mars, c’est chercher la vie primitive sur Terre »
Polytechnique Insights : Les missions spatiales vers Mars se multiplient. Pourquoi la Planète rouge suscite-t-elle tant d’intérêt ?
Juliette Lambin : On en parle beaucoup en ce moment, car les missions vers Mars coïncident dans le temps. La raison en est que la fenêtre de lancement est optimale tous les deux ans et elle ne dure qu’une quinzaine de jours.
Cela dit, la planète Mars est un objet d’étude majeur des sciences de l’Univers. Elle est plus petite mais s’est formée en même temps que la Terre. Elle a eu au démarrage des conditions assez similaires à celles qui régnaient sur notre planète : une atmosphère dense, de l’eau liquide, un champ magnétique à grande échelle ; autrement dit, les ingrédients nécessaires à l’émergence d’une forme de vie. Il y a plus de 3,5 milliards d’années, Mars a ensuite perdu tout cela et s’est pratiquement figée dans le temps. Elle est donc restée dans l’état où était la Terre plus ou moins au moment où la vie est apparue.
Sur le plan scientifique, ce que l’on recherche sur Mars ce sont des traces de vie fossiles, traces que l’on ne peut pas trouver sur Terre car il n’existe pas d’endroit aussi ancien n’ayant pas été transformé par l’érosion, la tectonique des plaques, colonisé par la vie contemporaine, etc. Chercher des traces de vie sur Mars, c’est chercher d’éventuelles traces de la vie primitive sur Terre ! Mars est le meilleur objet d’études et le plus accessible pour l’exobiologie, c’est-à-dire l’étude et la compréhension de tout ce qui peut mener à l’apparition de la vie.
Le but de ce programme est de prélever et de rapporter sur Terre des échantillons du sol martien pour les analyser avec les moyens terrestres.
En quoi la mission Mars Sample Return et l’arrivée du rover Perseverance sur Mars contribuent-elles à ces études ?
L’astromobile, le rover Perseverance est la première de plusieurs missions du programme Mars Sample Return, porté par les Américains en association avec l’Europe. Le but de ce programme est de prélever et de rapporter sur Terre des échantillons du sol martien pour les analyser avec les moyens terrestres, cela se fera autour de 2030. Jusqu’à présent, on a surtout mené des missions en orbite avec des satellites puis des explorations robotiques avec les roversqui se sont posés. Ces missions ont décrit la topographie, la composition de l’atmosphère et la géologie de la surface de Mars, elles ont détecté des calottes de glace, identifié des structures géologiques qui font penser à du ruissellement, et donc à de l’eau liquide qui aurait coulé sur Mars.
Les rovers jumeaux Spirit et Opportunity, lancés en 2003 dans le cadre de la mission Mars Exploration Rover, ainsi que le rover Curiosity de la mission Mars Science Laboratory lancé fin 2011, ont changé la donne car ils pouvaient se déplacer. Outre l’analyse du climat, Curiosity avait pour principal objectif de déterminer l’habitabilité passée de Mars à partir de l’analyse des roches et des minéraux. Le rover Perseverance est plus autonome que les rovers précédents et sa mission est différente. Non seulement il va chercher des biosignatures éventuelles, mais il va aussi prélever des échantillons, puis les déposer dans des tubes scellés dans plusieurs endroits. Ils seront ensuite récupérés puis rapportés sur Terre où ils seront analysés.
Pourquoi ces prélèvements ne peuvent-ils pas être analysés directement sur Mars ?
Du fait des contraintes de masse, de volume et d’autonomie, un rover martien emporte avec lui des instruments très sophistiqués mais forcément miniaturisés et en petit nombre, 7 sur Perseverance. La recherche de la vie, la datation des roches, l’analyse fine des minéraux demandent des instruments qu’il n’est pas envisageable d’envoyer ou d’utiliser sur Mars. Certaines expériences de biologie ou de biochimie supposent tellement de manipulations et d’étapes que seuls des femmes et des hommes peuvent les effectuer, et seuls des équipements terrestres offrent les niveaux de sensibilité indispensables.
Pour analyser les échantillons rapportés, il convient d’assurer une stricte étanchéité avec l’environnement terrestre. Ces échantillons seront placés en quarantaine dans des laboratoires de haute sécurité biologique (de type P4) et protégés de toute contamination biologique ou chimique par des composés terrestres. Les premières études en quarantaine chercheront aussi à détecter une éventuelle forme de vie martienne ou des éléments portant un risque biologique.
Quel est le rôle du CNES dans le programme Mars Sample Return ?
Le CNES est responsable de l’ensemble de la contribution française à ce programme en coopération avec la NASA. Il travaille en étroite collaboration tant avec les scientifiques du CNRS, qui développent les instruments scientifiques et étudient les données issues des expériences, qu’avec les partenaires industriels. À Toulouse, le CNES abrite le FOCSE pour « French Operation Center for Science and Exploration ». Ce centre, qui opère déjà sur les équipements des rovers de la précédente génération, notamment la caméra ChemCam (CHEMistry CAMera) et SAM (Sample Analysis at Mars), assure l’exploitation de l’instrument SuperCAM.
Chaque jour, l’équipe de Toulouse analyse les données reçues la veille et, après coordination avec les personnes en charge du programme au Jet Propulsion Laboratory (JPL), à Pasadena en Californie, elle programme les expériences menées par les instruments franco-américains à bord de Curiosity et de Perseverance. Avec des temps de transmission entre la Terre et Mars qui varient entre 4 et 20 minutes et des visibilités parcellaires, on ne télécommande pas directement les rovers martiens. Leur pilotage se fait par l’envoi quotidien de programmes qui sont ensuite déroulés automatiquement. Les programmes sont écrits par les équipes de chaque instrument puis vérifiés et assemblés au JPL, qui les envoie. On travaille à l’heure de la côte ouest américaine. Même si on commence souvent à 10 heures du soir pour finir à 4 heures du matin, c’est un télétravail fantastique que de piloter, depuis Toulouse, un robot sur Mars.