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Mars planet with glowing sun on space
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BepiColombo : les révélations de la mission Mercure

Lina Hadid
Lina Hadid
astrophysicienne et chercheuse au Laboratoire de Physique des Plasmas de l'École polytechnique (IP Paris)
En bref
  • La mission spatiale BepiColombo arrivera en 2026 à destination de Mercure, la plus petite planète de notre système solaire et la plus proche du Soleil.
  • L’existence d’un champ magnétique autour de Mercure est surprenante : bien que faible, il est suffisamment puissant pour dévier les vents solaires.
  • MESSENGER 3 a grandement fait avancer les recherches sur Mercure, mais n’a cartographié jusqu’à présent que 45 % de sa surface.
  • Le 3ème survol de Mercure par BepiColombo a notamment permis de caractériser la nature des particules présentes dans la magnétosphère et leur mode de déplacement.
  • Ce survol a également révélé de nouvelles informations qui aideront à mieux comprendre l’interaction entre le vent solaire et les magnétosphères des planètes.

La mis­sion spa­tiale Bepi­Colom­bo1 arrivera en 2026 à sa des­ti­na­tion, Mer­cure, la plus petite planète de notre sys­tème solaire et la plus proche voi­sine du Soleil. Au cours de son périple de 7,9 mil­liards de kilo­mètres, elle passera plusieurs fois à prox­im­ité de la planète pour ajuster sa vitesse et sa tra­jec­toire afin d’être « cap­turée » sur son orbite le moment venu.

Le champ mag­né­tique intrin­sèque de Mer­cure est faible, avec une force dipo­laire près de 100 fois inférieure à celle de la Terre. Cepen­dant, l’ex­is­tence d’un champ mag­né­tique, même faible, sur Mer­cure, est en soi sur­prenante. Ce dernier est néan­moins suff­isam­ment puis­sant pour dévi­er le vent solaire – un flux de par­tic­ules, chargées prin­ci­pale­ment d’électrons et de pro­tons, éjec­tées de la haute atmo­sphère du Soleil (autrement dit de sa couronne). Ce « boucli­er », ou cette mag­né­tosphère, est sim­i­laire à la mag­né­tosphère ter­restre. La dif­férence est que les proces­sus fon­da­men­taux qui libèrent du plas­ma et de l’én­ergie se pro­duisent beau­coup plus rapi­de­ment dans la mag­né­tosphère de Mercure.

Mer­cure a déjà été sur­volée à plusieurs repris­es. La pre­mière mis­sion, Mariner 102, a effec­tué trois sur­vols et a décou­vert des traces d’atomes lourds près de son exosphère – une atmo­sphère fine com­posée d’atomes et de molécules qui ont été expul­sés de la sur­face de la planète. Plus tard, des téle­scopes ter­restres ont détec­té à dis­tance une sélec­tion d’ions, dont le sodi­um (Na+), le potas­si­um (K+) et le cal­ci­um (Ca+), qui provi­en­nent prob­a­ble­ment aus­si de la planète elle-même.

Mais c’est la mis­sion MESSENGER3 qui a réelle­ment changé notre vision de Mer­cure. Elle a notam­ment per­mis d’obtenir de nom­breuses infor­ma­tions impor­tantes sur le plas­ma ion­ique de sa mag­né­tosphère. Ce plas­ma est un gaz chaud ion­isé con­tenant des ions d’hy­drogène et d’héli­um (II) (He2+), provenant du vent solaire et d’e­spèces plus lour­des comme du He+, du O+  et du Na+.

MESSENGER n’a cepen­dant car­tographié que 45 % de la sur­face de la planète et a donc lais­sé de nom­breuses ques­tions en sus­pens. Et notam­ment com­ment la mag­né­tosphère de la planète inter­ag­it avec le vent solaire.

Échantillonnage des particules de la magnétosphère

Les chercheurs présen­tent aujour­d’hui les résul­tats du troisième sur­vol de Mer­cure par Bepi­Colom­bo, qui a eu lieu le 19 juin 2023, et en par­ti­c­uli­er les résul­tats provenant de la suite instru­men­tale MPPE (Mer­cury Plas­ma Par­ti­cle Exper­i­ment). Ceux-ci étaient act­ifs sur le Mer­cury Mag­ne­tos­pher­ic Orbiter (Mio), l’orbiteur sous la respon­s­abil­ité du Japan Aero­space Explo­ration Agency (JAXA). Mio est l’un des deux orbi­teurs sci­en­tifiques qui seront cap­turés dans l’or­bite de Mer­cure en 2026, l’autre étant le Mer­cury Plan­e­tary Orbiter (MPO), dirigé par l’A­gence spa­tiale européenne (ESA). Ensem­ble, ces deux son­des spa­tiales fourniront une image com­plète de l’en­vi­ron­nement autour de Mercure.

Les sur­vols sont très rapi­des et tra­versent la mag­né­tosphère de Mer­cure en env­i­ron une demi-heure (ter­restre), pas­sant du cré­pus­cule sur la planète à son aube. Lors du troisième sur­vol, la sonde spa­tiale a pu s’ap­procher jusqu’à 235 km au-dessus de la sur­face cratérisée de Mer­cure. Au cours de ce sur­vol, Mio a car­ac­térisé la nature des par­tic­ules présentes dans la mag­né­tosphère et la façon dont elles se dépla­cent. « Ces mesures nous per­me­t­tent de trac­er claire­ment le paysage mag­né­tosphérique pen­dant la brève assis­tance grav­i­ta­tion­nelle », explique Lina Hadid, qui est actuelle­ment chargée de recherche au CNRS et tra­vaille au Lab­o­ra­toire de Physique des Plas­mas (LPP) à l’École poly­tech­nique (IP Paris). Lina Hadid est la respon­s­able sci­en­tifique de l’un des instru­ments du con­sor­tium MPPE, le spec­tromètre de masse ion­ique (MSA), dont la par­tie optique a été dévelop­pée au LPP. Elle et ses col­lègues ont pub­lié leurs derniers résul­tats dans Nature, Com­mu­ni­ca­tions Physics.

Les chercheurs affir­ment avoir observé des « fron­tières » telles que « l’onde de choc » séparant le vent solaire et la mag­né­tosphère de Mer­cure, ain­si que d’autres régions comme le feuil­let de plas­ma, qui est une région d’ions plus énergé­tique, et plus dense, située au cen­tre de la queue mag­né­tique. « Ces deux résul­tats étaient quand même atten­dus », explique Lina Hadid.

À la découverte des nouvelles surprises de Mercure

« Pour­tant, il y a eu beau­coup de nou­velles sur­pris­es », ajoute-t-elle. Par exem­ple, une couche aux bass­es lat­i­tudes (Low Lat­i­tude Bound­ary Lay­er), définie par une région de plas­ma tur­bu­lent à la lim­ite de la mag­né­tosphère. Cette couche con­tient des par­tic­ules avec une gamme d’én­er­gies allant jusqu’à 40 keV/e, beau­coup plus large que celles jamais observées aupar­a­vant sur Mercure.

Un autre résul­tat impor­tant : l’ob­ser­va­tion d’ions hydrogène chauds énergé­tiques (H+) piégés à basse lat­i­tude et près du plan équa­to­r­i­al de Mer­cure, avec des éner­gies d’en­v­i­ron 20 keV/e. Selon Lina Hadid et ses col­lègues, ce résul­tat ne peut s’ex­pli­quer que par la présence d’un courant annu­laire (courant élec­trique porté par des par­tic­ules chargées piégées dans la mag­né­tosphère), mais d’autres obser­va­tions et analy­ses seront néces­saires pour le con­firmer ou l’in­firmer. S’il est con­fir­mé, ce courant annu­laire sera sim­i­laire à celui de la Terre, qui se trou­ve à des dizaines de mil­liers de kilo­mètres de sa surface.

Enfin, Mio a égale­ment détec­té des ions plas­ma « froids » d’oxygène, de sodi­um avec des sig­na­tures de présence de potas­si­um dont l’én­ergie est inférieure à 50 eV/e lorsqu’il s’est déplacé dans l’om­bre noc­turne de la planète. Ces ions provi­en­nent de la planète elle-même et ont prob­a­ble­ment été éjec­tés lorsque des micrométéorites ont heurté sa sur­face ou lors d’in­ter­ac­tions avec le vent solaire.

Selon les chercheurs, ces nou­veaux résul­tats per­me­t­tront de mieux com­pren­dre com­ment le vent solaire inter­ag­it avec les mag­né­tosphères des planètes en général. Sur Terre, il est impor­tant de com­pren­dre ce phénomène, car les par­tic­ules chargées du vent solaire per­turbent la mag­né­tosphère de notre planète lorsqu’elles entrent en col­li­sion avec elle. Ces per­tur­ba­tions, con­nues sous le nom de « météorolo­gie spa­tiale », peu­vent endom­mager les satel­lites, affecter les tech­nolo­gies de com­mu­ni­ca­tion et les sig­naux GPS, et même provo­quer des pannes d’élec­tric­ité au sol ou en altitude.

Bepi­Colom­bo a effec­tué avec suc­cès son qua­trième sur­vol en sep­tem­bre 2024 et s’est approchée au plus près de la planète, à env­i­ron 165 km de sa sur­face. À cette occa­sion, elle a cap­turé les meilleures images de cer­tains des plus grands cratères d’im­pact sur Mer­cure. Elle a effec­tué un cinquième et un six­ième sur­vol de la planète, respec­tive­ment le 1er décem­bre et le 8 jan­vi­er 2025. La mis­sion est prévue pour dur­er jusqu’en 2029…

Isabelle Dumé
1Bepi­Colom­bo est une mis­sion con­jointe de l’A­gence spa­tiale européenne (ESA) et de l’A­gence japon­aise d’ex­plo­ration aérospa­tiale (JAXA) visant à explor­er Mer­cure. Elle a été lancée en octo­bre 2018.
2Mariner 10, lancé par la NASA en 1973, a été la pre­mière mis­sion spa­tiale à sur­v­ol­er Mer­cure.
3MESSENGER (Mer­cury Sur­face, Space Envi­ron­ment, Geo­chem­istry and Rang­ing) a été lancée

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