Renouvelables : les rendements varient en fonction du climat
- Selon l'OMM et l'IRENA, le réchauffement climatique influence la production des énergies renouvelables, notamment l'éolien, le solaire et l'hydroélectricité.
- Certaines régions, comme le sud de l'Afrique et l'Asie du Sud-Est, pourraient connaître des difficultés saisonnières pour alimenter leurs réseaux électriques.
- La production hydroélectrique est directement liée aux régimes de précipitations et pourrait diminuer dans les régions soumises à la sécheresse, tout en augmentant aux hautes latitudes.
- Les fluctuations de production éolienne pourraient toucher particulièrement les régions densément peuplées, allant jusqu’à 10 ou 30 % de déclin.
- La clé : l’utilisation d’un bouquet d’énergies renouvelables pour compenser les variations et continuer de décarboner notre production.
Fin 2023, l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) alertent1: « Il est vital de mieux comprendre les facteurs climatiques et leurs interactions avec les ressources renouvelables pour assurer la résilience et l’efficacité des systèmes énergétiques et des transitions associées. » La transition massive vers les énergies renouvelables est indispensable pour contenir le réchauffement climatique lié aux activités humaines : leur capacité totale installée doit passer de 3 870 GW en 2023 à 11 000 GW en 2030 pour limiter le réchauffement à 1,5 °C2.
Mais les deux agences soulignent les retombées du réchauffement climatique lui-même sur la production d’énergie. Parmi les quatre indicateurs considérés, tous sont impactés. Cela concerne les énergies éolienne, solaire, l’hydroélectricité et la demande en énergie. « Il est essentiel que les décideurs politiques anticipent l’avenir des infrastructures énergétiques et des actifs en matière d’énergie, en tenant compte des effets du changement climatique et de la demande croissante qui en résulte », explique dans un communiqué de presse Francesco La Camera, directeur général de l’IRENA. Dans son dernier rapport de synthèse3, le Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat (GIEC) précise que les retombées du changement climatique sur la production d’électricité ne devraient pas compromettre les stratégies d’atténuation à l’échelle globale. En revanche, il souligne que les retombées régionales peuvent être significatives, notamment pour l’éolien et l’hydroélectricité. Des régions comme le sud de l’Afrique et l’Asie du Sud-Est pourraient avoir des difficultés à alimenter leurs réseaux à certaines saisons. À l’inverse, l’Amérique du Sud pourrait considérer la revente de surplus d’énergie.
L’impact mondial de la nébulosité
Penchons-nous tout d’abord sur l’énergie solaire, au potentiel de production et d’expansion le plus important. La production d’électricité est directement liée à l’ensoleillement – variable selon la latitude – et à la présence de nuages. « La nébulosité dépend de la température, de l’humidité et des champs de pression de l’atmosphère, eux-mêmes influencés par le changement climatique », explique Sylvain Cros. En 2022, le facteur de charge4 – c’est-à-dire le rendement – n’a que très peu varié par rapport à la période 1991–2020. L’IRENA observe les changements les plus importants (+3 à +6 %) en Bolivie, au Paraguay et en Argentine, des pays déjà classés parmi ceux recevant le plus d’irradiation solaire. D’ici 2050, une étude publiée dans Nature Sustainability5 identifie un doublement des jours à faible rendement en été dans la péninsule arabique ; et à l’inverse une réduction de moitié de ces jours en Europe du Sud. Pour un scénario intermédiaire d’émissions de gaz à effet de serre (RCP4.5, pour lequel le réchauffement atteint 2,7 °C d’ici la fin du siècle), les changements de production solaire en été en 2050 sont modérés : ‑4 % pour la péninsule arabique, +5 % pour l’Europe centrale, +3 % pour le désert d’Atacama, ‑2 % au sud-est de l’Australie ou au nord-ouest de l’Afrique et +2 % en Chine et en Asie du Sud-Est.
À l’échelle globale, les variations de production liées au changement climatique sont donc très faibles. Il apparaît peu probable que ces variations compromettent la capacité de l’énergie solaire à accompagner la transition énergétique d’après le GIEC. « Les projections montrent que la hausse de température augmente la nébulosité, principalement dans les régions arides », détaille Sylvain Cros. En cause : l’accroissement de l’évaporation de l’eau des sols et des océans, conjugué à une augmentation de la convection qui favorise une montée en altitude et la condensation en nuages. « Mais d’autres facteurs contribuent à la nébulosité, et les modèles sont cette fois beaucoup plus incertains », poursuit le scientifique. Quant aux facteurs socio-économiques, difficile de les anticiper. Les progrès technologiques augmentent le rendement des panneaux photovoltaïques. Sylvain Cros ajoute : « Le taux de déploiement est un autre facteur important : les panneaux solaires sont devenus tellement bon marché que la vitesse de leur déploiement pourrait contrebalancer les effets de la baisse d’irradiation. »
Variations régionales et production éolienne
Autre mode de production d’énergie renouvelable important : l’éolien. En comparant le facteur de charge de l’année 2022 à la période 1991–2020, l’OMM-IRENA notent des changements importants. De nombreux pays européens enregistrent une diminution de 10 % ou plus, et la baisse dépasse 16 % en Amérique centrale et Papouasie-Nouvelle-Guinée. À l’inverse, des hausses de 8 % sont observées en Afrique subsaharienne, Madagascar, Bolivie, Paraguay, Corée ou encore aux États-Unis. Mais les études semblent montrer que la variabilité naturelle du climat (l’alternance des phénomènes El Niño-La Niña par exemple) explique en grande partie ces variations, plutôt que le réchauffement lié aux activités humaines.
« Les changements de température de surface sont bien appréhendés dans les projections climatiques. En revanche, les modifications de la circulation atmosphérique sont beaucoup plus difficiles à modéliser, car de multiples mécanismes peuvent influencer la production éolienne6 », atteste Riwal Plougonven. Résultat : difficile d’identifier un signal clair à grande échelle pour l’avenir. Le GIEC estime que les ressources à long terme en énergie éolienne n’évoluent pas significativement dans les scénarios climatiques futurs. Mais certaines régions pourraient être concernées par des variations importantes, soit d’une année à l’autre, soit au fil des mois. Dans une synthèse regroupant 75 études7, des auteurs relèvent une diminution du potentiel de production à l’ouest des États-Unis pour la deuxième moitié du XXIème siècle, et une tendance à la diminution pour une majeure partie de l’hémisphère Nord (Europe, Russie, Chine). À l’inverse, la production éolienne en Amérique centrale, du Sud, au sud de l’Afrique et en Asie du Sud-Est montre une tendance à la hausse. Dans une étude publiée en février 20248, d’autres auteurs notent des diminutions importantes d’ici 2100 pour le pire scénario d’émissions de GES – d’environ ‑10 % par exemple pour une majeure partie de l’Union européenne et des États-Unis. Ils soulignent que ce déclin touche particulièrement des régions densément peuplées, augmentant les retombées. « L’amplitude de ces changements peut être significative, de l’ordre de 10 à 30 % selon les régions considérées », note Riwal Plougonven. Mais il tempère : « La majorité des études se focalise sur le pire scénario d’émissions de GES (SSP5‑8.5) et des projections pour la fin du siècle. Or ce scénario est peu probable, et l’horizon – même s’il est intéressant – est trop lointain par rapport aux échelles de temps du secteur éolien. »
Concernant l’hydroélectricité, l’indicateur évalué dans le rapport OMM-IRENA montre une réduction en 2022 en Amérique du Sud, Asie de l’Est, Afrique centrale et de l’est et l’ouest de l’Europe. A contrario, une hausse est remarquée au Canada, Mexique, Russie, Inde, Népal, Afrique du Sud, Australie et dans les pays scandinaves. Ces observations sont principalement liées, comme pour celles du solaire, au régime climatique la Niña en place en 2022. La production d’hydroélectricité est en effet directement liée à la disponibilité de l’eau, et est modulée par les températures et l’intensité des précipitations. Quant à l’avenir, une majeure partie des centrales hydroélectriques (61 à 74 %) sont situées dans des régions où des déclins considérables des débits des rivières sont projetés dès 2050. Globalement, il est estimé que les hautes latitudes enregistreront une hausse de 5–20 %, tandis que les régions soumises à la sécheresse subiront une baisse de 5–20 % (cela concerne l’Amérique du Nord et centrale, le sud de l’Europe, le Moyen-Orient, l’Asie centrale et le sud de l’Amérique du Sud).
Des projections importantes pour trouver des solutions
Il est important de considérer ces projections dans les plans de déploiement des énergies renouvelables. Certaines régions du monde pourraient se retrouver dans des situations gagnantes, « profitant » de la hausse de production de plusieurs énergies. À l’inverse, d’autres régions seraient doublement ou triplement affectées. Le rapport OMM-IRENA prend le cas de la région regroupant le Botswana, Mozambique, Namibie, Afrique du Sud et Zimbabwe : en juin 2022, la production solaire était réduite mais la région enregistrait des hausses importantes de production d’hydroélectricité et d’énergie éolienne. Par opposition, en octobre 2022, la plupart des indicateurs étaient à la baisse, mettant en péril l’alimentation en électricité. « L’utilisation d’un bouquet d’énergies renouvelables est clé pour que les variations puissent se compenser », souligne Riwal Plougonven. Enfin, des échanges d’électricité entre régions pourraient atténuer ces effets : par exemple, le potentiel plus important d’énergie éolienne en Amérique du Nord pourrait compenser la réduction au Mexique. L’OMM-IRENA soulignent le rôle des systèmes d’alerte précoce pour sécuriser l’énergie à travers le monde.
Riwal Plougonven conclut : « Il est clair que ces variations liées au changement climatique doivent être considérées pour dimensionner au mieux notre production d’énergies renouvelables, mais cela ne remet pas en cause le déploiement massif et nécessaire de celles-ci pour décarboner notre énergie. » Le dernier effet majeur du climat sur la transition énergétique ? La demande en énergie.