Quelles ressources minières se cachent sous le sol français ?
- Le BRGM va réaliser un inventaire du potentiel en ressources minérales, afin de caractériser les ressources naturellement présentes sur le territoire français.
- Avec cet inventaire, les scientifiques établiront un jeu de données uniforme inédit, puisque lors du dernier inventaire, 30 % des zones pouvant présenter un potentiel minier n’avaient pas été couvertes et de nombreux métaux, aujourd’hui considérés comme critiques, n’étaient pas analysés.
- La technique utilisée, la géophysique aéroportée, est inédite pour cet objectif et cette échelle en France.
- Elle permettra, en combinant trois méthodes (le magnétisme, la spectrométrie gamma et l’électromagnétisme) d’obtenir des données précises rapidement.
- Dans un second temps, des zones d’intérêt ciblées seront analysées plus en détail à l’aide de techniques géochimiques et géophysiques au sol. D’autres techniques innovantes comme l’hydrogéochimie, la biogéochimie ou des acquisitions géophysiques par drone pourront être expérimentées.
La planification écologique présentée en septembre 2023 par le gouvernement comporte de nombreux volets, dont l’un porte sur la sécurisation de l’accès aux matières premières. Lithium, cobalt ou encore nickel sont des éléments indispensables à la transition écologique, dont quelques pays détiennent le monopole. De quelles ressources dispose-t-on sur le territoire français ? Pour répondre à cette question, un nouvel inventaire du potentiel en ressources minérales va être réalisé par le BRGM. Il fait suite au dernier inventaire mené entre 1975 et 1992.
Quels sont les enjeux de ce nouvel inventaire minier ?
Matthieu Chevillard. Durant le précédent inventaire, environ 30 % des zones prospectives (présentant un potentiel minier) n’ont pas été couvertes. Le nouvel inventaire vise à couvrir l’ensemble du territoire métropolitain d’intérêt. Cela concerne les anciens massifs montagneux (Massif armoricain, Massif central, Vosges, Maures, Ardennes, Corse) et les chaînes de montagnes récentes (Alpes et Pyrénées). L’enjeu est de couvrir les zones qui n’ont jamais été étudiées, mais aussi de réévaluer celles déjà couvertes lors du précédent inventaire : nous constituerons ainsi un jeu de données uniforme inédit.
Un autre enjeu important concerne les métaux recherchés. La liste des substances considérées comme « critiques » (dont l’Europe est largement dépendante) s’allonge d’année en année. À l’époque, nombre de ces substances – utilisées dans les énergies renouvelables, les appareils électroniques, etc. – n’avaient pas été analysées : l’enjeu est d’évaluer le potentiel du territoire. Seuls 22 éléments avaient été recherchés, contre une cinquantaine aujourd’hui. La plupart des métaux critiques, comme le lithium, les terres rares, le gallium et le germanium, seront cette fois analysés.
Par rapport au dernier inventaire, de nouveaux instruments vont-ils être utilisés ?
Pierre-Alexandre Reninger. Oui, nous allons nous appuyer sur la géophysique aéroportée, une technique jamais employée pour cet objectif et à cette échelle, en France. Elle apporte des informations sur la nature des roches présentes – possiblement jusqu’à plusieurs kilomètres de profondeur – sans aucune incidence sur le milieu, contrairement aux forages par exemple. C’est un peu l’équivalent d’un examen par IRM.
Nous allons utiliser trois méthodes géophysiques différentes : le magnétisme, la spectrométrie gamma et l’électromagnétisme. Chacune mesure différentes propriétés du sous-sol, qui renseignent les géologues sur sa structure géologique. Les instruments sont embarqués à bord d’un avion pour les zones plates ou vallonnées ou d’un hélicoptère au-dessus des reliefs. Le système électromagnétique que nous utilisons présente une résolution élevée unique au monde : il a été développé par l’Université d’Aarhus au Danemark et est mis en œuvre par la société SkyTEM. Il se présente sous la forme d’une grande boucle de 300 m2 que nous faisons voler à 50 mètres au-dessus du sol. Nous avons déjà validé son utilisation grâce à plusieurs projets en France et dans le monde.
La géophysique donne des indices sur les structures géologiques en profondeur, mais elle doit être complétée par des mesures en surface.
Quels outils seront utilisés pour l’analyse en surface ?
M. C. Un programme de géochimie régionale sur les sédiments de ruisseaux sera mis en œuvre dans un premier temps. La méthode consiste à prélever des échantillons de sédiments – des particules issues de l’altération des roches – dans de petits cours d’eau. Leur analyse chimique en laboratoire vise à mesurer leur contenu en métaux d’intérêt : 49 éléments chimiques seront mesurés simultanément. Ces données nous renseignent sur la présence d’éventuelles minéralisations, qui devront être étudiées plus précisément par la suite. Nous allons faire de nouveaux prélèvements sur les zones qui n’ont jamais été couvertes, mais aussi réanalyser les échantillons du premier inventaire minier, qui sont en partie précieusement conservés au BRGM.
Cette méthode n’est pas nouvelle, elle a été mise en œuvre lors du premier inventaire. Mais grâce à l’amélioration des techniques analytiques, nous sommes capables de détecter des éléments chimiques dont la concentration est beaucoup plus faible qu’à l’époque du premier inventaire.
Quels sont les avantages des méthodes d’exploration qui vont être employées ?
M.C. En géochimie, les limites de détection sont 100 à 1 000 fois plus faibles depuis l’inventaire minier historique. Nous sommes, par exemple, capables de détecter des concentrations de 0,2 ppm de cuivre ou de nickel, contre 10 ppm à l’époque. Cette amélioration technologique permet également d’analyser de nouveaux éléments métalliques d’intérêt majeur aujourd’hui.
P‑A R. Les trois méthodes géophysiques mises en œuvre renseignent sur des gammes de profondeurs de plus en plus importantes : nous allons obtenir des données précises de la très proche surface jusqu’au premier kilomètre environ. La méthode électromagnétique offre l’énorme avantage de fournir des données en 3D de la structure du sous-sol. Et surtout, les temps d’acquisition sont incomparables aux techniques classiques de géophysique, qui consistent à déployer des instruments au sol. Nous pouvons couvrir des milliers de kilomètres en une semaine !
M.C. Ce sont aussi des méthodes dont le rapport coût/surface d’investigation/valorisation est particulièrement avantageux. Ce premier scan de l’ensemble du territoire métropolitain nécessite un investissement conséquent, mais relativement raisonnable par rapport à l’utilité des données acquises. Ces données participent à une meilleure connaissance du sous-sol et seront utiles à d’autres secteurs : études environnementales, hydrogéologiques, évaluation des risques naturels, ou encore études d’infrastructures pour l’aménagement du territoire.
Pourquoi ces outils n’ont-ils pas été mis en œuvre lors du premier inventaire minier ?
P‑A R. La géophysique aéroportée est une méthode connue depuis le milieu du XXème siècle. En France, plusieurs campagnes ont été réalisées par les industriels pétroliers dans les années 60 à 80 au-dessus des Bassins parisien et aquitain. Puis la France a fortement ralenti ses activités pétrolières et minières, et il y a eu un arrêt net de l’utilisation de cette méthode, contrairement aux grands pays miniers comme l’Australie, le Canada ou la Finlande. La géophysique aéroportée a ensuite été redéployée dans le cadre d’un programme d’acquisition de données d’infrastructure sur le sous-sol. En 1996, la Guyane a été couverte et en 1998 le massif armoricain. Plusieurs acquisitions ont été conduites depuis 2010.
Depuis les premiers levés en géophysique aéroportée, les méthodes informatiques ont fait un énorme bond en avant. Ces développements sont-ils utiles au domaine minier ?
M.C. Lors du premier inventaire minier, les données issues de la géophysique et de la chimie étaient parfois interprétées séparément par les géologues. Maintenant, celles-ci sont interprétées conjointement grâce, par exemple, aux outils de cartographie prédictive innovants développés par le BRGM. Un algorithme d’intelligence artificielle combine l’ensemble des informations – géochimie, géophysique, mais aussi géologie et gisements déjà connus – pour réaliser des cartes de potentiel minéral pour les différentes substances d’intérêt. Nous réfléchissons à la possibilité de dépasser l’analyse cartographique 2D et faire de la prédictivité 3D, en particulier à partir des données géophysiques électromagnétiques.
Finalement, plus de 30 ans après le dernier inventaire, le nouvel inventaire minier ne semble s’appuyer sur aucune innovation de rupture…
M.C. La géophysique aéroportée et la géochimie sont les seules méthodes qui permettent de couvrir de grandes surfaces rapidement, une première étape indispensable au nouvel inventaire. Elles fournissent énormément d’informations ! Dans un second temps, des zones d’intérêt ciblées seront analysées plus en détail à l’aide d’autres techniques. En plus des méthodes géochimiques classiquement mises en œuvre, des outils innovants, parfois encore expérimentaux, pourront alors être employés. Je pense par exemple à la biogéochimie à l’aide des végétaux, ou encore à l’hydrogéochimie.
P‑A R. Cette échelle plus locale est classiquement couverte par des outils au sol, déployés à pied. Actuellement, de nombreuses équipes travaillent à développer des outils fiables de géophysique embarqués sur des drones. Ce domaine est en plein essor, certains outils sont déjà au point (comme le magnétisme), et d’autres sont encore à l’état de prototypes. Les avancées sont tellement rapides que certains seront probablement opérationnels d’ici la mise en œuvre de la 2ème étape de l’inventaire.