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Les ressources naturelles au centre des tensions géopolitiques

Quelles ressources minières se cachent sous le sol français ?

avec Matthieu Chevillard, géologue-métallogéniste au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et Pierre-Alexandre Reninger, géophysicien au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)
Le 14 février 2024 |
6 min. de lecture
Mathieu Chevaillard
Matthieu Chevillard
géologue-métallogéniste au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)
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Pierre-Alexandre Reninger
géophysicien au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)
En bref
  • Le BRGM va réaliser un inventaire du potentiel en ressources minérales, afin de caractériser les ressources naturellement présentes sur le territoire français.
  • Avec cet inventaire, les scientifiques établiront un jeu de données uniforme inédit, puisque lors du dernier inventaire, 30 % des zones pouvant présenter un potentiel minier n’avaient pas été couvertes et de nombreux métaux, aujourd’hui considérés comme critiques, n’étaient pas analysés.
  • La technique utilisée, la géophysique aéroportée, est inédite pour cet objectif et cette échelle en France.
  • Elle permettra, en combinant trois méthodes (le magnétisme, la spectrométrie gamma et l’électromagnétisme) d’obtenir des données précises rapidement.
  • Dans un second temps, des zones d’intérêt ciblées seront analysées plus en détail à l’aide de techniques géochimiques et géophysiques au sol. D’autres techniques innovantes comme l’hydrogéochimie, la biogéochimie ou des acquisitions géophysiques par drone pourront être expérimentées.

La plan­i­fi­ca­tion écologique présen­tée en sep­tem­bre 2023 par le gou­verne­ment com­porte de nom­breux volets, dont l’un porte sur la sécuri­sa­tion de l’accès aux matières pre­mières. Lithi­um, cobalt ou encore nick­el sont des élé­ments indis­pens­ables à la tran­si­tion écologique, dont quelques pays déti­en­nent le mono­pole. De quelles ressources dis­pose-t-on sur le ter­ri­toire français ? Pour répon­dre à cette ques­tion, un nou­v­el inven­taire du poten­tiel en ressources minérales va être réal­isé par le BRGM. Il fait suite au dernier inven­taire mené entre 1975 et 1992.

Quels sont les enjeux de ce nouvel inventaire minier ?

Matthieu Chevil­lard. Durant le précé­dent inven­taire, env­i­ron 30 % des zones prospec­tives (présen­tant un poten­tiel minier) n’ont pas été cou­vertes. Le nou­v­el inven­taire vise à cou­vrir l’ensemble du ter­ri­toire mét­ro­pol­i­tain d’intérêt. Cela con­cerne les anciens mas­sifs mon­tag­neux (Mas­sif armor­i­cain, Mas­sif cen­tral, Vos­ges, Mau­res, Ardennes, Corse) et les chaînes de mon­tagnes récentes (Alpes et Pyrénées). L’enjeu est de cou­vrir les zones qui n’ont jamais été étudiées, mais aus­si de réé­val­uer celles déjà cou­vertes lors du précé­dent inven­taire : nous con­stituerons ain­si un jeu de don­nées uni­forme inédit.

Un autre enjeu impor­tant con­cerne les métaux recher­chés. La liste des sub­stances con­sid­érées comme « cri­tiques » (dont l’Europe est large­ment dépen­dante) s’allonge d’année en année. À l’époque, nom­bre de ces sub­stances – util­isées dans les éner­gies renou­ve­lables, les appareils élec­tron­iques, etc. – n’avaient pas été analysées : l’enjeu est d’évaluer le poten­tiel du ter­ri­toire. Seuls 22 élé­ments avaient été recher­chés, con­tre une cinquan­taine aujourd’hui. La plu­part des métaux cri­tiques, comme le lithi­um, les ter­res rares, le gal­li­um et le ger­ma­ni­um, seront cette fois analysés.

Par rapport au dernier inventaire, de nouveaux instruments vont-ils être utilisés ?

Pierre-Alexan­dre Reninger. Oui, nous allons nous appuy­er sur la géo­physique aéro­portée, une tech­nique jamais employée pour cet objec­tif et à cette échelle, en France. Elle apporte des infor­ma­tions sur la nature des roches présentes – pos­si­ble­ment jusqu’à plusieurs kilo­mètres de pro­fondeur – sans aucune inci­dence sur le milieu, con­traire­ment aux for­ages par exem­ple. C’est un peu l’équivalent d’un exa­m­en par IRM.

Nous allons utilis­er trois méth­odes géo­physiques dif­férentes : le mag­nétisme, la spec­trométrie gam­ma et l’électromagnétisme. Cha­cune mesure dif­férentes pro­priétés du sous-sol, qui ren­seignent les géo­logues sur sa struc­ture géologique. Les instru­ments sont embar­qués à bord d’un avion pour les zones plates ou val­lon­nées ou d’un héli­cop­tère au-dessus des reliefs. Le sys­tème élec­tro­mag­né­tique que nous util­isons présente une réso­lu­tion élevée unique au monde : il a été dévelop­pé par l’Université d’Aarhus au Dane­mark et est mis en œuvre par la société SkyTEM. Il se présente sous la forme d’une grande boucle de 300 m2 que nous faisons vol­er à 50 mètres au-dessus du sol. Nous avons déjà validé son util­i­sa­tion grâce à plusieurs pro­jets en France et dans le monde.

La géo­physique donne des indices sur les struc­tures géologiques en pro­fondeur, mais elle doit être com­plétée par des mesures en surface.

Quels outils seront utilisés pour l’analyse en surface ?

M. C. Un pro­gramme de géochimie régionale sur les sédi­ments de ruis­seaux sera mis en œuvre dans un pre­mier temps. La méth­ode con­siste à prélever des échan­til­lons de sédi­ments – des par­tic­ules issues de l’altération des roches – dans de petits cours d’eau. Leur analyse chim­ique en lab­o­ra­toire vise à mesur­er leur con­tenu en métaux d’intérêt : 49 élé­ments chim­iques seront mesurés simul­tané­ment. Ces don­nées nous ren­seignent sur la présence d’éventuelles minéral­i­sa­tions, qui devront être étudiées plus pré­cisé­ment par la suite. Nous allons faire de nou­veaux prélève­ments sur les zones qui n’ont jamais été cou­vertes, mais aus­si réanalyser les échan­til­lons du pre­mier inven­taire minier, qui sont en par­tie pré­cieuse­ment con­servés au BRGM.

Cette méth­ode n’est pas nou­velle, elle a été mise en œuvre lors du pre­mier inven­taire. Mais grâce à l’amélioration des tech­niques ana­ly­tiques, nous sommes capa­bles de détecter des élé­ments chim­iques dont la con­cen­tra­tion est beau­coup plus faible qu’à l’époque du pre­mier inventaire.

Quels sont les avantages des méthodes d’exploration qui vont être employées ?

M.C. En géochimie, les lim­ites de détec­tion sont 100 à 1 000 fois plus faibles depuis l’inventaire minier his­torique. Nous sommes, par exem­ple, capa­bles de détecter des con­cen­tra­tions de 0,2 ppm de cuiv­re ou de nick­el, con­tre 10 ppm à l’époque. Cette amélio­ra­tion tech­nologique per­met égale­ment d’analyser de nou­veaux élé­ments métalliques d’intérêt majeur aujourd’hui.

P‑A R.  Les trois méth­odes géo­physiques mis­es en œuvre ren­seignent sur des gammes de pro­fondeurs de plus en plus impor­tantes : nous allons obtenir des don­nées pré­cis­es de la très proche sur­face jusqu’au pre­mier kilo­mètre env­i­ron. La méth­ode élec­tro­mag­né­tique offre l’énorme avan­tage de fournir des don­nées en 3D de la struc­ture du sous-sol. Et surtout, les temps d’acquisition sont incom­pa­ra­bles aux tech­niques clas­siques de géo­physique, qui con­sis­tent à déploy­er des instru­ments au sol. Nous pou­vons cou­vrir des mil­liers de kilo­mètres en une semaine !

M.C. Ce sont aus­si des méth­odes dont le rap­port coût/surface d’investigation/valorisation est par­ti­c­ulière­ment avan­tageux. Ce pre­mier scan de l’ensemble du ter­ri­toire mét­ro­pol­i­tain néces­site un investisse­ment con­séquent, mais rel­a­tive­ment raisonnable par rap­port à l’utilité des don­nées acquis­es. Ces don­nées par­ticipent à une meilleure con­nais­sance du sous-sol et seront utiles à d’autres secteurs : études envi­ron­nemen­tales, hydrogéologiques, éval­u­a­tion des risques naturels, ou encore études d’infrastructures pour l’aménagement du territoire.

Pourquoi ces outils n’ont-ils pas été mis en œuvre lors du premier inventaire minier ?

P‑A R.  La géo­physique aéro­portée est une méth­ode con­nue depuis le milieu du XXème siè­cle. En France, plusieurs cam­pagnes ont été réal­isées par les indus­triels pétroliers dans les années 60 à 80 au-dessus des Bassins parisien et aquitain. Puis la France a forte­ment ralen­ti ses activ­ités pétrolières et minières, et il y a eu un arrêt net de l’utilisation de cette méth­ode, con­traire­ment aux grands pays miniers comme l’Australie, le Cana­da ou la Fin­lande. La géo­physique aéro­portée a ensuite été redé­ployée dans le cadre d’un pro­gramme d’acquisition de don­nées d’infrastructure sur le sous-sol. En 1996, la Guyane a été cou­verte et en 1998 le mas­sif armor­i­cain. Plusieurs acqui­si­tions ont été con­duites depuis 2010.

Depuis les premiers levés en géophysique aéroportée, les méthodes informatiques ont fait un énorme bond en avant. Ces développements sont-ils utiles au domaine minier ?

M.C. Lors du pre­mier inven­taire minier, les don­nées issues de la géo­physique et de la chimie étaient par­fois inter­prétées séparé­ment par les géo­logues. Main­tenant, celles-ci sont inter­prétées con­join­te­ment grâce, par exem­ple, aux out­ils de car­togra­phie pré­dic­tive inno­vants dévelop­pés par le BRGM. Un algo­rithme d’intelligence arti­fi­cielle com­bine l’ensemble des infor­ma­tions – géochimie, géo­physique, mais aus­si géolo­gie et gise­ments déjà con­nus – pour réalis­er des cartes de poten­tiel minéral pour les dif­férentes sub­stances d’intérêt. Nous réfléchissons à la pos­si­bil­ité de dépass­er l’analyse car­tographique 2D et faire de la pré­dic­tiv­ité 3D, en par­ti­c­uli­er à par­tir des don­nées géo­physiques électromagnétiques.

Finalement, plus de 30 ans après le dernier inventaire, le nouvel inventaire minier ne semble s’appuyer sur aucune innovation de rupture…

M.C. La géo­physique aéro­portée et la géochimie sont les seules méth­odes qui per­me­t­tent de cou­vrir de grandes sur­faces rapi­de­ment, une pre­mière étape indis­pens­able au nou­v­el inven­taire. Elles four­nissent énor­mé­ment d’informations ! Dans un sec­ond temps, des zones d’intérêt ciblées seront analysées plus en détail à l’aide d’autres tech­niques. En plus des méth­odes géochim­iques clas­sique­ment mis­es en œuvre, des out­ils inno­vants, par­fois encore expéri­men­taux, pour­ront alors être employés. Je pense par exem­ple à la biogéochimie à l’aide des végé­taux, ou encore à l’hydrogéochimie. 

P‑A R. Cette échelle plus locale est clas­sique­ment cou­verte par des out­ils au sol, déployés à pied. Actuelle­ment, de nom­breuses équipes tra­vail­lent à dévelop­per des out­ils fiables de géo­physique embar­qués sur des drones. Ce domaine est en plein essor, cer­tains out­ils sont déjà au point (comme le mag­nétisme), et d’autres sont encore à l’état de pro­to­types. Les avancées sont telle­ment rapi­des que cer­tains seront prob­a­ble­ment opéra­tionnels d’ici la mise en œuvre de la 2ème étape de l’inventaire.

Anaïs Maréchal

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