Quel avenir pour l’industrie photovoltaïque en Europe ?
- L’industrie photovoltaïque mondiale est aujourd’hui concentrée en Chine. Mais l’essor sans précédent du marché ouvre des opportunités pour les acteurs européens, qui bénéficient de trois tendances.
- Après une longue période de progrès incrémentaux, où la différence ne se faisait que par les prix, des accélérations technologiques sont réalisées en Europe.
- Dans des domaines comme l’automobile, l’agriculture et le bâtiment, différentes niches pourraient ouvrir la voie à de nouveaux segments de marché pour des produits très différenciés, loin de la logique de commodité qui domine actuellement.
- Enfin, les régulations européennes évoluent : plus attentives au cycle de vie (production moins carbonée, recyclabilité), elles sont de nature à changer la donne.
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Dans le photovoltaïque, est-il possible de faire la différence autrement que sur les prix ?
Il est vrai qu’au plan technologique, l’industrie des panneaux solaires est caractérisée aujourd’hui par une certaine homogénéité. La plupart des acteurs exploitent une technologie à base de silicium polycristallin ou quasi-monocristallin, mis en œuvre selon différentes architectures.
Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas d’innovation, mais plutôt que celle-ci a suivi jusqu’ici une logique incrémentale. Les améliorations n’en sont pas moins, dans la durée, significatives, sur les performances et sur les coûts. Concernant la performance des dispositifs : le premier panneau à proprement parler, développé en 1954 par les Bell Labs (quarante ans après les premiers essais de cellules photovoltaïques au silicium), avait un rendement de 6 %. Il y a quelques années, on en était à 13 ou 14 %, et aujourd’hui une bonne partie des panneaux solaires sur le marché ont un rendement aux alentours de 20 %.
Le coût des panneaux a chuté de 80 % en dix ans pour de bonnes et de mauvaises raisons.
Quant au coût des panneaux, il a chuté de 80 % en dix ans, pour de bonnes et de mauvaises raisons : les bonnes, ce sont les progrès technologiques et le passage à l’échelle porté par l’accélération de la transition énergétique. Les mauvaises, ce sont des subventions massives, notamment en Allemagne, qui, au lieu de faire décoller l’industrie européenne, ont conduit à des surcapacités industrielles et à une guerre des prix à laquelle seuls quelques industriels chinois ont pu survivre ; ils exercent aujourd’hui une domination écrasante sur le marché. Aujourd’hui, le prix est le principal critère, bien devant la performance, tant chez les installateurs de parcs photovoltaïques que chez les particuliers.
Est-ce à dire que les jeux sont joués pour l’industrie européenne ?
Non, et ceci pour au moins trois raisons. La première est que le marché est en plein boom, et qu’il y a de la place pour de nouveaux acteurs. On n’a pas encore les chiffres définitifs pour 2022, mais en 2021, d’après l’Agence internationale de l’énergie1, la production d’énergie photovoltaïque mondiale a augmenté de 179 TWh (soit + 22 %), un record, pour dépasser les 1 000 TWh. Cette croissance est tirée par le marché chinois, suivi par les États-Unis et l’Union européenne. Si l’on suit le scénario Net Zéro des Nations Unies, il faudra atteindre un niveau de production solaire photovoltaïque annuelle d’environ 7 400 TWh en 2030. En partant des 1 000 TWh actuels, cela implique une croissance moyenne de la production d’environ 25 % par an pendant la période 2022–2030.
Dans ce gigantesque marché, la production réalisée en Chine restera dominante, et il faut regarder de près ce qui se passe aux États-Unis. Mais la croissance du marché européen sera également très importante, ce qui ouvre des perspectives pour les acteurs européens de revenir dans la course, car — c’est la deuxième raison — nous entrons dans une phase d’arrivée à maturité de plusieurs innovations technologiques qui, sans être des ruptures à proprement parler, constituent des accélérations décisives.
La plus prometteuse : les cellules « tandem » qui associent silicium et pérovskite. Cela permet de mieux exploiter le spectre solaire, en ajoutant les ultraviolets à la lumière visible et aux infrarouges (bien captés par le silicium). Une telle technologie déplace la barrière théorique qui plaçait jusqu’ici le maximum de rendement à un peu plus de 29 %. Elle se situe désormais aux alentours de 40 %. En laboratoire, on va déjà très loin : en septembre dernier, des chercheurs néerlandais ont réussi pour la première fois à passer le seuil des 30 % de rendement2. L’industrialisation est en vue : l’IPVF, qui regroupe les forces de nombreux acteurs (dont EDF, TotalEnergies, le CNRS et l’Ecole Polytechnique) va installer, en Alsace, une première ligne de production utilisant cette technologie tandem silicium-perovskite avec son partenaire industriel, Voltec Solar. Sur cette technologie de rupture, l’Europe est donc en pointe tant en recherche qu’en développement.
Une troisième raison est que si la « commoditisation » des panneaux solaires va continuer, avec des produits standardisés, on assiste également aujourd’hui à l’essor d’un marché d’applications beaucoup plus variées, animé par une logique de différenciation. Je vous en citerai trois exemples.
Le premier, c’est l’agrivoltaïque, avec des panneaux semi-transparents permettant d’optimiser l’association entre cultures et panneaux sur ombrières. On est ici dans des réglages fins, au plus près du marché, des besoins, des conditions météorologiques : au plan commercial et industriel, il y a de la place pour des produits différenciés, portés par des acteurs capables de fournir du service.
Incités par une réglementation bien pensée, des acteurs industriels allongeront la chaîne de valeur jusqu’à la dernière partie du cycle de vie: le recyclage.
Deuxième exemple, le solaire sur les véhicules. Aujourd’hui c’est une niche, avec quelques exemples dans l’industrie des navires de plaisance3 (l’enjeu : couper le moteur sans couper la clim et le frigo…). Mais l’essor des voitures électriques amène un besoin massif de solutions pour rafraîchir le véhicule à l’arrêt ou, inversement, tenir la batterie au chaud afin de ne pas perdre de performance en hiver. Le solaire est un bon candidat : constructeurs et équipementiers ont des projets dans leurs cartons.
Troisième exemple : les panneaux solaires, c’est bien dans le bâtiment, mais ce n’est pas très élégant. Un marché de tuiles solaires est en train d’émerger, qui là encore va se développer selon des besoins plus locaux (toutes les tuiles ne se ressemblent pas, il y a des différences régionales) et sur de la qualité esthétique, à partir de niches appelées à grossir. Là encore, il y a de la place pour des acteurs agiles et locaux. Récemment, on a observé le développement de tuiles photovoltaïques de design très proche des tuiles traditionnelles4.
Hormis ces marchés de niches appelés à s’élargir, peut-on imaginer des game changers qui changeraient la donne pour l’industrie européenne ?
Oui, notamment dans la logique du Green Deal européen, qui associe politique industrielle et exigence écologique. En matière de panneaux photovoltaïques, les normes et régulations européennes ont jusqu’ici prêté peu d’attention à la question du cycle de vie. Or, celle-ci est appelée à gagner en importance. Deux points en particulier pourraient faire la différence : le premier est la quantité d’énergie consommée (et le CO2 émis) pour fabriquer un panneau. À l’heure actuelle, le « retour énergétique » des panneaux n’est pas très bon : un module photovoltaïque doit fonctionner environ deux à trois ans pour compenser l’énergie nécessaire à sa fabrication. De surcroît, ceux fabriqués en Chine ont un bilan carbone peu traçable, et probablement pas très bon. Une régulation mettant l’accent sur cette dimension changerait la donne.
Dans le même esprit, un autre aspect du cycle de vie est appelé à prendre de l’importance : la recyclabilité. Cela pourrait favoriser une forme d’économie circulaire, dès lors que, incités par une réglementation bien pensée, des acteurs industriels allongeront la chaîne de valeur jusqu’à cette dernière partie du cycle de vie. Là encore, c’est à l’échelle régionale — celle de l’UE — que cette intégration entre industrie et services aura le plus de pertinence.