En 2021, 53,8 millions de pneumatiques – toutes catégories confondues – ont été mis sur le marché1. Soit plus de 567 000 tonnes d’un mélange de caoutchouc, carbone, silice, acier, textile et agents chimiques. La même année, plus de 532 000 tonnes de pneumatiques ont été collectées : le taux de collecte national s’élève à 111,5 %2 ! Les pneus ont une durée de vie de quelques années, alors que deviennent les pneus usagés ?
Depuis 2003, les organisations mettant des pneus sur le marché français – fabricants, distributeurs, etc. – ont l’obligation de prendre en charge leur fin de vie sur la base du principe de responsabilité élargie des producteurs (REP). En Europe, s’il n’existe pas de texte spécifique à la filière, deux directives s’appliquent. Résultat, nombre de pays européens mettent en œuvre des dispositifs de REP ou d’autres pour assurer la collecte des pneus usagés. Dans une étude s’intéressant à 51 pays à travers le monde3, il est estimé que plus de 17 millions de tonnes de pneus hors d’usage sont collectées chaque année, laissant 8 millions de tonnes non collectées. La Chine, les États-Unis, l’Europe, le Canada, l’Inde ou encore la Corée du Sud font partie des plus importants et/ou meilleurs pays collecteurs.
Il faut valoriser le gisement de pneus usagés d’une manière ou d’une autre
Une fois collectés, différentes voies de valorisation existent. En France en 2021, 15 % d’entre eux sont réutilisés. La plus grande partie des pneus usagés collectés (46,8 %) est valorisée énergétiquement, presque uniquement en cimenteries. Concrètement, au lieu d’utiliser des énergies fossiles, les pneus sont utilisés en tant que combustible alternatif pour produire l’énergie nécessaire aux fours des cimenteries. Dernière voie de valorisation des pneus usagés : le recyclage. C’est le devenir de 35,8 % d’entre eux en 2021. Réduits en granulats, fondus en cimenterie ou aciérie ou broyés : une palette de nouvelles vies s’ouvre aux pneus valorisés en matière. « La majorité des pneus que nous recyclons sont transformés en objets moulés (des ralentisseurs routiers par exemple), en sols sportifs, en matériau drainant ou sont utilisés en aciérie pour remplacer une partie de l’anthracite », détaille Jean-Philippe Faure d’Aliapur. En 2010, l’organisme a évalué les retombées environnementales de la substitution de produits des différentes filières par les pneus hors d’usage4. Les bénéfices sont avérés pour le gazon synthétique, les objets moulés et la cimenterie ; mais minimes pour les bassins de rétention. Nombre d’indicateurs environnementaux existent. Par exemple, chaque tonne de pneus usagés valorisée par la substitution pour le gazon synthétique permet d’éviter les émissions de 3 tonnes de CO2. En parallèle, le procédé utilise 15 m3 d’eau en moins.
Le recyclage en matière des pneus usagés, après leur réutilisation, est la voie de valorisation privilégiée par le code de l’environnement5. Pourtant, la majorité des pneus hors d’usage sont valorisés sous forme énergétique. « C’est une situation typiquement française, on n’observe pas les mêmes tendances dans d’autres pays d’Europe, détaille Jean-Philippe Faure. Mais elle est ponctuelle et liée aux récentes réglementations européennes, visant l’interdiction de l’incorporation de microplastiques et de l’usage de granulats de caoutchouc dans les terrains de sport synthétiques. »
Autre obstacle au recyclage : les débouchés possibles. « Il faut valoriser le gisement de pneus usagés d’une manière ou d’une autre : or, les besoins des cimenteries en valorisation énergétique permettent d’absorber des volumes importants, commente Ludovic Moulin. Il faut créer des voies de valorisation matière nécessitant des volumes importants, et donc avec suffisamment de valeur ajoutée. » Le durcissement de la réglementation pourrait cependant pousser la filière à augmenter la part de recyclage des pneus hors d’usage. « En 2020, la loi anti-gaspillage a imposé un nouveau durcissement pour la filière : les acteurs doivent être agréés », raconte Thomas Grandin. Définie par un décret et un arrêté en 20236, cette obligation fixe un cahier des charges pour les éco-organismes de la filière. Celui-ci impose des objectifs de recyclage sur les pneus collectés : de 40 % en 2024 à 42 % en 2028 des quantités de déchets collectés. « Nous constatons également un frein d’acceptabilité sociétale, mais il n’y a aucun frein technique au recyclage », assène Jean-Philippe Faure.
Objectif zéro déchets grâce à la pyrolyse
Les pneus sont constitués de plus de 200 matériaux différents. Mais des procédés de séparation matures existent. L’objectif : isoler les différents composants pour proposer des produits à haute valeur ajoutée. « Depuis quelques années, la tendance est au développement de la pyrolyse », souligne Ludovic Moulin. En chauffant le pneu à haute température et en l’absence d’oxygène, il est possible de récupérer de nombreux produits : noir de carbone, huile de pyrolyse, renforts métalliques, gaz… Encore marginal dans de nombreux pays, le procédé est pourtant la voie de valorisation principale des pneus hors d’usage en Chine, Thaïlande, Indonésie et au Mexique, « ceci en raison de contraintes environnementales insuffisantes, voire inexistantes » précise Ludovic Moulin. « Entre la crise sanitaire et la crainte des approvisionnements en matière première, l’économie circulaire prend de l’ampleur et le marché s’ouvre désormais à ces nouveaux produits », commente Thomas Grandin. En Europe, Michelin a annoncé la création du premier site de pyrolyse avec la start-up suédoise Enviro, qui doit prendre en charge 1 million de tonnes de pneus usagés d’ici 2030. « D’autres projets sont en cours en Allemagne (Pyrum Innovations), Espagne (L4T et Greenval Technologies) ou au Royaume-Uni (Bolder Industries), énumère Jean-Philippe Faure. Cette voie va émerger dans les prochaines années. »
Financé par l’Union européenne et coordonné par Michelin, le projet Black Cycle7 vise à démontrer la viabilité de l’économie circulaire pour la pyrolyse. Le consortium souhaite optimiser le procédé. L’objectif ? Zéro déchets. Le noir de carbone et l’huile de pyrolyse – transformée en noir de carbone – récupérés seront entièrement réutilisés pour fabriquer de nouveaux pneus. D’autres projets visent à explorer de nouvelles voies de valorisation de pneus usagés. « Les travaux publics sont la filière la plus prometteuse pour l’avenir, juge Jean-Philippe Faure. Il y a par exemple des besoins pour de nouveaux remblais, capables d’amortir, d’être légers et souples. » Les pneus recyclés pourraient même être incorporés à la chaussée grâce à un mélange de granulats de béton recyclé et de granulats de caoutchouc8.
En France, le laboratoire commun des matériaux avancés recyclés par vapothermolyse (Marvapol) travaille également sur la création de nouveaux produits pour valoriser le gisement de pneus usagés. « La vapothermolyse est un procédé de séparation thermochimique, à la frontière entre la pyrolyse et la solvolyse [ndlr : procédé de dissolution utilisant un solvant], explique Ludovic Moulin. Nous utilisons de la vapeur d’eau surchauffée à pression ambiante pour séparer les charges de renfort du caoutchouc. » L’intérêt de la vapothermolyse ? Ce procédé de séparation produit du noir de carbone recyclé aux propriétés différentes qui intéressent les industriels. « L’huile en sortie est aussi valorisée en matière, c’est un produit qui intéresse désormais l’industrie chimique », commente Ludovic Moulin. À l’avenir, une pléthore de possibilités s’ouvre pour le recyclage des pneus.