Moteur à hydrogène : indispensable pour décarboner les transports ?
- Brûler de l’hydrogène, ou ses dérivés, dans les moteurs pourrait permettre de décarboner camions, bateaux et avions.
- Cette méthode présente deux avantages principaux : peu d’ajustements technologiques et un prix abordable.
- Pour les poids lourds, le moteur à hydrogène semble une solution aussi viable que les piles à combustible.
- Ce sont plutôt les dérivés de l’hydrogène (carburant de synthèse et ammoniac) qui seraient à mettre en avant pour l’aviation et le transport maritime.
- L’avenir de ces secteurs ne sera pas mono-technologique car ils sont beaucoup plus difficiles à décarboner que les transports grand public.
Cet article a été publié en exclusivité dans notre magazine Le 3,14 sur l’hydrogène.
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La possibilité de brûler de l’hydrogène, ou des dérivés comme l’ammoniac, dans les moteurs connaît un regain d’intérêt. Ces moteurs peuvent répondre, parmi d’autres technologies, à l’urgence de décarboner camions, bateaux ou avions.
Le motoriste Cummins teste un moteur de poids lourd à hydrogène, Renault Trucks développe le sien avec l’Institut Français du pétrole des énergies nouvelles (IFPEN), Airbus a annoncé un avion à hydrogène pour 2035, qui pourrait être entraîné par une turbine à gaz modifiée. Autant d’annonces qui suggèrent que le bon vieux moteur thermique n’est pas mort, et qu’il a même, en décarbonant son carburant, un rôle à jouer dans l’atteinte des objectifs de neutralité climatique du transport longue distance d’ici 2050.
« Brûler l’hydrogène directement dans les moteurs thermiques »
L’hydrogène, molécule dense en énergie, peut en effet être produite de façon « propre » par électrolyse de l’eau, avec de l’énergie d’origine renouvelable ou nucléaire. Quant aux batteries électriques, qui constituent désormais la voie royale pour décarboner les voitures individuelles, elles manquent d’autonomie sur le segment des véhicules lourds : « Des batteries peuvent alimenter des bus ou des fourgons de livraison en ville qui récupèrent l’énergie au freinage et qui peuvent se recharger fréquemment. Mais pas un poids lourd, qui même avec les superchargeurs de 350 kW devrait passer plus d’une heure en recharge tous les 300 km », expose Gaétan Monnier, directeur du Centre de résultats transports à l’IFPEN. Dans le cadre de sa « stratégie de l’hydrogène pour une Europe climatiquement neutre » de 2020, l’Union européenne a ainsi validé l’objectif des industriels de faire rouler d’ici 2030 cent mille camions à l’hydrogène décarboné, sur les 3 millions de camions qui parcourent l’Europe. « Initialement, l’objectif était de consommer cet hydrogène dans des piles à combustible, système qui produit de l’électricité pour alimenter ensuite un moteur électrique. Mais l’idée de brûler l’hydrogène directement dans des moteurs thermiques connaît un regain d’intérêt depuis quelques années chez les chercheurs et les industriels », souligne le spécialiste.
C’est une solution low cost pour décarboner les transports.
Elle présente en effet plusieurs avantages. D’abord, brûler de l’hydrogène dans un moteur à combustion ne nécessite que des ajustements : « Il faut intégrer des métaux capables de tenir de plus hautes températures et un système d’injection adapté à ce carburant très volatile, revoir le contrôle de la combustion, dont les caractéristiques sont très différentes de celle du diesel… Mais ce ne sont en aucun cas des ruptures technologiques », assure Luis Le Moyne, directeur de l’ISAT. Ensuite, cette solution permettrait aux fabricants de conserver leur chaîne de fabrication et ainsi de ne pas trop augmenter leurs prix. « C’est une solution low cost pour décarboner les transports », conclut-il.
Par comparaison, les piles à combustibles (PàC) ne sont pas encore fabriquées à grande échelle et contiennent du platine, un métal rare… ce qui enchérit considérablement le coût d’achat du véhicule. « Leur durée de vie étant pour l’instant limitée, il faut aussi prévoir un remplacement de la PàC dans le cycle de vie du véhicule », ajoute Gaétan Monnier. La PàC peut néanmoins offrir de meilleurs rendements énergétiques (65 % maximum) que le moteur à hydrogène (45 % maximum). Quelle solution l’emportera ? Ce n’est pas clair aujourd’hui : « Le moteur à hydrogène apparaît moins cher à l’investissement, mais potentiellement légèrement plus gourmand en carburant sur le cycle de vie du véhicule. Les deux pourraient donc avoir leur pertinence économique en fonction de l’usage prévu du véhicule », résume le chercheur.
L’hydrogène, trop volatile pour l’aviation ?
Côté aérien, là encore, le match PàC versus turbine à gaz bat son plein. Pour faire décoller un avion à hydrogène d’ici 2035, Airbus teste actuellement les deux solutions. Cependant, « le défi ne réside pas tant dans la propulsion que dans le stockage de l’hydrogène à bord, qui devra se faire à l’état liquide, sa forme la plus compacte », pointe Cédric Phillibert, ancien analyste à l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Même ainsi, l’hydrogène occupe quatre fois plus d’espace que le kérosène et doit être maintenu à la température extrêmement basse de ‑253 °C. Avec une conséquence importante : le réservoir d’hydrogène liquide, de forme sphérique ou cylindrique – pour limiter au maximum les pertes thermiques – ne peut pas se loger dans les ailes de l’appareil… ce qui oblige à le placer dans le fuselage et donc à réinventer totalement l’appareil ! C’est pourquoi, en parallèle, les constructeurs étudient la possibilité de brûler dans les turbines actuelles un dérivé de l’hydrogène plus « pratique » : du carburant de synthèse.
Ce carburant, strict équivalent décarboné des kérosènes actuels, peut être fabriqué à partir d’hydrogène décarboné et de CO2 capturé dans l’atmosphère, selon le procédé appelé Fischer-Tropsch. Malgré l’efficacité énergétique déplorable de l’opération – un rendement du puits à la roue de 15 % contre 30 % pour l’hydrogène –, elle offre un argument de poids : « Il n’oblige pas à réinventer les avions ni les infrastructures aéroportuaires », fait valoir l’expert. Les carburants de synthèse s’avèrent bien plus faciles à transporter que le très volatile hydrogène. « On pourrait donc en importer depuis des pays dotés de forts potentiels en énergies renouvelables, capables de produire massivement l’hydrogène sur place », poursuit-il. C’est exactement le plan de Porsche qui a débuté la construction d’une usine de « eFuel » au Chili en 2021.
Transport maritime : l’ammoniac prend le large
Une réflexion similaire anime le secteur des transports maritimes. Dans le domaine des bateaux longue distance, la combustion de l’hydrogène, un temps envisagée, semble aujourd’hui délaissée au profit d’un proche cousin, l’ammoniac. De formule NH3, ce gaz peut là encore être fabriqué de façon neutre à partir d’hydrogène décarboné et d’azote (N2) selon le procédé Haber-Bosch. Avec un avantage : « Les infrastructures portuaires sont déjà conçues pour manipuler ce gaz, liquide à ‑33,5°C, qui entre notamment dans la fabrication des engrais industriels », explique François Kalaydjian, directeur Économie et Veille à l’IFPEN. Mais là encore, la partie n’est pas jouée : l’ammoniac est un gaz toxique dont la manipulation nécessite des précautions. Un autre dérivé d’hydrogène décarboné et de CO2, le méthanol, est donc en licepour brûler dans les imposants moteurs à deux temps des cargos.
Toutes les technologies seront nécessaires pour décarboner les transports de façon réaliste.
Moteurs à hydrogène ou piles à combustible ; carburants de synthèse, ammoniac, méthanol… de nombreuses options sont ainsi sur la table pour décarboner l’ensemble des transports longue distance. « Au contraire de l’automobile grand public où la batterie électrique va s’imposer, l’avenir du secteur ne sera pas ‘mono-technologique’. La décarbonation y est plus difficile, et les usages plus divers », résume Gaétan Monnier. Si l’avenir n’appartient donc pas intégralement au moteur à hydrogène et à ses dérivés, « Il fait bien partie du bouquet de solutions qui permettront de relever le défi ».
Une conclusion à rebours de celle d’associations environnementales, comme Transport & Environnement, qui plaident pour l’électrification intégrale du transport routier. La Commission Européenne devrait trancher ce débat début 2023. Elle doit en effet revoir la définition des « véhicules zéro émission », qui se résumait jusqu’ici à un niveau d’émission à l’échappement de moins d’un gramme de CO2 par kilomètre. « Si ce critère est maintenu, on ne sait pas si des motorisations thermiques utilisant un combustible sans carbone comme l’hydrogène ou l’ammoniac pourront y prétendre, car ces moteurs brûlent malgré tout une petite quantité d’huile. Or les infimes émissions de CO2 qui en résultent sont difficiles à quantifier », souligne Gaétan Monnier. « Un abandon du principe de neutralité technologique serait dommageable, car toutes les technologies seront nécessaires pour décarboner les transports de façon réaliste », conclut François Kalaydjian.