Les 10 choses à savoir sur l’hydrogène dans les transports
- L’hydrogène est un vecteur d’énergie généralement produit à partir d’énergies fossiles, fortement émettrices en CO2: sa décarbonation est un enjeu majeur.
- Il ne représentait que 0,003 % des consommations d’énergie des transports dans le monde en 2021.
- L’hydrogène trouve sa pertinence quand il est utilisé en complément de l’électrique, qui est aujourd’hui la source de décarbonation à privilégier.
- Si les vélos ou voitures à hydrogène sont inefficaces énergétiquement, l’hydrogène pourrait se montrer utile surtout pour les véhicules plus lourds (bus, poids lourds…).
- Les possibilités de l’hydrogène doivent être étudiées avec prudence au vu des défis qu’il reste à relever.
Cet article fait partie du deuxième numéro de notre magazine Le 3,14 dédié à l’hydrogène. Découvrez-le ici
#1 : Qu’est-ce que l’hydrogène ? Est-ce une énergie ?
L’hydrogène est à la fois l’atome le plus petit et le plus abondant de l’univers. Il est notamment présent dans l’eau (H2O) et souvent associé au carbone dans les molécules organiques, et constitue ainsi 92 % des atomes de l’univers et 63 % des atomes de notre corps (et respectivement 75 % et 10 % en masse)1.
Mais quand on parle d’hydrogène dans la transition énergétique, on parle davantage de la molécule de dihydrogène (H2)2. À quelques exceptions près de gisements d’hydrogène natif peu connus et peu exploités aujourd’hui, l’hydrogène ne constitue pas une source d’énergie qu’on trouve directement dans la nature. Il faut donc le produire à partir d’autres énergies : on parle alors de vecteur énergétique (comme l’électricité), et la question est notamment de savoir si cette production est fortement émettrice de CO2 ou non.
#2 : Comment produit-on l’hydrogène ? Est-il bas-carbone ?
Il existe plusieurs méthodes de production d’hydrogène. À ce jour, l’hydrogène est produit principalement à partir d’énergies fossiles, avec une production fortement émettrice de CO2. C’est le cas à 99,3 % dans le monde, essentiellement via le vaporeformage de méthane à partir de gaz fossile (62 % de la production), puis à partir de la gazéification du charbon ou en co-produits du raffinage du pétrole (respectivement 19 et 18 %). La production bas-carbone est possible via deux techniques principales, qui ne représentent qu’une très faible fraction de la production actuelle. Pour 0,7 %, il s’agit de la production à partir d’énergies fossiles qui est associée à du captage et stockage du carbone, et pour seulement 0,04 % en 2021 de la production à partir de l’électrolyse de l’eau, une filière amenée à fortement augmenter au vu des annonces récentes3.
En France, c’est 95 % de l’hydrogène qui est également produit à partir d’énergies fossiles. Les 5 % restants viennent de l’électrolyse de la saumure, principalement réalisée pour la production de chlore5. Le choix du plan hydrogène français de 2018 pour décarboner la production porte sur l’électrolyse de l’eau, avec pour objectif de représenter un peu plus de la moitié de la production d’hydrogène en 20306.
#3 : Quels sont les usages de l’hydrogène ?
L’hydrogène peut être utilisé pour deux types d’usages : soit comme réactif pour produire autre chose, soit comme vecteur énergétique.
Aujourd’hui, l’hydrogène est essentiellement utilisé dans l’industrie comme réactif, aussi bien dans le monde qu’en France. Dans le pays, l’hydrogène sert en particulier pour le raffinage des carburants (60 %), pour produire de l’ammoniac essentiellement pour les engrais agricoles (25 %), et la chimie (10 %)7.
Plusieurs défis et usages de l’hydrogène sont envisagés à l’avenir pour la transition énergétique, à réfléchir en termes d’ordre de mérite8. Il s’agit d’abord et avant tout de décarboner les usages actuels de l’hydrogène dans l’industrie. Il peut s’agir aussi de remplacer d’autres usages par de l’hydrogène bas-carbone, que ce soit pour la décarbonation de l’industrie, les transports, ou pour participer à la décarbonation des réseaux gaziers actuels.
Enfin, l’hydrogène pourrait contribuer au stockage d’électricité, en offrant une solution de flexibilité pour assurer l’équilibre du réseau électrique9.
#4 : Hydrogène et transports : où en est-on ? Quelles échéances pour sa diffusion ?
L’hydrogène dans les transports en est encore seulement à ses balbutiements. Malgré la hausse de 60 % des consommations par rapport à 2020, l’hydrogène ne représentait que 0,003 % des consommations d’énergie des transports dans le monde en 2021.
C’est sur les véhicules routiers que l’hydrogène est actuellement le plus développé, bien qu’à un niveau très faible. Fin 2021 en France, on ne comptait ainsi que quelques centaines de voitures à hydrogène (et il s’en vend environ 1 000 fois moins que de voitures électriques depuis début 202210), 2 poids lourds, 4 véhicules automoteurs spécialisés (VASP : par exemple les bennes à ordures), ou encore 22 bus (soit moins de 0,1 % du parc11).
Cependant, la mobilité lourde constitue le deuxième axe du plan hydrogène français de 2018 ainsi que de la stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné de 202012. L’objectif affiché en 2018 est d’atteindre 20 000 à 50 000 véhicules utilitaires légers, et 800 à 2 000 véhicules lourds en 2028 dans le parc. Les bornes hautes correspondent à l’équivalent de 0,9 % du parc actuel d’utilitaires et 0,3 % du parc de véhicules lourds13.
Pour des raisons de rendement énergétique et de bilan carbone, l’électrique est à privilégier quand cela est possible.
Pour le transport ferroviaire, des trains à hydrogène roulent déjà en Allemagne et les premières circulations commerciales sont prévues en 2025 en France14. Pour les navires, des expérimentations sont en cours pour des navires de faible capacité de transport et sur des distances limitées. Mais d’autres solutions de décarbonation sont généralement privilégiées à l’hydrogène, notamment pour le maritime (biogaz, méthanol, ammoniac…). Enfin, Airbus vise 2035 pour la commercialisation d’un avion à hydrogène capable de réaliser des vols court- et moyen-courriers.
#5 : Décarbonation des transports : quelle(s) technologie(s) privilégier ?
La sortie du pétrole des transports est incontournable pour atteindre l’objectif de neutralité carbone en France d’ici 205015. Il existe 4 voies énergétiques possibles dans les transports : l’électricité ; l’hydrogène ; les carburants gazeux (gaz fossile ou renouvelable) et les carburants liquides (pétrole ou biocarburants). Des carburants synthétiques peuvent aussi être produits en combinant de l’hydrogène avec du CO2, une technologie cependant très peu mature à ce stade.
Parmi ces différentes technologies, le vecteur électrique est le plus décarboné, à plus de 90 % en France, quand les autres vecteurs (hydrogène, carburants gazeux et liquides) sont au contraire dépendants des énergies fossiles à plus de 90 %. Par ailleurs, les potentiels de production de gaz renouvelable et de biocarburants sont fortement limités par les ressources en biomasse disponibles, ce qui nécessite avant tout de réduire fortement les consommations de gaz et de carburants liquides dans l’économie pour les décarboner.
Sur les vecteurs électriques et hydrogène, le rendement énergétique de l’hydrogène est moins bon que l’utilisation directe de l’électricité dans un véhicule électrique à batteries17. Il est en effet possible d’utiliser l’hydrogène dans un véhicule de 2 manières : soit comme combustible dans un moteur thermique à hydrogène, bien moins efficace que les moteurs électriques ; soit en retransformant l’hydrogène en électricité via une pile à combustible située dans le véhicule, pour ensuite utiliser cette électricité dans un moteur électrique. Dans ce second cas, et au vu des pertes énergétiques de ces transformations, il faut environ 2,3 fois plus d’électricité pour faire rouler un véhicule à hydrogène que pour un véhicule électrique18,19.
Cette moindre efficacité démultiplie les coûts en électricité, ainsi que les émissions à l’usage des véhicules si l’électricité utilisée n’est pas très faiblement carbonée. Elle implique aussi de plus grands volumes d’électricité pour décarboner les transports. Ainsi, décarboner l’ensemble des transports terrestres (voitures, poids lourds, bus et cars, trains…) en Europe via les véhicules électriques nécessiterait l’équivalent de 43 % de l’électricité produite en 2015, et 108 % dans le cas de véhicules à hydrogène. Des chiffres qui augmentent encore en considérant la navigation et l’aérien20.
Pour des raisons de rendement énergétique et de bilan carbone, l’électrique est donc à privilégier quand cela est possible, comme pour les véhicules routiers légers (deux-roues, voitures ou encore véhicules utilitaires). L’hydrogène trouvera sa pertinence en complément de l’électrique, notamment lorsqu’il y a besoin de forts emports de charge, d’autonomies élevées et/ou de temps de recharge très courts. C’est d’ailleurs par ces avantages que l’hydrogène laisse espérer ou peut donner l’illusion qu’il sera possible de garder à l’avenir les comportements et usages des transports permis par le pétrole actuellement.
#6 : Quel bilan carbone et autres impacts environnementaux dans les transports ?
Lorsque l’hydrogène est produit par électrolyse avec de l’électricité renouvelable ou nucléaire, les émissions de gaz à effet de serre d’un autobus vendu en 2020 ou d’un poids lourd vendu en 2030 sont divisées par 6 par rapport au diesel, sur leur cycle de vie. Cela place alors la technologie hydrogène à des niveaux d’émissions similaires aux autobus ou poids lourds électriques rechargés en France, ainsi qu’aux véhicules utilisant du biogaz. En revanche, si l’hydrogène est produit par électrolyse avec le mix électrique français moyen, le tracteur routier à hydrogène passe de 6 fois moins à 3 fois moins émetteur que le tracteur diesel ; il devient légèrement plus émetteur avec le mix moyen européen et même 60 % plus émetteur avec le mix électrique allemand21.
Ainsi, la décarbonation de la production de l’hydrogène est une condition indispensable pour s’assurer de bénéfices climatiques significatifs au développement de l’hydrogène dans les transports. Cet impact des émissions du mix électrique est encore plus fort sur les émissions des véhicules à hydrogène que les émissions des véhicules électriques, en raison du moins bon rendement de la chaîne hydrogène et ainsi des quantités d’électricité plus importantes par kilomètre parcouru.
D’un point de vue environnemental, et en comparaison du véhicule électrique à batteries, le principal avantage de l’hydrogène concerne les moindres capacités de batteries nécessaires. Cela réduit la pression sur les ressources et les pollutions engendrées par l’exploitation du lithium, du cobalt ou encore du nickel. La filière hydrogène implique aussi des consommations de métaux, en particulier de platine pour les piles à combustibles et les électrolyseurs, dont la criticité dépendra du niveau de développement de la filière23. Enfin, les plus forts besoins en électricité pour les véhicules à hydrogène (lorsqu’il est fabriqué par électrolyse) nécessitent davantage de métaux pour les moyens de production électrique.
#7 : Quels coûts de l’hydrogène ?
Les technologies hydrogène sont aujourd’hui plus chères que celles au pétrole ou à l’électricité, aussi bien au niveau du coût des véhicules que de l’énergie. Cependant, les surcoûts à l’achat varient beaucoup selon les modes de transport et la maturité du marché des véhicules. Et les surcoûts énergétiques dépendent fortement du mode de production de l’hydrogène, la production via l’électrolyse étant aujourd’hui environ deux fois plus coûteuse que le vaporeformage du gaz fossile. Les coûts de transport et de distribution sont aussi significatifs, d’autant plus si les distances entre les lieux de production et de consommation sont importantes.
Au total, le ministère estimait en 2018 que le coût total de possession est de l’ordre de 20 à 50 % plus élevé pour un véhicule hydrogène que pour l’équivalent thermique. Avec de l’hydrogène issu de l’électrolyse, le coût total de possession des poids lourds, bus et cars est de 1,5 à 3 fois plus élevé pour l’hydrogène que pour le diesel24. Cependant, les coûts sont prévus à la baisse, de l’ordre d’une division par deux d’ici 2030 pour la production via l’électrolyse, ce qui changera également les équilibres actuels25.
Cependant, les projections de coûts entre technologies et énergies sont soumises à de fortes incertitudes. La compétitivité de l’hydrogène pourrait ainsi varier fortement selon l’évolution des progrès ou des contraintes techniques, géopolitiques, de ressources ou de déploiement des différentes énergies. Elle dépendra enfin des éventuels soutiens ou des niveaux de taxation des énergies ou technologies par les pouvoirs publics.
#8 : Quels défis techniques et organisationnels à l’avenir ?
Les défis techniques de la filière hydrogène restent importants pour permettre son développement dans les transports. Ce gaz étant particulièrement petit, léger et inflammable, les risques de fuites ou d’accidents se doivent d’être maîtrisés pour assurer la sécurité sur les véhicules, le stockage ou le transport de l’hydrogène. Le stockage dans les véhicules demande également de comprimer l’hydrogène, un processus énergivore, et de disposer de réservoirs qui alourdissent fortement les véhicules.
Les technologies hydrogène sont aujourd’hui plus chères que celles au pétrole ou à l’électricité, aussi bien au niveau du coût des véhicules que de l’énergie.
Aussi, la faible densité énergétique volumique (quantité d’énergie contenue dans un volume donné) de l’hydrogène demande autant que possible de penser la production de l’hydrogène au plus près des lieux de consommation, afin de limiter les coûts énergétiques et financiers de son transport. Cela amène la réflexion de l’organisation d’écosystèmes permettant de mutualiser la production et les usages entre plusieurs modes ou secteurs économiques sur un même lieu. Pour assurer la cohérence globale de ces plans territoriaux, il faudra aussi assurer un maillage progressif du territoire en infrastructures de production et de distribution d’hydrogène pour les modes routiers lourds.
Enfin, selon les modes de transport ou les véhicules, les défis techniques sont plus ou moins forts, ce qui conditionne aussi les échéances de diffusion du vecteur hydrogène. Par exemple, pour l’aérien, la faible densité volumique demande potentiellement de revoir la forme des avions ou du moins la forme, le poids et la taille des réservoirs, un des défis techniques majeurs du développement d’un avion à hydrogène.
#9 : Quel avenir selon les modes de transport ?
Pour le transport routier, l’hydrogène n’aura pas de pertinence sur les véhicules les plus légers, plus adaptés pour l’électrique à batteries. Les vélos ou voitures à hydrogène, inefficaces énergétiquement et bien plus coûteux financièrement, sont donc à oublier comme solutions de masse et en dehors de quelques usages de niche. En revanche, l’hydrogène pourrait se montrer plus utile pour les modes les plus lourds (poids lourds, bus et cars…) et lorsque les distances sont trop longues pour l’électrique à batteries.
Côté ferroviaire, les trains à hydrogène pourront constituer une alternative pertinente au diesel et lorsque les trafics sont trop faibles pour justifier l’électrification de la ligne26. Pour les bateaux, l’hydrogène sera trop difficile d’usage pour décarboner le transport maritime sur longue distance, qui pourrait cependant se tourner vers des dérivés de l’hydrogène, à savoir l’ammoniac, le méthanol ou les électrocarburants. En revanche, l’hydrogène pourrait être adapté pour le transport fluvial, qui correspond à des volumes à transporter et des distances plus faibles.
Enfin, pour l’aérien, le pari technologique est lancé et justifié par les limites des autres options alternatives au pétrole, notamment la concurrence d’usage de la biomasse pour les biocarburants, ainsi que la maturité extrêmement faible à ce jour des carburants de synthèse, des dérivés de l’hydrogène. En revanche, ce pari est encore soumis à de fortes incertitudes. Aussi d’ici 2050, l’hydrogène ne pourra représenter qu’une faible part des consommations du secteur, jusqu’à 7 % maximum des vols au départ et à l’arrivée de la France, parmi les 3 scénarios de transition écologique du secteur aérien de l’ADEME. Les électrocarburants, des dérivés de l’hydrogène, représentent un potentiel de décarbonation plus important, jusqu’à 38 % du mix énergétique en 2050. Ils ne deviennent cependant significatifs qu’au cours de la décennie 2030, avec de forts défis de passage à l’échelle et l’exigence d’être produits avec de l’électricité très peu carbonée pour être avantageux d’un point de vue climatique27.
#10 : Que faut-il en retenir en définitive ?
L’hydrogène ne doit pas être vu comme une solution miracle pour décarboner les transports, car il ne l’est pas. Il est ainsi moins efficace énergétiquement, largement carboné et plus coûteux que l’électrique aujourd’hui, et la production d’hydrogène bas-carbone risque aussi de ne pas être à l’échelle pendant encore plusieurs années, ce qui limite ses capacités à participer aux nécessaires baisses d’émissions du secteur à court terme28.
Au niveau français et tous secteurs confondus, le plan hydrogène prévoit une baisse d’émissions de l’ordre de 6 MtCO2d’ici 203029, soit une réduction équivalente à 1,4 % des émissions nationales actuelles (418 MtCO2e en 202130). Si le potentiel est loin d’être négligeable, il reste limité alors que l’objectif européen est désormais de baisser les émissions de 55 % d’ici 2030 par rapport à 199031.
L’hydrogène ne doit pas être vu comme une solution miracle pour décarboner les transports, car il ne l’est pas.
Pour autant, il ne faudrait pas discréditer totalement les possibilités que l’hydrogène bas-carbone peut offrir, surtout pour l’industrie ou comme solution complémentaire pour les transports à plus long terme – qui nécessitent des investissements et un amorçage de la filière dès aujourd’hui32. Un certain soutien public au développement de la filière est donc nécessaire, avec cependant 3 précautions :
- Les possibilités doivent être étudiées avec prudence et développées sans précipitation, au vu des nombreux défis (techniques, économiques, de production bas-carbone…) qu’il reste à relever pour la filière. Sans cette nécessaire vigilance, le risque serait grand de développer trop vite des usages qui resteraient carbonés à l’avenir33.
- Le développement de l’hydrogène dans les transports doit avant tout être développé de manière pragmatique, plutôt que sur des fausses croyances et illusions technologiques, ce qui est encore trop souvent le cas.
- Surtout, comme pour les autres technologies de décarbonation, l’hydrogène ne doit pas être utilisé comme un prétexte pour cacher l’urgence de la sobriété dans les transports afin de réduire rapidement ses émissions… un argument abondamment utilisé par exemple par le secteur aérien avec l’avion à hydrogène, afin de faire diversion à la nécessaire modération de son trafic.
Sans ces précautions, l’hydrogène pourrait faire plus de mal que de bien à la transition énergétique des transports…