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LGV : développer le train préserve-t-il toujours l’environnement ?

patricia perennes test
Patricia Perennes
docteure en économie spécialisée dans les transports
En bref
  • Le Grand Projet Ferroviaire du Sud-Ouest, qui vise à relier Bordeaux à Toulouse grâce à des Lignes à Grande Vitesse (LGV), suscite un débat.
  • Si le train est un moyen de transport écologique, les conséquences environnementales et économiques de la construction des infrastructures du projet soulèvent des questions.
  • Parmi les externalités négatives du projet figure la déforestation (environ 4 800 hectares de terres) avec des impacts significatifs sur l’environnement.
  • Le projet permettrait néanmoins un gain de temps précieux sur le plan économique et une incitation au report modal équivalent à moins de 2,3 millions de tonnes équivalent pétrole sur 50 ans.
  • En définitive, le projet constitue un défi complexe car les arguments des deux camps sont valables, mais impliquent de faire des choix politiques majeurs.

Le Grand Pro­jet Fer­rovi­aire du Sud-Ouest (GPSO) con­tin­ue de faire son chemin mal­gré les oppo­si­tions. Les travaux dans le sud de Bor­deaux ont débuté dans l’optique de lier la pré­fec­ture de la Nou­velle-Aquitaine à Toulouse par une ligne à grande vitesse (LGV). À terme, le pro­jet don­nera la pos­si­bil­ité de pass­er d’une ville à l’autre en à peine 1 h 05 (1 h 20 avec arrêts), mais aus­si de reli­er Toulouse à Paris (en pas­sant par Bor­deaux) en env­i­ron 3 h 251 — cela per­me­t­tra donc un gain de temps com­pris entre 49 min­utes et 56 minutes.

Des voix écol­o­gistes s’opposent à ce pro­jet alors même que le train fait parie des mobil­ités à priv­ilégi­er pour la tran­si­tion envi­ron­nemen­tale. Un fait facile­ment véri­fi­able à l’aide de l’outil Mon impact trans­port de l’ADEME. Le TGV émet 2,93 gCO₂eq par kilo­mètre, la voiture ther­mique, elle, en émet 218 gCO₂eq, soit presque 75 fois plus. Un voy­age Toulouse-Bor­deaux en TGV, d’après cet out­il, cor­re­spond à une émis­sion de 0,77 kgCO₂eq, pour 53,4 kgCO₂eq en voiture2.

Nous avons essayé de com­pren­dre pourquoi des écol­o­gistes pou­vaient s’opposer au développe­ment du train. La rai­son est que le mode de cal­cul des émis­sions omet celles provenant de la con­struc­tion des infra­struc­tures. Pour attein­dre une vitesse allant jusqu’à 320 km/h, par exem­ple, des con­traintes s’imposent. Les lignes doivent éviter des virages trop brusques, ou des pentes trop impor­tantes, lim­i­tant ain­si la pos­si­bil­ité de con­tourn­er des zones naturelles, et néces­si­tant de nou­velles infra­struc­tures. Ce n’est donc pas le train en tant que tel qui est con­testé, mais plutôt l’ampleur des travaux et les con­séquences de leur con­struc­tion. Le GPSO soulève donc une ques­tion essen­tielle : com­ment un pro­jet d’une telle enver­gure est-il val­orisé pour jus­ti­fi­er son coût et ses impacts environnementaux ?

Valorisation socio-économique et impact écologique

Le GPSO représente un investisse­ment de 14,3 mil­liards d’euros3 (esti­ma­tion des coûts en 2021), dont 10,3 mil­liards sont con­sacrés à la ligne Bor­deaux-Toulouse. Ce sont 418 km de lignes4 qui doivent être con­stru­ites d’ici 2035 – 252 km pour reli­er Bor­deaux à Toulouse, le reste étant dans le pro­longe­ment des lignes vers Dax et, à terme, vers l’Espagne. Pour val­oris­er un tel pro­jet en ter­mes de bénéfices/coûts, un rap­port d’évaluation socio-économique des investisse­ments publics5 est établi. Patri­cia Perennes, écon­o­miste spé­cial­isée dans les trans­ports et con­sul­tante pour le cab­i­net Trans-Mis­sions, a tra­vail­lé au Réseau Fer­ré de France (RFF) et se ques­tionne sur ce type d’évaluations. « Le rap­port Quinet fait l’énorme tra­vail de syn­thé­tis­er tout ce qui se fait dans la recherche inter­na­tionale. Il pro­pose des méth­odes de val­ori­sa­tion des exter­nal­ités d’investissement publiques, explique-t-elle. Pour les infra­struc­tures de trans­ports, chaque exter­nal­ité, pos­i­tive comme néga­tive, est con­ver­tie en valeur moné­taire. » Ain­si, une sorte de bal­ance entre la valeur du posi­tif et celle du négatif se forme, et per­met de valid­er un pro­jet d’investissement.

« Il y a des exter­nal­ités plus sim­ples à val­oris­er, comme la quan­tité de CO₂ qu’un pro­jet émet­tra, le coût de sa con­struc­tion, ou le gain de temps qu’il offrira, pour­suit l’économiste. Il y a aus­si des exter­nal­ités dont la val­ori­sa­tion peut être com­pliquée, comme la déforesta­tion, ou la per­tur­ba­tion d’un écosys­tème. Dans ces cas, il y aura plutôt des mesures de com­pen­sa­tions. Seule­ment, planter une forêt de sap­ins et couper des arbres pou­vant être cen­te­naires n’est pas réelle­ment la même chose. » En l’occurrence, ce serait env­i­ron 4 800 ha de ter­res6 qui sont con­cernés — 770 ha pour Bor­deaux-Sud Gironde, 2 330 ha pour Sud Gironde-Toulouse et 1 700 ha pour Sud Gironde-Dax. Un impact sur la bio­di­ver­sité, mal­gré les mesures com­pen­satoires, est donc indéniable.

Un rap­port d’expertise7, réal­isé par l’École Poly­tech­nique Fédérale de Lau­sanne, éval­ue les dif­férents impacts de ce pro­jet, les gains qu’il apportera, en le com­para­nt avec un autre scé­nario dit « opti­misé », lui-même réal­isé par RFF. La dif­férence est que l’optimisé se con­sacre à la réno­va­tion et donc à l’utilisation des lignes déjà exis­tantes. Ce scé­nario n’apportera pas le même gain de temps aux usagers — 19 min­utes seront gag­nées par rap­port au flux actuel —, mais aura un impact envi­ron­nemen­tal et un coût bien moin­dre.  La con­clu­sion de ce rap­port est assez par­lante : « L’expertise a pu not­er que, face à des impacts de nature dif­férente, l’appréciation ne peut être que poli­tique, car elle relève de l’adoption d’un sys­tème des valeurs ; elle échappe ain­si à la com­pé­tence et à la mis­sion des experts. L’enjeu est d’opter pour la con­struc­tion d’une ligne nou­velle entre Bor­deaux et Toulouse ou pour lui préfér­er une requal­i­fi­ca­tion de la ligne exis­tante. Il s’agit d’un enjeu de nature éminem­ment poli­tique. »

La promesse du report modal

De l’autre côté de la bal­ance, il y a les exter­nal­ités pos­i­tives du pro­jet : « Pour les pro­jets de TGV, le gain de temps est une ques­tion clef, pré­cise Patri­cia Perennes. Il est par ailleurs val­orisé assez cher, en par­ti­c­uli­er pour les pro­fes­sion­nels. En 2010, par exem­ple, chaque heure gag­née par pro­fes­sion­nel en Île-de-France était val­orisée à 22 €. Et ce sont les chiffres de 2010, avec l’inflation, cela a sûre­ment aug­men­té. »  Une autre part impor­tante dans les exter­nal­ités pos­i­tives est le report modal. Il est estimé que, au tra­vers des « reports du traf­ic de la route et de l’aérien vers le rail », le GPSO per­me­t­trait, « sur 50 ans […] une économie totale de plus de 2,3 mil­lions de tonnes équiv­a­lent pét­role8 ». Un report assez con­séquent représente aus­si un intérêt fort en ter­mes d’émissions de gaz à effet de serre, étant don­né qu’en 2020, le trans­port routi­er représen­tait 94,7 % des émis­sions du secteur des trans­ports, lui-même pre­mière source de GES en France9 (28,7 %).

Cet intérêt du report modal se con­cré­tise égale­ment dans la libéra­tion des voies déjà exis­tantes pour leur attribuer notam­ment du fret fer­rovi­aire. Un argu­ment égale­ment mis en avant pour un autre pro­jet de LGV français­es, la ligne Lyon-Turin. L’ingénieur général des ponts et chaussées Chris­t­ian Brossier écrivait dans son rap­port, en 1998, que cir­cu­laient sur les lignes exis­tantes dans les Alpes 100 trains de fret et entre 24 et 28 trains de voyageurs par jour. Pour autant, après de nom­breux investisse­ments dans la région, le nom­bre de trains n’a fait que baiss­er d’année en année, et a con­trario le nom­bre de poids lourds, emprun­tant un des deux tun­nels à leur dis­po­si­tion pour tra­vers­er les Alpes, reste assez sta­ble10.

Avec les don­nées de 1998, un cal­cul sim­ple per­met d’imag­in­er le poten­tiel du rail pour le trans­port transalpin en France : en sup­posant 100 trains par jour, cha­cun chargé de 30 con­teneurs trans­portant env­i­ron 18 tonnes, et cir­cu­lant 300 jours par an, 16 mil­lions de tonnes de marchan­dis­es pour­raient être achem­inées annuelle­ment. Et, comme la Suisse le fait, 2/3 des poids lourds seraient retirés de la route dans les Alpes du Nord (Fréjus et Mont-Blanc). En com­para­i­son, en 2022, la part du rail dans le trans­port transalpin de marchan­dis­es en France ne représente que 9,6 %, soit 2,3 mil­lions de tonnes, alors que 22 mil­lions de tonnes sont trans­portées par la route. Ces chiffres met­tent en évi­dence l’écart entre les capac­ités poten­tielles du rail et son exploita­tion réelle. C’est pourquoi les opposants aux pro­jets auront ten­dance à priv­ilégi­er des alter­na­tives pas­sant par un tra­vail sur l’exploitation et la réno­va­tion des lignes exis­tantes pour en utilis­er le meilleur de leur capac­ité. C’est d’ailleurs une ques­tion nationale qui est soulevée : com­ment la Suisse, avec un réseau de 3 265 km de voies fer­rées, parvient-elle à faire cir­culer env­i­ron 15 000 trains par jour, alors que la France, avec ses 27 483 km, n’en fait cir­culer qu’un nom­bre équivalent ?

Finale­ment, comme le rap­pelle Patri­cia Perennes : « Il est cer­tain qu’en par­lant du flux sur ces nou­velles lignes, l’impact écologique sera béné­fique, mais en prenant en compte la phase de con­struc­tion, le cal­cul est dif­férent. » Et mal­gré le poids de cette phase de con­struc­tion, la neu­tral­ité car­bone du GPSO reste prévue pour 2056. Le dilemme de notre époque est donc incar­né dans ce pro­jet : con­cili­er inno­va­tion, effi­cac­ité, et préser­va­tion de l’environnement n’est pas tâche facile. 

Pablo Andres

1Let­tre d’information du GPSO, SNCF — https://www.gpso.fr/sites/gpso.fr/files/2023–10/Lettre%20d%27information%20%231%20numerique.pdf
2Trans­port, Cal­culer l’impact car­bone des moyens de trans­port — ADEME — https://​impact​co2​.fr/​o​u​t​i​l​s​/​t​r​a​n​sport
3Coûts et finance­ment du GPSO, SNCF — https://​www​.gpso​.fr/​c​o​u​t​-​e​t​-​f​i​n​a​n​c​ement
4Présen­ta­tion du GPSO, SNCF — https://​www​.gpso​.fr/​p​r​e​s​e​n​t​a​t​i​o​n​-​d​u​-​p​rojet
5L’évaluation socioé­conomiques des investisse­ments publics, Com­mis­sari­at général à la stratégie et à la prospec­tive — https://​www​.strate​gie​.gouv​.fr/​s​i​t​e​s​/​s​t​r​a​t​e​g​i​e​.​g​o​u​v​.​f​r​/​f​i​l​e​s​/​a​t​o​m​s​/​f​i​l​e​s​/​c​g​s​p​_​e​v​a​l​u​a​t​i​o​n​_​s​o​c​i​o​e​c​o​n​o​m​i​q​u​e​_​2​9​0​7​2​0​1​4.pdf
6Lignes nou­velles Bor­deaux-Toulouse et Bor­deaux-Dax, GPSO et bio­di­ver­sité, Direc­tion de la stratégie et de la Per­for­mance, Mis­sion GPSO, Novem­bre 2021 — https://www.gpso.fr/sites/gpso.fr/files/2023–10/biodiversite_GPSO_3677.pdf
7Exper­tise des études menées jusqu’en 2024 sur la ligne Bor­deaux — Toulouse, Groupe EPFL-LITEP — Inter­modal­ité des Trans­ports et Plan­i­fi­ca­tion, École poly­tech­nique fédérale de Lau­sanne — EPFL, Juil­let 2015 — https://​www​.cit​rap​-vaud​.ch/​w​p​-​c​o​n​t​e​n​t​/​u​p​l​o​a​d​s​/​2​0​1​5​/​1​0​/​L​I​T​E​P​0​7​.​2​0​1​5.pdf
8Demande d’autorisation envi­ron­nemen­tale pour les AFSB, Dossier TA N° E2400042/33, ENQUÊTE PUBLIQUE — https://www.gironde.gouv.fr/contenu/telechargement/75781/566819/file/le%20rapport%20de%20la%20commission%20d%27enqu%C3%AAte%20sur%20les%20AFSB_compressed.pdf
9Chiffres clés des trans­ports, 2022, Min­istère de la tran­si­tion écologique. — https://​www​.sta​tis​tiques​.devel​oppe​ment​-durable​.gouv​.fr/​e​d​i​t​i​o​n​-​n​u​m​e​r​i​q​u​e​/​c​h​i​f​f​r​e​s​-​c​l​e​s​-​t​r​a​n​s​p​o​r​t​s​-​2​0​2​2​/​1​9​-​e​m​i​s​s​i​o​n​s​-​d​e​-​g​a​z​-​a​-​effet
10Rap­port sur le trans­fert du traf­ic de juil­let 2021 à juin 2023, Con­seil fédéral de la Suisse — https://​www​.newsd​.admin​.ch/​n​e​w​s​d​/​m​e​s​s​a​g​e​/​a​t​t​a​c​h​m​e​n​t​s​/​8​4​8​8​0.pdf

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