[Cet article est la synthèse d’une note publiée par La Jaune et La Rouge. Pour lire le texte original, cliquez ici.]
Le transport routier – routes et véhicules thermiques – représente environ 30 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). Ce secteur nécessite donc des efforts importants pour atteindre la neutralité carbone. Si l’automobile est en pleine transition énergétique (électricité) et d’usage (véhicules autonomes), les routes doivent aussi s’adapter, car une part importante des matériaux les constituant, comme le ciment ou le bitume, sont non renouvelables et nécessitent une forte consommation d’énergie.
Des États, dont la France, tentent d’encourager un transfert modal vers le ferroviaire et le fluvial, par des politiques publiques, mais la part du transport routier reste prépondérante, notamment pour les marchandises, et continue même à augmenter. Par conséquent, depuis une dizaine d’années les États ont infléchi leurs politiques et cherché à décarboner la route et les véhicules, tout en encourageant la complémentarité des modes, chacun étant utilisé là où il est performant et économiquement viable. Le concept de route du futur ou de cinquième génération1 prend tout son sens dans ce contexte et ouvre de nouvelles perspectives pour le XXIe siècle.
Une route électrique
Les batteries atteignent leurs limites physiques et économiques, en particulier pour les véhicules lourds (camions, autocars), et ne peuvent pas assurer seules des autonomies de plusieurs centaines de kilomètres pour les plus grands véhicules à pleine charge, ou à des coûts, volumes et masses inacceptables. Une solution consiste à alimenter les véhicules en marche, par l’infrastructure. Des systèmes d’alimentation électrique développés dans le domaine ferroviaire (trains, métros, tramways) peuvent être adaptés à la route. Siemens propose ainsi une alimentation par caténaires et pantographes (double caténaire car il n’y a pas de retour courant par le sol), Alstom développe une alimentation par le sol avec des rails électrifiés par tronçons (transposition du système du tramway de Bordeaux) et Elways propose un rail profilé creux, tous deux avec des patins ou un ergot de captation installés sous les véhicules. Des systèmes sans contact par induction existent déjà en statique pour les bus et sont en cours de développement ou d’essais en Europe et en Asie. La Suède et l’Allemagne expérimentent ces systèmes dits de « routes électrique » (ERS) et un rapport d’état de l’art a été publié sur le sujet en 2018 par l’association mondiale de la route2.
L’ERS serait pertinent sur des corridors autoroutiers à fort trafic, notamment pour les poids lourds, qui représentent près de 30 % des émissions du transport routier. Il permettrait non L’ERS serait pertinent sur des corridors autoroutiers à fort trafic, notamment pour les poids lourds, qui représentent près de 30 % des émissions du transport routier. Il permettrait non seulement d’assurer la propulsion des véhicules sur le réseau équipé, mais aussi de recharger leurs batteries pour leur donner une autonomie suffisante en dehors du réseau électrifié. Les coûts d’investissement des solutions ERS sont estimés (avant industrialisation) entre 2 et 5 millions d’euros par kilomètre, et pour la France il est admis que 3 à 4 000 km d’autoroutes seraient éligibles à l’ERS dans un premier temps, extensible jusqu’à 8 à 10 000 km. Ce qui représente un investissement de 10 à 15 milliards d’euros (il suffirait d’équiper 50 % de la longueur des voies lentes, compte tenu de la présence de batteries tampons dans les véhicules). Avec une durée d’amortissement de vingt à trente ans et un système de concession, cela ne semble pas hors de portée. Toutefois, les questions de sécurité, de résilience du système et du modèle économique (répartition des coûts et bénéfices) restent à clarifier, maisil n’y a a priori pas de verrou majeur identifié.
Une route à énergie positive et intelligente
La route est consommatrice d’énergie, tant pour sa construction, sa maintenance et son exploitation (éclairage et signalisation) que pour les véhicules qui l’empruntent. Mais elle peut également en être productrice : sa surface, qui reçoit les rayons solaires, pourrait en effet constituer une source d’énergie. Avec des hypothèses prudentes, de 25 % de temps d’ensoleillement (soit la moitié de la journée), 0,5 % de la surface routière utilisée et 300 W/m² d’énergie reçue, la puissance moyenne reçue serait de l’ordre de 2,25 GW, soit 3,5 % de la puissance électrique installée en France, ou un peu plus de la moitié de celle consommée par le transport routier. Certes, la part réellement récupérable de cette énergie est probablement faible, mais elle pourrait toutefois contribuer à la décarbonation du secteur routier, voire répondre à des besoins énergétiques limités au voisinage d’une route équipée.
La récupération d’énergie solaire via les routes pourrait être thermique, avec la chaleur emmagasinée, ou photovoltaïque, avec l’insertion de cellules dans la couche de roulement rendue transparente pour laisser passer la lumière incidente. La première solution est commercialisée en France avec succès par Eurovia pour la réhabilitation thermique de bâtiments. La seconde solution, proposée par Colas (Wattway), peut servir à alimenter des capteurs ou contribuer à l’éclairage. Les deux solutions peuvent se combiner sur un même site. Néanmoins le rendement de ces technologies reste limité et les investissements assez lourds, surtout pour la solution photovoltaïque. Enfin, la route du XXIe siècle n’est plus un simple ruban de bitume supportant des véhicules et équipée de dispositifs de sécurité et de signalisation. Au-delà de ses fonctions physiques, la route sera de plus en plus équipée de capteurs, de systèmes d’information et de communication, et connectée aux véhicules qui l’empruntent ainsi qu’aux opérateurs qui la gèrent. La route dite « intelligente » devra s’autodiagnostiquer, voire s’auto-réparer, et communiquer sur son état et son évolution. Sa fonction sera collaborative, dans la mesure où elle participera à la gestion ou au contrôle du trafic, à l’alimentation énergétique de certains véhicules et au guidage ou à la surveillance des véhicules autonomes. En outre, elle s’intégrera dans un véritable système global de services de mobilité. Cependant, chaque solution et le modèle économique associé doivent être étudiés pour éviter les mythes technologiques.