Les immenses réserves de pétrole face à l’enjeu de réduction de la consommation
- Contributeur majeur à l’effet de serre, le pétrole représente aujourd’hui 32 % du mix énergétique mondial.
- La reprise économique mondiale qui a suivi la crise sanitaire a augmenté le niveau de la demande de pétrole dans le monde.
- Mais le « pic pétrolier » n’aura pas lieu : nous possédons plus de réserves de pétrole qu’il nous en faut, à hauteur de 150-160 Gt au plus bas.
- Le pétrole présentant certains avantages, il continuera à être utilisé si des mesures restrictives ne sont pas mises en place par les pouvoirs publics.
- Il existe plusieurs moyens de réduire les émissions de GES, comme la sobriété énergétique ou le développement des énergies renouvelables.
En tenant compte des estimations les plus prudentes, les volumes connus et quantifiés des réserves d’hydrocarbures restant aujourd’hui sur Terre correspondent à la quantité totale que nous avons consommée depuis le début de l’ère du pétrole – c’est-à-dire la fin du XIXe siècle. Cela équivaut à 150–160 Gt1 équivalent (eq.) pétrole. Ces quantités sont quatre fois supérieures si l’on considère les stocks qui n’ont pas encore été quantifiés avec précision (600 Gt), bien que certaines de ces ressources puissent être difficiles à exploiter pour des raisons géologiques, économiques ou géopolitiques. Selon un inventaire inédit récemment publié2, les réserves mondiales de combustibles fossiles contiennent l’équivalent de 3 500 milliards de tonnes de gaz à effet de serre (GES). Ces gaz, s’ils étaient libérés, mettraient en péril les objectifs climatiques internationaux3.
Cet inventaire – qui contient des données sur plus de 50 000 sites dans près de 90 pays – sert à fournir les informations nécessaires pour gérer l’élimination progressive des combustibles fossiles. Il montre notamment que les États-Unis et la Russie détiennent chacun suffisamment de réserves pour faire exploser l’ensemble du budget carbone mondial, et ce, même si tous les autres pays cessaient immédiatement leur production. On y découvre également que la source d’émissions la plus puissante au monde se trouve dans le champ pétrolier de Ghawar, en Arabie saoudite.
Le « pic pétrolier » n’aura pas lieu
« Nous avons grandi avec l’idée du “pic pétrolier” [“oil peak” en anglais], pensant qu’il y aurait une pénurie inévitable à l’horizon 2010–2020, explique Antoine Le Solleuz. Cette notion n’existe plus, car les compagnies pétrolières ont tellement investi dans l’exploration des hydrocarbures qu’elles découvrent de nouveaux gisements chaque année. Nous sommes maintenant dans une situation où les réserves possibles de pétrole dépassent la consommation. »
Nous sommes maintenant dans une situation où les réserves possibles de pétrole dépassent la consommation.
« La notion de pic pétrolier résulte de la notion de réserves pétrolières, ajoute Olivier Gantois. Ce qu’on annonce comme réserves de pétrole à chaque instant, ce sont des volumes de pétrole que l’on a identifiés et qu’on sait produire avec les technologies d’aujourd’hui, et au prix d’aujourd’hui. Le prix du baril est de 85 dollars, mais si on a une partie des réserves qui coûte 100 dollars/baril à produire, on ne les compte pas comme réserves parce qu’elles ne sont pas économiques. Cela signifie que si demain on a les mêmes quantités d’hydrocarbures, mais que le prix du baril passe à 120 dollars/baril (comme ce fut le cas en juillet dernier), ces volumes deviennent économiques et peuvent être comptés comme réserves. »
Ces sources de pétrole sont classées comme conventionnelles ou non-conventionnelles. Parmi les sources conventionnelles, le pétrole contenu dans la roche-mère migre vers un réservoir perméable, d’où il peut ensuite être extrait relativement facilement.
Les sources non-conventionnelles sont différentes dans la mesure où la réserve est contenue soit dans un réservoir quasiment imperméable, soit dans la roche-mère elle-même, dont elle doit être extraite – ce qui est techniquement plus difficile. La découverte de gisements non-conventionnels, dont le plus connu est le gaz de schiste (« shale gas » en anglais), a quadruplé ces dernières années par rapport au début du siècle, et ces sources sont même devenues la norme dans certains pays. En effet, elles ont permis à des pays comme les États-Unis de devenir indépendants sur le plan énergétique, leur permettant ainsi de se désengager des conflits du Moyen-Orient.
Outre les États-Unis, des gisements non-conventionnels ont également été découverts au Canada, en France, au Royaume-Uni, en Pologne, en Russie et en Algérie, pour n’en citer que quelques-uns. La France a décidé de ne pas exploiter ces gisements, contrairement à d’autres pays européens. Car il est à noter qu’il s’agit d’utiliser, pour les gisements non-conventionnels, des techniques comme la fracturation hydraulique qui est désormais interdite par la loi4.
Le danger des estimations erronées
« Il existe des réserves possibles (90 % d’incertitude), des réserves probables (50 % d’incertitude) et des réserves prouvées (10 % d’incertitude), affirme Antoine Le Solleuz. Le Venezuela, par exemple, est toujours considéré comme ayant les plus grandes réserves estimées, bien que cela ne puisse pas être confirmé par d’autres pays puisque les estimations sont publiées par les autorités vénézuéliennes elles-mêmes. Il existe également des pays qui sont autosuffisants et qui ont refusé d’impliquer les grandes entreprises énergétiques privées telles que BP, Shell, Total et Exxon. Cela leur permet d’estimer leurs propres réserves, ce qui les libère également du marché boursier et d’autres systèmes économiques. C’est le cas de l’Arabie Saoudite, par exemple, où seule la compagnie nationale, Saudi Aramco, est autorisée à opérer. »
Les estimations d’un pays peuvent cependant être « erronées », intentionnellement ou non, ce qui peut créer des instabilités sur les marchés boursiers car les autres pays ne peuvent pas se comparer entre eux et ainsi fixer un prix réaliste. Les grandes compagnies pétrolières, pour gagner la confiance des investisseurs, publient leurs propres estimations : si elles sous-estiment ou surestiment leurs réserves, elles subissent des conséquences directes sur les marchés financiers.
BP et Shell, par exemple, ont dû faire face à des scandales de surestimations de leurs réserves prouvées dans des réservoirs conventionnels. Conséquence sur les marchés financiers : ces entreprises n’étaient plus dignes de confiance. Pourtant, cette confiance financière et scientifique est primordiale, car elle est la clé pour soutenir les investissements financiers dans l’exploration et la production. Ces investissements deviennent en effet de plus en plus importants au fil du temps, en utilisant des techniques géophysiques de plus en plus abouties, des puits de plus en plus complexes, dans des contextes géologiques de plus en plus extrêmes.
« On ne peut pas (et il ne faut surtout pas) répondre à la question des réserves en nombre d’années si on continue à consommer au même rythme qu’aujourd’hui, soutient Antoine Le Solleuz. Car, plus on investit, plus on trouve. Et les compagnies pétrolières continuent à investir.»
Notre économie actuelle en dépend fortement, mais le pétrole est un contributeur majeur aux émissions de gaz à effet de serre. Aujourd’hui, il représente 32 % du mix énergétique mondial5. Pour respecter les engagements de l’Accord de Paris et réduire de 45 % les émissions de GES d’ici 2030 (par rapport à leur niveau de 2010), nous devons progressivement réduire notre utilisation du pétrole au profit des énergies décarbonées.
Une régulation s’impose
La France vise à mettre en place un modèle énergétique durable, grâce à la loi sur la transition énergétique de 20156 et à un investissement de plus de cinq milliards d’euros par an dans les énergies renouvelables, en diversifiant le mix énergétique : les énergies fossiles devraient être réduites de 30 % à l’horizon 2030 (par rapport à 2012). La loi énergie-climat du 8 novembre 2019 a même fixé un nouvel objectif encore plus ambitieux à 40 %.
D’autres mesures agissent sur la production, et la France a adopté deux lois en ce qui concerne l’exploitation des hydrocarbures. La première interdit purement et simplement l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures non-conventionnelles par fracturation hydraulique. La deuxième met fin à l’exploration et à l’exploitation d’hydrocarbures d’ici 2040.
Les consommateurs vont continuer à utiliser du pétrole si des mesures restrictives ne sont pas mises en place par les pouvoirs publics.
La reprise économique mondiale – après la crise sanitaire du Covid-19 – augmente le niveau de la demande de pétrole, qui avait sensiblement diminué pendant la période où des restrictions avaient été mises en place pour contenir la propagation du virus. La demande a quasiment retrouvé son niveau d’avant crise (100 millions de barils par jour), ce qui se reflète dans le prix du pétrole brut Brent aujourd’hui.
La croissance de cette demande doit être maîtrisée afin de contrôler les émissions de GES, selon l’AIE qui a publié un rapport en juin 20217. Les mesures préconisées dans ce rapport comprennent l’instauration d’un nouveau modèle énergétique fondé sur les énergies renouvelables et le nucléaire.
« Le problème qu’a l’humanité aujourd’hui c’est que le pétrole et les produits pétroliers présentent de nombreux avantages, explique Olivier Gantois. Ce sont des formes d’énergie concentrées, donc faciles à transporter et à stocker. Les consommateurs vont donc continuer à utiliser du pétrole et même davantage si des mesures restrictives ne sont pas mises en place par les pouvoirs publics. »
L’UE a décidé d’interdire la vente des véhicules thermiques à partir de 2035.
Un exemple : il y a quelques semaines, l’UE a décidé d’interdire la vente des véhicules thermiques – c’est-à-dire, ceux qui utilisent des carburants à énergie liquide – à partir de 2035. Seules de telles décisions permettront de diminuer l’utilisation de carburant liquide pour le transport routier. Il faudra cependant un certain temps pour voir les effets de cette mesure : en France, nous avons environ 45 millions de véhicules en circulation, et les véhicules neufs ne représentent que 2 millions par an.
« Comme nous aimons le dire, il existe cinq grands moyens de réduire les émissions GES : ne pas consommer d’énergie (ce que l’on appelle communément la sobriété énergétique) ; utiliser l’énergie de manière plus efficace ; développer les énergies renouvelables qui n’émettent pas de GES ; décarboniser les énergies liquides (les produire à partir de déchets, ou de biomasse) ; l’économie circulaire – c’est-à-dire réutiliser tout ce qui peut l’être (les plastiques qu’on utilise directement, les émissions de carbone qu’on récupère pour fabriquer des carburants de synthèse…). Chacune de ces cinq dynamiques entraînera une diminution de la consommation de pétrole et ainsi des émissions de GES dans l’atmosphère. »