Les déchets organiques transformés en hydrogène
- Alors que d’ici 2050 l’Europe vise un monde décarboné, 99,3 % de l’hydrogène (vecteur majeur de la transition énergétique) est produit par des énergies fossiles.
- Une des voies de production d’hydrogène bas carbone est la fermentation obscure à haute température.
- Cela consiste à l’incubation de déchets alimentaires avec une bactérie marine dans des conditions bien spécifiques, menant à la dégradation des biodéchets.
- Les voies d’amélioration : une plus grosse production de biohydrogène et une valorisation des digestat solides après fermentation.
L’hydrogène est l’un des vecteurs énergétiques privilégié par le Gouvernement pour décarboner les transports. À ce jour, 99,3 % de l’hydrogène mondial est produit à partir d’énergies fossiles. Seule la filière de l’électrolyse de l’eau génère un hydrogène bas-carbone. Parmi l’ensemble des voies de production bas-carbone connues, le laboratoire mixte international BIOTEC H2 – inauguré en 2022 à Hammamet – se consacre à la démonstration de la production de biohydrogène par fermentation obscure à haute température.
En quoi consiste la production d’hydrogène par fermentation obscure ?
Hana Gannoun. Ce procédé est basé sur la valorisation de déchets de fruits et légumes par fermentation acétique. Nous utilisons une bactérie marine, Thermotoga maritima1. Les déchets et les bactéries sont placés avec de l’eau de mer dans un bioréacteur. Ce dernier est chauffé à 80 °C, maintenu sans lumière ni oxygène et l’agitation et le pH sont contrôlés : cela offre des conditions optimales pour la croissance des bactéries. La dégradation des biodéchets par les bactéries produit du dihydrogène (H2), du CO2 et de l’acétate.
Pierre-Pol Liebgott. Ce procédé est connu depuis une vingtaine d’années, et il n’existe pas d’obstacle à la production de biohydrogène. Nous avons démontré la faisabilité de ce procédé dans un fermenteur de 2 L alimenté par des déchets issus de marchés alimentaires en Tunisie.
Pourquoi utilisez-vous des bactéries marines ?
HG. Nous tenons à utiliser des bactéries marines pour pouvoir alimenter le réacteur en eau salée. Cela évite d’ajouter un usage supplémentaire à la ressource en eau douce.
PPL. Parmi la cartographie taxonomique des microorganismes existants, nous avons retenu Thermotoga maritima, qui est un micro-organisme marin bien particulier : il est polyextremophile. Cela signifie qu’il résiste à de très hautes températures et une forte concentration en sel. Dans la nature, cette bactérie se développe dans les sources hydrothermales sous-marines. Pourquoi avoir choisi ces particularités ? Dans un milieu riche en sucre, de nombreuses bactéries contaminantes se développent : elles peuvent perturber la réaction. Or, à 80 °C, aucune contamination ne peut se développer nous assurant que seule Thermotoga maritima est à l’œuvre.
La fermentation à haute température présente un autre avantage : elle est plus économe énergétiquement. La fermentation est un processus qui dégage de la chaleur, et maintenir un fermenteur à une température de 20 °C nécessite de le refroidir. Le refroidissement nécessite plus d’énergie que le chauffage, pour lequel nous utilisons un chauffe-eau solaire.
Quels sont les avantages de ce procédé par rapport aux autres voies de fabrication d’hydrogène ?
PPL. Les voies biologiques sont peu coûteuses et requièrent moins d’énergie. Pour fabriquer 1 mole d’hydrogène, il faut 0,2 mole d’énergie avec une pile à électrolyse microbienne. Ce chiffre grimpe à 1,7 pour l’électrolyse de l’eau. Surtout, la fermentation obscure permet de valoriser un gisement énorme de matière organique. En France, près d’un tiers des déchets ménagers sont putrescibles et leur collecte est désormais obligatoire. En Tunisie, cette part grimpe à 70 % et une grande partie de ces déchets est directement rejetée dans des décharges publiques.
HG. Nous travaillons à la meilleure caractérisation des déchets au cours de l’année. Nous avons pour cela trois sites d’études : un marché de gros à Tunis, un marché municipal et un hôtel. L’État tunisien souhaite mettre en place une gestion de ce type de déchets : notre objectif est de nous assurer d’un fonctionnement stable et performant du bioréacteur tout au long de l’année.
N’est-il pas plus intéressant de valoriser les déchets organiques par méthanisation plutôt qu’en biohydrogène ?
PPL. La méthanisation est plus simple à mettre en œuvre, et le procédé est assez mature. Mais le méthane est moins intéressant énergétiquement parlant. De plus, l’hydrogène est en voie de démocratisation en Europe, poussé par de nombreux plans d’investissements. En valorisant les déchets organiques en bioH2, nous proposons de tirer parti au maximum des infrastructures – de production, distribution, etc. – qui vont être déployées.
Quel est le rendement du procédé de bioproduction d’H2 ?
PPL. Le rendement théorique se situe aux alentours de 4 moles d’H2 par mole de sucre, dans la réalité, il est pour le moment inférieur à 3, ce qui demeure un bon résultat. En pratique, avec une tonne de déchets, nous produisons un kilo de bioH2.
HG. Nous cherchons actuellement à améliorer ce rendement. Nous étudions pour cela d’autres microorganismes marins et également des consortia synthétiques – mélanges de plusieurs souches bactériennes.
Une fois mature, comment le procédé pourrait-il être mis en œuvre ?
PPL. Le procédé n’est, en effet, pas encore mature : nous sommes à un niveau TRL 3–4, correspondant à un prototype à échelle réduite. Nous allons prochainement passer d’un fermenteur de 2 L à 10 L. Mais nous ne visons pas la mise en œuvre de gros volumes, comme les grosses unités de méthanisation. L’objectif est de mettre au point une unité destinée à la production domestique de bioH2 à partir des déchets du foyer. Cela permet d’adresser une cible moins concurrentielle et d’offrir une indépendance énergétique à la population.
Après fermentation, reste-t-il un digestat solide comme au sein d’une unité de méthanisation ? Si oui, existe-t-il des voies de valorisation de celui-ci ?
HG. Oui, nous parlons de mou. C’est un aspect sur lequel nous travaillons, car nous essayons d’avoir une approche d’économie circulaire complète. Il existe plusieurs freins à la valorisation du mou, contrairement au digestat issu de la méthanisation : il est riche en sel et en acides gras organiques. Il n’est donc pas possible de l’utiliser en agriculture sur les sols. Nous travaillons sur la fraction solide du mou : en la compostant, il serait possible de produire des enzymes ou des polymères valorisables dans les emballages.
PPL. Si nous parvenons à traiter le mou de fermentation, notre procédé deviendra concurrentiel à la production de méthane.